L'élue brisée d'une Lune [Christophe]

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Nous étions tous les deux seuls dans cette rue, moi accrochée à son tour, le serrant doucement contre moi. J'avais peur, je tremblais, mais je l'aimais, c'était lui, mon protecteur, celui à qui j'avais donné mon cœur. Il était là, et pourtant, je n'en avais pas l'impression. Ses baisers avaient été vrais, sa douceur aussi mais maintenant, j'avais l'impression qu'il n'était plus le même. Pourquoi ? Est-ce ma faute ? Je ne comprenais pas, pourquoi je n'étais pas moi, pourquoi je n'arrivais pas à retrouver celle que j'étais ? Je suis encore … mon esprit n'était pas encore réparé, j'avais besoin … je ne savais même pas … je n'étais pas moi-même

Il me prit la main, et doucement, je me redressais pour être à sa hauteur. Il semblait si triste. Mon autre main passa en douceur sur sa joue.

"Viens je te ramène chez le Veilleur, lui pourra te protéger."

Lui … pourquoi parlait-il de Christophe ? Pourquoi lui ? Pourquoi pas Shiro … ma main tomba de sa joue alors qu'on se mettait à marcher le long des rues de la cité des anges. Et rien n'était dit, il regardait droit devant lui alors que je serrais sa main dans la main. Je tremblais encore, de froid, de peur, de ce qu'il s'était passé ce soir. Je n'aurais jamais du quitter le refuge.

-Je … je suis désolé …

Mes mots rompaient à peine le silence, le malaise qui s'était installé, il ne bougeait pas. C'était ma faute …

-J'aurais pas du suivre le Chapelier, je suis désolée, c'est ma …

Mais il ne disait rien, son visage semblait plus sombre, comme ce jours où ce monstre était entrée dans le refuge, ou Shiro était devenu comme eux pour me protéger de lui et ses sbires. Je m'en voulais, c'était ma faute. Et lui, tout ça …
Sans bruit, les larmes coulaient de mes joues. J'avais toujours peur, mais là, cette peur changeait. Une peur plus étrange. Celle d'être abandonnée. Elle grandissait encore alors que nous approchions de cet endroit que je n'avais pas revu depuis des jours, depuis presque si longtemps. L'église, Christophe, Alban … Mais je ne voulais pas quitter Shiro. Je l'avais attendu, et maintenant …
Il s'est arrêté soudain, sans rien dire. Je me suis tournée vers lui, relevant mon regard brillant de larmes vers lui. Il allait partir, je le sentais, je le voyais. Pas ça, pas après tout ça … je ne voulais pas le perdre.

"Nul besoin de s'aventurer trop près du domaine... Rejoins le, souviens toi Alice, je t'aime. Quoi qu'il advienne j'aurais respecté mon serment. Quoi qu'il advienne ta vie sera protégée. Maintenant va... Je t'en prie."

Mes larmes redoublèrent, mes sanglots tranchèrent le silence alors que je m'accrochais à lui, le serrant contre moi. Je ne voulais pas, pas maintenant, pas après tout ça …

-Je veux pas que tu disparaisse, je veux pas … je t'aime ! Et je veux pas que tu ne revienne jamais. Shiro, pitié, reviens-moi où que tu ailles…

Mais il disparut presque aussitôt, se fondant dans les ombres alors que je tombais sur le sol, à genoux en pleurant. Je ne bougeais pas, je pleurais, je l'appelais dans la nuit, je l'appelais avant de me laisser réellement tomber sur le sol, dans l'herbe mouillée. Je n'en avais plus rien à faire, il venait de disparaître, il venait de s'enfuir loin … mon amour, celui à qui j'avais offert mon cœur. Celui-ci dans ma poitrine était brisé alors que je ne bougeais plus, les yeux clos pour ne plus rien voir. Je pleurais, je suppliais qu'il me revienne. Je suppliais Ches mais lui aussi pleurait et ne voulait rien dire. Je suppliais la lune de me le rendre, de veiller sur lui. Je ne bougeais plus, allongé en enfant sur l'herbe, pleurant encore et toujours, seule. Je n'étais pas si loin de lui mais je n'osais aller le voir, je n'osais même me relever. J'étais brisée, détruite d'avoir perdu celui que j'aimais, celui qui sûrement ne reviendrai plus. Il avait respecté son serment jusqu'à maintenant, c'était ce qu'il avait dit. Et maintenant ? Là, maintenant ?

-Je t'aime Shiro … je t'aimerai toujours … et à jamais

Il m'avait offert sa vie et son épée, moi je lui offert ma vie et mon amour … et maintenant … et maintenant ?!
Reverrais-je un jour un papillon d'ombre voler ?

Une semaine... Sept nuits et sept jours s'étaient écoulés depuis qu'Alice était partie de l'église, après qu'elle lui ait promis de construire son chemin.
Il ne l'avait pas revue depuis. Il avait été incapable de retrouver sa trace, malgré toutes ses recherches. Mais il avait appris ce qu'elle faisait. Ignominie... Le chemin de sa petite se pavait d'ombres. Mais il le savait. Il l'avait vu. La prophétie s'était accomplie. Il l'avait vue errer dans un dangereux labyrinthe, sourire aux ombres, se faire porter par elles... mais il avait vu aussi la monstruosité à deux têtes, les épines, les éclairs, la chute. L'Enfant des Ombres aimait son enfant, mais il était un danger pour elle. Cela ne pourrait durer.

Le Malkavian avait cessé les recherches. Elles étaient vaines. Elle reviendrait à lui quand la Lune l'aurait décidé, ils le savaient tous les deux.
En attendant, il était venu à l'église, pour prier. Il ne priait pas assez ces derniers temps. Trop concentré sur sa propre personne, et sur ceux qu'il devait protéger. Il s'était donc plongé dans une transe de prières, à genoux sur le marbre froid de l'église.
Le silence d'une église est tellement apaisant qu'il en paraît surnaturel. Rien ne saurait le briser. Et pourtant...

Il se redressa. Ouvrit les yeux. Tendit l'oreille.
Oui, c'étaient bien des sanglots qu'il entendait, à l'extérieur des murs anciens. Des sanglots qu'il reconnaissait. Elle lui avait rendue !
Le Malkavian se leva d'un bond et se précipita vers la sortie, en remerciant silencieusement la Lune et le Seigneur de lui avoir ramené sa petite Alice.

Il la découvrit allongée en position feotale dans le petit carré d'herbe à côté du parvis de l'église. Elle était seule, et elle pleurait. Le Malkavian entendit quelques mots, et son sourire s'effaça.
Elle pleurait pour Shiro. Pour ce Lasombra. Elle l'aimait. Elle ne pensait pas à lui, le Veilleur, celui qui la protégeait envers et contre tout. Elle ne pensait qu'à ce traître, cette engeance des Abysses. Elle l'aimerait toujours ? Rien n'était moins sûr...

Christophe s'avança vers Alice, et se posta debout devant elle. Il ne prit pas soin de s'agenouiller à ses côtés. Il ne tendit pas la main vers elle. Il n'esquissa pas un mouvement.
Et son éternel murmure se fit cassant lorsqu'il éleva la voix.

Lève toi Alice.

Les secondes passaient mais je ne bougeais pas, je restais ainsi, allongée. Je n'avais plus la foi de bouger, je n'avais plus la foi d'avancer. Ma faute, c'était ma faute. Et … je ne le reverrais peut être jamais …
Abandonnée … depuis une semaine, j'avais perdu la présence de Christophe et maintenant c'était Shiro qui m'abandonnait, à son tour … pourquoi tous ceux que j'aimais m'était enlevé au fur et à mesure. Je ne comprenais plus, je n'en pouvais plus, je ne voulais pas être seule …
Toujours seule, et vulnérable face au monde, face à Eux, face à Elle ….

J'entendis des pas mais je ne bougeais pas. Est-ce Elle ? Peut être … et bien qu'elle vienne, je l'attendais, qu'elle finisse ce qu'elle avait voulu faire depuis tant d'année. Qu'elle finisse la pauvre petite Alice, cette pauvre chose qui pleurait tant, et qui n'était qu'une coquille vide, qui ne voulait même plus se battre. Les pas s'approchaient, arrivant bientôt à moi, face à moi. Je voyais des pieds, je voyais le bas d'une robe, d'une sorte de bure. Doucement, je redressais les yeux vers lui … oui, c'était lui, le Veilleur. Il était là, face à moi, debout de toute sa hauteur et il ne bougeait pas. Il me regardait, sans un mot, sans douceur. Je le voyais dans son visage, je le sentais dans l'air. Il était en colère. Ses yeux étaient rivés sur moi et il n'esquissait aucun mouvement. Lui aussi l'avais-je perdu dans ce sens ? Pourquoi ? Qu'avais-je fait de mal ? Pourquoi tout ce qui m'était arrivé de bien disparaissait...

Lève toi Alice.

Sa voix me fit frisonner, de peur en l'entendant. Je l'observais mais je n'osais bouger … pourquoi ? Sa colère dans sa voix, elle me faisait peur. Il était mon père et pourtant …

-Pourquoi …

murmurais-je alors que les larmes coulaient toujours le long de mon visage, sans que j'arrive à les arrêter.

Pourquoi tout changeait ? Pourquoi n'étais-je pas moi …

-Pourquoi tu n'étais plus là … Pourquoi tu m'as laissée seule … je ne te sentais plus ... tu n’étais plus là ...

Je me redressais à peine, assise, les jambes sans force qui restaient sur le sol. Mes mains me soutenaient alors que mon tronc était plus ou moins droit. Lui, pas lui …

-Pourquoi tout change ?! Pourquoi vous partez tous ?!

Je criais de douleur, je criais de tristesse. Lui, Shiro, les deux m'avaient menti, les deux m'avaient perdue … pourquoi dois-je toujours être seule, je n'en pouvais plus, ma confiance, toujours trahie ainsi ...

Elle ne se leva pas.
Sa demande était pourtant claire. Deux mots. Deux malheureux petits mots, sans sous-entendu, un ordre direct, il était difficile de ne pas le comprendre.
Mais elle ne se leva pas.
Tout au plus se redressa-t-elle, pour lui adresser un regard embué de larmes.

Elle sanglotait, toujours. Petite enfant perdue. Petite enfant faible. Elle avait fauté. Elle devait assumer les conséquences de ses actes.
Non.
Elle n'assumait rien. Elle rejetait la faute sur lui. Sur lui ! Qui l'avait protégée, qui l'avait recherchée, chaque heure de chaque nuit de la dernière semaine !

Elle cria. Elle criait sur lui. Douleur et tristesse. Accusation.
Jamais. Jamais l'on osait lui parler ainsi. Si elle devait devenir sa fille, elle allait devoir apprendre à le respecter. A lui obéir. A connaître sa colère.

Le Malkavian saisit Alice par le col et la souleva comme un fétu de paille, sourd à ses protestations. Elle ne semblait pas peser plus lourd dans sa main qu'une vulgaire poupée de chiffon. Il la transporta, au-dessus du sol, sans aucune tendresse, jusqu'à l'église, et la lança plus qu'il ne la posa dans l'allée centrale avant de claquer la lourde porte de bois derrière lui.

Tu es notre fille. Pour cela, nous ne lèverons pas la main sur toi. Mais il t'INTERDIT de douter de lui !

Le murmure avait disparu, cédant la place à un grondement tonitruant qui résonnait dans l'église.
Les doigts du Malkavian commencèrent à s'agiter, se pliant et se dépliant sans cesse, alternativement. Un geste qu'il faisait malgré lui lorsqu'il était contrarié.
Un geste qu'il faisait souvent.

L'Enfant des Ombres t'a écartée de nous. Tu as pris le mauvais chemin, Alice. Avec lui, tout ne sera que ténèbres, souffrance et mort.

Il s'avança vers elle à grands pas, fondant sur elle comme un oiseau sur sa proie.

Nous te protégeons.
Nous te guidons.
Nous t'élevons.
PAS LUI !

J'avais peur, j'avais besoin d'aide et pourtant, ce n'est pas ce que j'eus, loin de là. La colère, elle amplifia dans son être, comme cela me semblait presque impossible. Mais pourtant, c'est par cela qu'il répondit, par la colère. Il m'attrapa par le vêtement, m'arrachant un cri de surprise, alors qu'il me soulevé, sans douceur. À croire qu'à ses yeux, je n'étais plus qu'une chose, un objet. Je tentais de lui dire d'arrêter, de le supplier de me lâcher mais c'était à peine si j'arrivais à dire son nom. J'étais en partie étranglée par mes vêtements soulevés. J'étouffais, mes mains se posèrent sur les siennes, pour tenter de respirer. Mais rien, je n'y arrivais pas, c'était …

-Piti...

Il me fit traverser le parvis, il me fit entrer dans l'église et là, me lança sur le pavé froid de l'église, dans cette allée que je connaissais. Je heurtais le sol avec force, j'eus à nouveau un cri avant que je n'entends. Je réussi à me protéger la tête mais malgré tout, j'eus mal. Un claquement sourd, la porte qui claquait. J'étais sonnée, surprise, terrifiée. Pourquoi ? Qu'est-ce qu'il se passait …
J'eus à peine le temps de me retourner pour me retrouver sur les fesses pour le voir qu'il commença à gronder dans l'église. En appui sur les genoux, je l'observais, tremblante, subissant ses cris

Tu es notre fille. Pour cela, nous ne lèverons pas la main sur toi. Mais il t'INTERDIT de douter de lui !

Le grondement sonnait comme un hurlement dans l'église. Je tremblais, toujours terrifiée. Pourquoi ? Ce n'était pas lui … ce n'était pas mon père, pas le même … Ses doigts étaient comme pris de convulsion, je ne savais pas ce qu'il allait se passer … j'avais peur, peur de sa colère ...

L'Enfant des Ombres t'a écartée de nous. Tu as pris le mauvais chemin, Alice. Avec lui, tout ne sera que ténèbres, souffrance et mort.

-Christophe .. non, c'est faux, il me …

J'eus à peine le temps de prononcer ses mots qu'il se sauta presque sur moi, m'arrachant un cri de peur alors que je croisais les bras devant moi, comme pour me protéger. Je fermais les yeux alors qu'il hurlait à nouveau, je fermais les yeux pour ne pas voir sa colère. Ce n'était pas lui, je ne l'aimais pas comme ça, il n'était pas le Veilleur.

Nous te protégeons.
Nous te guidons.
Nous t'élevons.
PAS LUI !

Je ne répondais rien, les larmes coulaient à nouveau, les sanglots étaient présents aussi, presque silencieux mais malgré tout, on les entendait dans ce silence de mort. Je tremblais, j'étais pire que face à John. Pourquoi … où était mon père, je voulais le voir, maintenant, par pitié …
Pendant presque une minute, il n'eut pas un bruit dans l'église, pas le moindre, pas un mot échangé avant que je ne murmure entre deux sanglots.

-Tu me fais peur Christophe …

Elle avait peur. Elle avait tenté de le supplier pour qu'il arrête. Elle avait mis ses mains devant son visage, dans un instinct primal de protection. Il avait pourtant dit qu'il ne la toucherait pas ! L'être humain était parfois si stupide !
Elle fermait les yeux, elle sanglotait, elle ne voulait pas voir sa colère, mais pourtant, il le fallait bien. Il fallait qu'elle comprenne. Il n'agissait pas ainsi pour lui faire de la peine. Elle devait comprendre. Il devait l'éduquer. Lourde tâche. Peut-être trop lourde. Mais il l'avait promis.

Un silence s'installa, rythmé uniquement des sanglots d'Alice.
Ce n'était pas à lui de le rompre. Il attendait une réponse. Il attendait de voir si elle comprenait.
En fin de compte, elle parla. Pour signifier l'évidence : il lui faisait peur.
Le Malkavian cessa de faire danser ses doigts. Il laissa le silence agir encore quelques instants, avant de répondre, en baissant le ton de plusieurs décibels :

Bien. Il faut avoir peur. La peur est un moteur de survie.
Notre monde est sombre, mortellement dangereux. Nombreux sont les ennemis, et les épreuves à surmonter.
Si tu prends le mauvais chemin, tu mourras.
Si tu crois les mauvaises personnes, tu mourras.
Si tu écoutes les voix de la décadence, tu mourras.

On était bien loin d'une vision idyllique où l'accession au statut de vampire permettait d'être immortel et à jamais en sécurité.
Pour avoir sillonné le monde si longtemps, pour avoir côtoyé de nombreux immortels et en avoir vu beaucoup mourir, Christophe savait à quoi s'en tenir. Mais pas elle. Elle devait apprendre. Ne pas accorder sa confiance à n'importe qui. Et surtout pas à des membres du Sabbat.

Cependant, comme il songeait que cette vision du monde était beaucoup trop sombre et pouvait paraître sans espoir, surtout pour une fillette de dix-huit ans, il se pencha vers elle, la prit par les épaules et la souleva à nouveau, cette fois sans violence, pour la remettre debout.
Lorsqu'il reprit la parole, son ton avait perdu toute véhémence, et c'est avec douceur qu'il ajouta :

Mais si tu écoutes la Lune... Si tu entends notre chant... Si tu suis notre Voie... Nous ferons de toi une immortelle.
Nous marchons sur cette terre depuis près de sept siècles.
Nous savons.
Nous pouvons.
Le comprends-tu ?

Pourquoi fallait-il me faire peur ainsi ? Il n'avait jamais fait ça, ce n'était pas mon père, pas cette personne. Où était le Veilleur, je voulais tant le revoir, lui que j'aimais …
Il ne bougea pas pendant un instant, un instant ou j'osais rouvrir mes yeux clos, pour voir son visage, ses yeux brillants de colère. Ses doigts ne bougeait plus alors qu'il était face à moi comme s'il s'apprêtait à fondre sur moi. Père, pitié, reviens-moi ...

Bien. Il faut avoir peur. La peur est un moteur de survie.
Notre monde est sombre, mortellement dangereux. Nombreux sont les ennemis, et les épreuves à surmonter.
Si tu prends le mauvais chemin, tu mourras.
Si tu crois les mauvaises personnes, tu mourras.
Si tu écoutes les voix de la décadence, tu mourras.

La peur … je n'avais jamais connu que ça. Il n'y avait qu'avec lui, avec lui et Shiro que j'avais connue la paix et la joie. Je ne voulais pas que cela disparaisse, pas si vite. C'était trop tôt, trop rapide. Je ne voulais plus de la peur. Je ne voulais plus de ce que j'avais toujours connue. L'amour, la douceur, je voulais retrouver ses choses là. Je savais que j'étais en danger. Je l'avais toujours su mais là, pas Shiro, pas lui. Il m'aimait, je l'aimais …

-Il m'a protégé … il m'a secouru quand on a voulu me tuer, il était là … Il a mon cœur …

dis-je en posant ma main sur l'endroit où avant se trouvait ma montre à gousset, celle que j'avais offerte à Shiro, celle qui maintenant il portait autour de son cou.

Mes mots n'étaient pas d'insulte ou d'accusation, juste un fait. Il avait mon cœur, et celui ci était brisé par ce qu'il s'était passé ce soir, par sa disparition si soudaine, je l'aimais encore. Mon cœur lui était dédié, qu'il batte ou non …
Christophe se pencha, je faillis reculer, toujours apeurée par cette colère que je ressentais en lui, mais Ches me fit rester en place.

-Fais lui confiance Alice, il t'aime, il s'inquiétait, comprends-le … pendant une semaine, tu as disparu …

Aussi, il s'approcha, il me prit, passant ses bras sous mes épaules pour me soulever presque avec douceur, me reposant de même, debout sur le sol où il m'avait lancé l'instant d'avant. Je l'observais alors que son visage devenait plus doux, plus calme, et je sentis à nouveau monter mes larmes alors que je pensais à tout ce qu'il s'était passé. Il m'avait manqué, j'avais voulu le voir, tant de fois, mais je ne savais jamais si c'était le moment, je ne savais rien. Et là, maintenant, la seule chose que j'avais réussi à construire ne lui plaisait pas, comment devais-je faire ? Je les aimais tous les deux, il était mon père, Shiro était mon amour. Je les aimais mais il le détestait, il détestait celui à qui j'avais offert mon cœur, pourquoi ?

Mais si tu écoutes la Lune... Si tu entends notre chant... Si tu suis notre Voie... Nous ferons de toi une immortelle.
Nous marchons sur cette terre depuis près de sept siècles.
Nous savons.
Nous pouvons.
Le comprends-tu ?

Cette douceur … ça termina d'achever les barrières de peur que j'avais dressé l'instant d'avant, et c'est contre lui que j'allais me réfugier, sentant les larmes revenir à grande allure

-Il me l'a dit, Shiro m'a dit que la lune me prendrait, qu'elle arrêterait mon cœur. Je sais que tu le feras mais … je l'aime Père.

Ce mot m'était venu presque naturellement, sans même que j'y songe. Père, Christophe était celui qui arrêterait mon cœur, bientôt, et mon père. Mon cœur se serrait alors que ce mot me venait à l'esprit.
Je ne voulais plus de peur, je voulais retrouver mon père, celui qui m'avait demandé de marcher seule, celui qui m'avait dit qu'il veillerait sur moi.

-Tu m'as manqué … je ne te sentais plus près de moi … j'avais peur … peur de t'avoir perdu …

Et les larmes coulèrent encore, alors que je le serrais contre moi, comme ce jours où il m'avait réveillé, debout sur la pointe des pieds.

-Je veux plus te perdre, je veux plus perdre quiconque, plus maintenant, je veux plus avoir peur d'être seule …

Shiro ... il devait me revenir, il le devait.

L'Enfant des Ombres... l'avait protégée ? Christophe lut les sentiments d'Alice. Elle était on ne peut plus sincère. Elle croyait vraiment à son amour. Se pouvait-il que le Lasombra l'ait manipulée ? Non, s'il savait à quel chemin elle était destinée, il n'aurait sans doute pas osé...
Et la Mère des Masques lui faisait confiance également. Quel était donc cet Enfant qui parvenait à obtenir la confiance et le coeur de camaristes ? Peut-être était-il vraiment ce qu'il paraissait être, une âme sur la voie de la rédemption...

Mais Christophe ne pouvait décemment pas le laisser s'approcher de sa petite Alice. Pas tant qu'il serait évêque au service de Sacha. Pas tant qu'il serait entouré d'autant d'ennemis. Pas tant qu'elle serait seule face à eux.
Il ne pouvait pas la protéger constamment. La semaine horrible qui venait de s'écouler lui mettait cette évidence en plein dans la figure. Il lui fallait d'autres protections. La protection de la Lune. La protection de la Camarilla.

La petite fille se blottit contre lui. C'était fou. Dès que son petit corps frêle et tremblant se plaquait contre le sien, toute colère en lui disparaissait. Les voix se calmaient dans son esprit. Elle parvenait à accomplir ce qu'aucune magie n'arrivait à faire : apaiser son âme.
Elle l'appela Père. Le vieil esprit aigri du Malkavian en fut touché. Il était son Père, et elle était sa Fille.

Elle exprima sa peur de l'avoir perdu. Ce n'était pas la première fois qu'elle le disait.
Et si lui ne disait rien, il ressentait la même chose. Une crainte étrange, une affection si forte pour un petit brin d'humain... Non, pas une petite humaine insignifiante. Une élue de la Lune.
Tout allait changer.

Le vieux Malkavian passa sa main blanche et froide dans les cheveux d'Alice, et murmura :

Tu n'es pas seule. Tu ne seras... jamais... seule...

Il leva ses yeux clairs vers le Christ cloué sur la croix au bout de l'allée. Quel plus bel endroit qu'une église pour accomplir la volonté divine ?
Doucement, tendrement, il inclina la tête d'Alice. Il se pencha vers son cou. Sortit les crocs. Les plongea en elle.
Son sang avait un goût sucré. Il s'en délecta.
Depuis combien de temps n'avait-il pas fait cela ? Près de deux siècles... Il avait oublié.
Il comprenait ce que devait ressentir une mère mettant au monde un enfant. Mais c'était bien plus que cela. Il ne faisait pas que donner la vie. Il sauvait la vie d'une âme égarée.
Il transcendait son existence.

Lorsqu'il ne resta que quelques gouttes du précieux liquide vital en elle, lorsque l'étincelle de vie fut prête à quitter son être, Christophe déposa le corps fragile et blême sur le sol froid de l'église.
Il mordit dans sa propre chair, déchirant son poignet pour ensuite le tendre au-dessus de la bouche d'Alice qu'il ouvrit pour qu'elle puisse de nouveau accueillir en elle la puissante substance de vie éternelle.

Dans quelques instants, elle allait s'éveiller au monde...

Lève-toi Alice.
Lève-toi Enfant de la Lune.
Lève-toi immortelle.

Il n'avait pas hurlé à mes mots, il n'avait pas réagi. M'écoutait-il maintenant ? Me croyait-il ? Je restais contre lui, je me sentais mieux, plus calme maintenant. Il ne bougeait pas pourtant, je sentais son regard sur moi, je sentais son calme désormais, la colère … envolée. Son corps n'était plus sous cette emprise, il semblait bien plus doux, plus réconfortant ...Mes mains étaient jointes derrière son cou, mon visage était contre son torse, à l'endroit où son cœur se trouvait, ce cœur silencieux ...
Le silence était de nouveau présent alors que mes sanglots s'arrêtaient. Il avait ce don, ce pouvoir de m'apaiser. J'en oubliais sa colère, j'en oubliais celui que j'avais vu l'instant d'avant, celui qui m'avait fait plus peur encore que le Cavalier. Non, ce n'était pas celui qui m'avait effrayé. C'était à nouveau mon père. C'était à nouveau le Veilleur, et j'eus un très fin sourire, rassuré de le retrouver. Il ne le vit pas, il ne m'avait jamais encore vu sourire. Et pourtant, il était là, ce sourire, présent sur mon visage.
Mon père … Si seulement tu acceptais de voir Shiro … si seulement il était encore là … alors que je sentais mon sourire disparaître, je sentis un mouvement, ses mains dans mes cheveux, un geste doux, tendre. Si pour certains c'était peu, pour moi, ce simple geste signifiait beaucoup. Me pardonnait-il ? Je le pensais.

Tu n'es pas seule. Tu ne seras... jamais... seule...

Père … je me serrais encore plus à son cou, apaisée. Ses mains sur mes cheveux descendirent dans mon cou, avec douceur, m'inclinant la tête sur le côté. Je ne bougeais pas, me laissant faire. Pas une présence de peur, je savais ce qu'il allait faire. C'était l'heure, c'était le moment. Ches en moi, je le sentis me faire un sourire aussi. Il était heureux pour moi. Le devinait-il aussi . Je ne savais, je n'en étais pas sûre. Ma tête était penchée, et il vint vers mon cou qui lui était offert. Juste avant de voir apparaître ses crocs, je murmurais, en fermant les yeux :

-Je t'aime père …

Et la morsure vint.
Je ne criais pas pendant tout cela, parfois, de petits gémissements s'échappaient de mes lèvres mais je ne criais pas, je savais ce qu'il se passait, il arrêtait mon cœur, simplement. Peur ? Pas un seul instant. Mon corps avait peur, pas moi. Mon corps tremblait par instant alors qu'il prenait mon sang mais pas moi. J'étais là, je ne pleurais plus. Comme cette nuit contre Shiro, cette morsure. Il m'avait aimé ainsi. Et mon père arrêtait mon cœur.
Mon corps ne tenait plus, très vite, je me retrouvais dans ses bras, portée par lui. Il me tenait dans ses bras alors que la vie fuyait mon corps. Il me tenait contre lui alors qu'il me prenait ma vie …
Je n'étais plus réellement là. Je sentis le sol sous moi, mais il n'était plus froid. Je ne le sentais plus froid alors qu'avant, il l'était. En fait, je ne ressentais presque plus rien. Il faisait si sombre mais je n'avais pas peur. Il était auprès de moi, il ne pouvait rien m'arriver. Je ne le voyais plus, mais je sentais sa présence.
Puis ce goût, une goutte de sang tomba dans ma gorge, me faisant frisonner un instant. Ça m'avait surpris mais pourtant, ce n'était pas comme avant, bien loin même. Je n'avais pas aimé le jour il m'en avais fait boire mais là … j'étais .. au fur et à mesure des secondes qui passaient, je me sentais plus forte, plus … non, pas vivante, ce n'était pas ça. C'était différent. Mon corps réclamait ce sang, il le voulait, plus que tout. Je me sentais me redresser, pour venir chercher ce liquide si doux à mon esprit. Mon buste venait à la rencontre du poignet de Christophe, mes mains l'attrapèrent à leur tour pour le porter à mes lèvres. C'était si doux à mes sens engourdis, encore endormis mais pourtant, j'en savourais la saveur si particulière. Jamais je n'avais goûté quelques chose de si envoûtant. J'avais l'impression d'avoir le vertige alors que chaque gorgés m'apportait davantage de ce sang exquis.
Mais il se redressa, m'enlevant sans violence son poignet. Je me laissais retomber retombais sur le sol, sans douceur, mais sans douleur. Le sang malmenait mon corps, mon cœur … j'avais l'impression qu'il explosait dans ma poitrine, que mon corps hurlait, parcouru de spasmes incontrôlables avant que tout ne s'achève et que je reste sans bouger sur le sol, le regard rivé sur le toit, sur un rayon de lune qui perçait à travers un fissure de la coupole, je le fixais, pendant quelques instants avant d'entendre la voix de Christophe.

Lève-toi Alice.
Lève-toi Enfant de la Lune.
Lève-toi immortelle.

Me lever … autour de moi, le monde me semblait différent, bien encore qu'il ne l'avait été la première fois. J'avais le tournis, trop de choses m'apparaissaient d'un coup. Et dire qu'autrefois, la nuit me faisait peur … elle était si belle … magnifique …
Très doucement, avec prudence comme si je redécouvrais le monde, je me redressais. Doucement, très doucement. Je me sentais faible et en même temps si puissante. C'était si étrange … je tremblais tant mon corps semblait diviser entre ses deux états. Pourtant, en me redressant, assisse sur le sol, j'eus un sourire pour Christophe en l'observant, une sourire enfantin, joyeux.

-Père … tu brilles.

Un nouvel être était né. Une créature de la nuit, une Enfant de la Lune, puissante, immortelle. Une nouvelle âme au service de la Folie, qui pourrait la répandre sur la terre.
Alice, sa petite Alice, était à présent une vampire. Son coeur était en panne, comme elle le disait, et ses yeux voyaient bien plus à présent que ses simples facultés humaines. Il lui avait ouvert les paupières.

Son enfant observait le monde avec un regard nouveau.
Christophe se demanda quels dons il lui avait transmis. Un peu d'aliénation, indubitablement. Peut-être un peu d'auspex. De la domination ? Ce don s'était perdu chez les plus jeunes des Malkaviens. Peu de chance qu'elle ait hérité de l'art de se dissimuler, lui-même n'ayant jamais tenu à le développer. Il n'était pas de ceux qui se cachent.

Elle n'était pas encore debout, mais elle s'était assise, et le regardait avec un sourire joyeux. Sa remarque le fit sourire à son tour. Le sourire de Christophe était étrange, il paraissait en général malsain et effrayant, souvent bien malgré lui. Mais à cela se mêla un peu de la joie innocente qu'Alice lui transmettait.
Il brillait ? Elle avait donc hérité du don de voir les auras... Il lui apprendrait tout cela.

Viens, Alice. Nous allons prier un moment. Puis il t'apprendra ce qu'est à présent ton monde...

Il avait tant de choses à lui dire ! Les vampires, la Camarilla, le Sabbat, les Lupins, l'Inquisition, les Mages. Les treize clans, les Aubains, les ennemis, les amis. Les traditions, les postes. Les disciplines ! Le sang, la faim, la Bête, la chasse. La Folie. Tant et tant de choses ! Mais ils avaient l'éternité devant eux à présent.
Alice ne quitterait pas l'église tant qu'elle n'en aurait pas appris suffisamment. C'était l'affaire d'une semaine. Et lorsqu'elle serait prête, il la présenterait au Prince... Et elle serait enfin une Malkavienne à part entière.

[ hrp : fini pour moi ! L'apprentissage et la présentation ne se joueront pas, compte donc une semaine en-jeu pour tout cela, puis tu pourras continuer tes bêtises seule comme une grande ^^ ]

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