La douleur, ce n'était pas grand chose.
Jaime avait déjà connu bien pire, il était habitué à s'en prendre plein la gueule. La situation, en revanche, risquait de sacrément dégénérer. En plus d'être Brujah, le colosse était sabbatique, et le Ravnos doutait de son discernement quant à éviter de faire étalage de sa nature surnaturelle dans un lieu rempli d'humains. Et dans un lieu, de surcroît, que Jaime affectionnait et où il avait promis de ne pas faire d'esclandre.

Le craquement de son épaule s'était distinctement fait entendre par ses collègues humains à la table. Il n'avait pas pensé que le Brujah attaquerait si tôt les hostilités, et n'avait donc pas eu le temps de parer le problème.
Les humains réagirent comme des humains : l'une menaçant d'appeler la police, l'autre une ambulance, d'autres restaient stupéfaits et les deux derniers s'étaient levés, Wei incitant tout le monde à se calmer. Evidemment, cela attira l'attention d'autres clients qui se tournèrent vers eux.

* Velvet va me trucider... *

Le plus dur était de résister à l'envie réflexe de soigner son épaule. Il ne fallait pas que les humains s'en rendent compte. Il restait donc avec une clavicule broyée, et un air crispé sur le visage.

Fais pas le con...

Le Brujah lui adressa un grand sourire, en répondant :

Pourquoi ? Tes potes comptent me tuer à coup de téléphone ?
On est dans un lieu public bordel...
Qu'est-ce que j'en ai à foutre ?

Jaime lâcha quelques mots dans une langue étrange, aux accents colorés. Même si le Brujah ne bitait pas un mot de romanichel, cela ne manqua pas de l'énerver encore plus, et il saisit Jaime par le col de son manteau pour le soulever de son siège d'une seule main.
Il fallait agir, et vite.

Lâche-le, Saïd.

Un homme brun, arborant divers piercing, tatouages, et parlant avec un léger accent russe, venait de s'avancer vers la table, d'une démarche sereine mais ferme.
Le colosse, en le voyant, lâcha immédiatement Jaime qui fit mine de s'effondrer au sol.
Sur le coup, le Ravnos n'avait pas trouvé plus subtil que de faire apparaître l'Archevêque du Sabbat, qui ne manquerait pas de stopper le Brujah, s'il était un minimum discipliné.

Tu feras sa fête à notre ami plus tard, nous sommes entre gens civilisés. Viens avec moi.

Le stratagème fonctionna à merveille, Saïd suivit le faux Sacha vers la sortie en grommelant, après avoir décoché un coup de pied rageur dans les côtes de Jaime qui était resté à terre.
L'incident principal était réglé, restait à en gérer les conséquences...

Elena se précipita vers Jaime, pour vérifier qu'il allait bien. Avec l'assistance de Wei, elle l'aida à se rasseoir sur la banquette. Il jouait la comédie, le visage crispé de douleur.
En tout cas, la petite avait eu un sacré courage pour menacer le colosse. Elle n'était pas aussi cruche qu'il l'avait pensé au premier abord. Mais le temps n'était plus vraiment à la séduction.

James annonça que l'ambulance allait bientôt arriver. Eh merde, l'ambulance ! Il avait oublié ce détail. Pourquoi les humains se sentaient-ils toujours obligés d'appeler une ambulance au moindre petit problème ? A une autre époque, les blessures se guérissaient avec le temps, il n'y avait pas besoin de gaver les gens de médicaments chimiques.
Mauvaise idée, en tout cas, très mauvaise idée.

Non non, pas d'ambulance, c'est pas la peine.

Daniel posa la question qui inévitablement allait venir, et Wei en ajouta une couche. Il était donc temps de leur servir un nouveau mensonge.

Ça va aller, vous en faites pas. Il m'a pas broyé l'épaule, il l'a juste démise... C'est pas la première fois que j'ai affaire à ce salopard, et il sait que j'ai une faiblesse dans l'épaule.

L'illusion de l'Archevêque lui avait déjà demandé pas mal d'énergie, surtout que la concentration avait été délicate, mais il lui fallait en créer une nouvelle. Une petite, toute simple, uniquement sonore.
Jaime porta la main à son épaule, et la bougea d'un coup sec. Un nouveau craquement se fit entendre, tandis qu'il mimait de retenir un cri de douleur, et guérissait son épaule. Hop, ni vu ni connu, et les humains penseraient qu'il s'était simplement remis l'épaule en place.
Il admirait la faculté des mortels à gober n'importe quel bobard leur permettant de relativiser et justifier les évènements surnaturels.

Voilà...

Yannick lui demanda alors quelle était la langue qu'il avait utilisée, lorsqu'il avait marmonné une insulte envers le Brujah.
Ah. Oui. Il l'avait fait par pur réflexe, c'était tout juste s'il s'en était rendu compte.

Romanichel. Ma mère était gitane.

Il jeta un regard en arrière, vers le reste de la salle. L'incident était passé, les clients étaient retournés à leurs tables, les danseuses avaient repris leur show.
Jaime lança à un serveur qui passait non loin, d'un ton qui se voulait jovial :

Bon alors, ils arrivent ces cocktails ? J'ai bien besoin d'un remontant !

Diversion sur l'alcool. Ça fonctionnait bien en général.

Bien, la question de l'ambulance était réglée. Les secours ne viendraient pas, et Jaime n'aurait pas besoin de s'en occuper. Il adressa un signe de tête à James, autant pour signifier qu'il avait entendu que pour le remercier.
Elena restait près de lui, et Jaime n'allait pas la rejeter. L'incident était terminé, ou tout du moins remis à plus tard, et la soirée pouvait reprendre.

Trois des attablés se levèrent alors pour partir. Jaime espéra que le mouvement n'allait pas être suivi par les trois autres... En général, quand une personne dans un groupe partait, le reste ne tardait pas faire de même. Il leur souhaita une bonne fin de soirée, et adressa un grand sourire à Elena quand elle signala sa chance d'avoir trois hommes pour elle seule.
Si lui-même avait de la chance, les deux derniers hommes finiraient par s'éclipser pour les laisser tous les deux. Mais Daniel semblait bien trop protecteur, et il se méfiait toujours de lui.
Comment s'en débarrasser ?

Les cocktails arrivèrent enfin, à présent qu'il manquait une partie du groupe. Il y en avait donc sept pour quatre, soit un de trop... Jaime en prit un vers lui, en mit un devant Elena, et lui proposa :

Si tu veux, on pourra s'en partager un, comme ça tout le monde en aura.

La discussion dériva alors sur les mésaventures de Daniel. Apparemment, il avait été malmené par des... détenus ? Avait-il fait de la prison ? Discussion étrange.
Et si Daniel ne semblait pas motivé pour en parler, cela ne faisait que renforcer la curiosité du Ravnos.

Ah, on dirait que je ne suis pas le seul bagarreur ici !
Tu as fait de la prison, Dany ?

Il était quasiment certain que ce surnom ne serait pas du goût de Daniel le boudeur, et comptait bien en profiter. Peut-être pourrait-il suffisamment l'énerver, ou tout du moins le mettre assez mal à l'aise pour qu'il ait envie de partir se réfugier chez lui, peinard, lui qui avait apparemment été traîné de force dans cette soirée.

Daniel avait entamé son deuxième cocktail, mais malgré les prédictions de son ami asiatique, il ne devenait pas plus joyeux pour autant. Il lui accorda un léger sourire pourtant, lorsque Jaime lui demanda s'il avait fait de la prison. L'explication était logique, et donnait du sens à l'histoire racontée avant. Pourtant, le jeune homme n'avait pas l'air d'un gardien de prison.
Jaime sourit, et dit sur le ton de l'humour :

Voilà qui explique ta mine joyeuse ! Ne dit-on pas "aimable comme un gardien de prison" ?

Bon, comme une porte de prison, certes, il avait légèrement détourné le proverbe.
Sans doute n'aurait-il pas dû dire cela, mais c'était sorti avant qu'il y réfléchisse. Avec un peu de chance, Wei en rirait, gai luron comme il semblait être, et la pique passerait.
L'information était intéressante, cela-dit. Le métier n'était pas commun, et il était toujours utile de savoir à qui l'on avait à faire.

L'organisme peu fonctionnel de Jaime se rappela à lui, lui signifiant que l'ingestion de nourriture humaine ne pouvait durer qu'un temps. Il allait falloir qu'il aille rapidement vomir, et surtout discrètement : ce n'était pas idéal pour lier connaissance avec des humains que de régurgiter des cendres sur eux.
Le Ravnos claqua ses mains sur la table et se leva, en annonçant avec un sourire :

Bon, je vais aller faire de la place pour le deuxième cocktail. Ne faites pas de bêtises en mon absence !

Il adressa un clin d'oeil à Elena avant de prendre le chemin des toilettes. Le temps de vomir les maudites cendres, et il revint... Mais plutôt que de retourner directement à la table, il préféra rester à distance un moment et écouter, par l'intermédiaire de ses dons vampiriques, ce que les trois humains se racontaient... Ainsi saurait-il peut-être ce qu'ils pensaient vraiment de lui.

Qui était cette gamine, c'était surement la question qui devait se poser. Qui était cette pauvre p'tit gosse, vêtue de vieilles fringues trop grandes pour elle, maigre comme tout (en même temps, comment ne pas sentir cela quand on tenait une personne tout contre soit ?) et surtout si hystérique. Qu'est-ce qu'on lui avait dit déjà ? Que cette gamine était entrée par la porte de service ? Ah non, celle des artistes. Non mais sans déconner, ils pouvaient pas la fermer cette foutue porte ? Ou les autres greluches auraient pas pu le faire ? Mais non, trop compliqué pour ses dames et le voici maintenant avec cette gamine complètement dingue entre les bras, luttant pour la garder contre lui, et la traînant presque dehors. Et puis merde, pourquoi elle hurle comme ça ?! Il allait pas la violer non plus. Il devait juste la foutre dehors.
''Discrètement'' que M'dame Velvet avait dit … discrètement … avec un truc pareil ? Nan, mais il pouvait juste la foutre en coma, un truc du genre qu'elle se la boucle !
Nan, pas ça, les enfants, c'est sacré, et puis cette gosse .. une vraie furie quand même, même si elle était chiante, il pouvait pas …
Mais soudain, il reçut une tatane dans la joue qui lui fit lâcher prise. La proie se fit la malle, une porte du couloir s'ouvrit en grand et elle disparut derrière.
Oh non … et si, l'une des portes de la grande salle, celle juste à côté du bar …


-Reviens ici p'tite garce !


Et voilà le mastodonte lancé à sa poursuite. 

*******************************


J'avais réussi à lui échapper, à fuir cet homme. Je n'avais rien fait, rien du tout, juste … je m'étais trompée de porte. C'était Cheshire qui m'avait dit que je trouverais de quoi manger là, j'avais faim, c'était tout. Chez Shiro, il n'y avait rien à manger, et j'avais faim. J'étais sortie, sans mon argent, et j'avais erré. Pas ma faute, je cherchais, et cette porte … j'aurais pas du la passer.
D'un coup, je me retrouvais dans une grande salle. C'était … bizarre. Comme un autre monde qui apparaissait soudain. Mais pas le temps de l'admirer, j'entendis l'autre derrière. Un homme est là, debout, pas loin de moi. Sans réfléchir, je me précipitais, lui attrapant le bras pour le secouer un peu.


-Aidez moi, il … il veut m'attrap …


Mais une chose m'arrêta, sur lui, chez lui. Son regard. Nos yeux se croisèrent et cela me stoppa aussitôt, net. Ses yeux … profond …


-Tes yeux ... Trop vieux ...


Je lui tenais le poignet, et maintenant, alors que pendant un instant, je me concentrais, je puis le voir, le sentir : il était froid. Mon regard descendit, puis remonta vers ses billes bleutés. Ses yeux, comme le Veilleur, il avait vu trop de choses, trop vieux pour son visage, comme Shiro. Et surtout, je ne sentais pas le boum-boum des hommes. Je ne tenais que son poignet mais je ne le sentais pas du tout …


-Un cœur en panne …


Je murmurais, sans bouger, toute panique s'était évaporée en un instant. Et l'autre me fonçait dessus alors que mon regard était comme fixé sur lui, sur ses yeux si étranges et si semblables aux autres. Dans un instant, il allait me chopper mais je ne sentais même pas le danger, trop absorbée, tenant toujours son poignet dans ma main.  

Jaime était revenu juste à temps pour entendre la sentence de Daniel : "Je ne lui fais pas confiance."
Evidemment. On lui faisait rarement confiance, les hommes en tout cas. Avec les filles, c'était plus facile, de doux regards, un sourire, quelques belles paroles et elles se laissaient amadouer. Mais les hommes... Ce gars-là était gardien de prison en plus, il devait être habitué à ce qu'on essaie de l'entuber. Le genre de type qui sent quand quelqu'un n'est pas clair...
Mais Daniel termina en disant qu'il ferait un effort. Parfait ! Il allait pouvoir retourner s'asseoir...

Un contact pressant sur son poignet et une voix qui s'élevait lui firent rompre sa concentration. Il baissa un regard un peu perdu sur une jeune fille débraillée et sale. Mais d'où elle sortait celle-là ? Pas tellement assortie au décor !
Elle le regardait avec des yeux étranges, comme si elle tentait de voir à travers lui. Elle semblait en tout cas fascinée par sa vision. Certes, il avait de beaux yeux, mais tout de même...

Tes yeux, trop vieux... Un coeur en panne...
Jaime fronça les sourcils. Ce n'était qu'une humaine pourtant. Et en quelques instants, elle avait compris qu'il n'était pas humain.
Une inquisitrice ? Non, elle n'en avait pas l'allure. Et elle se serait déjà occupée de lui, elle aurait déjà sorti une arme ou proféré une prière visant à le blesser ou l'éloigner.
Qu'est-ce que c'était que ce délire ?

VIENS ICI TOI !

Jaime détourna les yeux de la jeune fille quelques instants, pour voir l'un des serviteurs de Velvet se ruer vers lui. Apparemment il en voulait à la gamine, et elle devait l'avoir sacrément fait enrager pour qu'il ait le teint aussi cramoisi.
Mais Jaime le connaissait, pour avoir de nombreuses fois été tenu à l'oeil par ce videur un peu bourru mais pas méchant. Le Ravnos leva la main en signe de paix, et tâcha avec son autre bras, toujours tenu par la fille, de la passer derrière lui.

Woh, eh, du calme Willy, qu'est-ce qui se passe ?
- Cette petite garce s'est introduite par l'entrée des artistes, elle est complètement cinglée, elle s'est mise à hurler quand j'ai voulu la ramener vers la sortie, une vraie folle hystérique...
- Elle a l'air hystérique là ? T'en fais pas Willy, je m'en occupe.
- Mais M'dame Velvet a dit...
- T'inquiète pas pour Velvet. Retourne bosser va, je sais que tu adores mater les danseuses quand elles se changent.
- Comment tu...
- Ça reste entre nous.

Jaime lui adressa un clin d'oeil complice, et le videur fut bien contraint de repartir, soulagé après tout de ne plus avoir à s'occuper de cette gamine frapadingue.
Le Ravnos en revanche, était tout sauf soulagé. Une fois Willy reparti en coulisse, il se tourna vers la fille, lui posa une main sur l'épaule, se penchant vers elle avec un air sérieux et soucieux, et lui dit à voix basse :

Bon. A nous deux maintenant. Qu'est-ce que tu es au juste ?

Il en avait complètement oublié Elena, Daniel et Wei, attablés à quelques mètres de là.

Je le fixais et il faisait de même. Ses yeux étaient braqués sur moi, il fronçait les sourcils, troublé peut être, surpris oui, il l'était. Il le semblait même carrément. Mais aucun de nous ne parlait, on s'observait juste, moi fascinée, avant que ne retentisse la voix de l'autre fou ...

VIENS ICI TOI !

Un réflexe, la peur revint, toujours en lui tenant le bras, je me planquais derrière celui dont le cœur était en panne, me cachant dans son dos alors que l'autre s'arrêtait devant lui. Je me tenais à son vêtement, une main autour de son poignet, l'autre agrippée à sa veste, apeurée par ce fou qui voulait m'avoir. Je tremblais, m'accrochant désespérément à cet homme comme eux. Est-ce qu'il était réellement comme eux ? Je l'espérais, je l'espérais vraiment !
Les deux parlaient, je ne bougeais pas, je restais contre lui, sans bouger. Il m'effraie, il m'avait fait peur. Je ne voulais pas faire de mal, j'avais juste faim, et lui m'avait couru après, et l'autre Dame … elle aussi aux yeux étranges, elle et lui avait voulu me balancer dehors ! Pourquoi ? Je ne faisais rien de mal !

Mais il finit par partir. Presque avec timidité, je passais la tête, un tout petit peu pour le voir s'éloigner, encore furieux mais sans pour autant être complètement furax. Il partait, j'étais sauve, du moins, en partie. Le Comme-Eux se tourna vers moi, doucement. Il posa une main sur mon épaule, et un frisson parcourut mon corps, le traversa alors qu'il se penchait vers moi, sans sourire. Même si ma peur était parti, j'avais encore l'inquiétude, j'avais encore cela, et sans que je comprenne pourquoi, je tremblais encore un peu ... et je n'arrivais pas à lâcher son regard …

Bon. A nous deux maintenant. Qu'est-ce que tu es au juste ?

-Au juste ?

J'étais quoi ? C'est ça qu'il me demandait ? Pourquoi ? J'étais étrange pour lui ?

-Je suis …

Mais soudain, mon estomac gronda, bruyamment. C'était … ma main se posa dessus, complètement déconnecté alors que je sentais de bonnes odeurs à côté de moi.

-J'ai faim ...

J'avais vraiment faim … c'était pour ça que j'étais entrée ici, que je m'étais fait coursé par l'autre fou, et que je m'étais retrouvé faire à le Comme-Eux.

-Mais toi, pourquoi tu es comme ...

-Bonjour Alice.

Je tournais la tête pour le voir soudain, Daniel ? Je l'observais un instant et pourtant, malgré la surprise, malgré tout, je tremblais encore. Daniel … il ne fallait pas qu'on se voit, c'était … Je tenais toujours le poignet du Comme-Eux, ma étreinte sur celui-ci c'était resserré un peu en voyant Daniel. Il ne fallait pas, lui, elle l'avait …
Je n'avais pas osé ouvrir la bouche, ni même bouger. Je restais contre lui, ne sachant pas trop comment agir, n'osant pas approcher, ni parler. Trop de complication … je n'osais même pas le regarder dans les yeux.

-Qu'est-ce qui s'est passé?

Willy la brute était reparti, à présent le Ravnos pouvait s'occuper de la jeune fille.
Il lui demanda ce qu'elle était. Non pas qui elle était. Si elle comprenait qu'il était un vampire, c'est qu'elle ne devait pas être une humaine normale. Une goule peut-être, une goule suffisamment vieille pour posséder le don de double-vue et qui avait repéré son aura... Mais pourquoi le signifier ainsi ? Elle prenait là de sacrés risques !

Elle tremblait en tout cas, et s'était accrochée à lui lorsque le videur avait voulu lui mettre la main dessus. Elle l'utilisait comme bouclier ? Mais qui était cette fille ?
Elle était encore inquiète quand Jaime lui posa sa question, et ne répondit pas vraiment. Elle ne semblait pas comprendre la question. Elle semblait complètement paumée. Peut-être n'était-elle pas d'origine surnaturelle, peut-être était-ce une simple junkie shootée à la coke et qui avait des hallucinations.

Mais alors qu'elle allait à son tour lui poser une question, elle fut interrompue par l'arrivée de... Daniel ! Ce cher Daniel, décidément l'intrus de la soirée, qui venait lui dire bonjour.
Ah. Il la connaissait donc. Et demanda ce qui s'était passé.

Le cerveau de Jaime tourna à toute allure. Vite, trouver quelque chose. Vu les fringues de la fameuse Alice, et son état pitoyable, elle devait vivre dans la misère, et ne pas manger à sa faim tous les jours. Une SDF sans doute. Mal assortie à un gardien de prison.
Mais comme elle s'était accrochée à Jaime, il pourrait tenter de faire croire qu'il la connaissait. Il répondit donc, du ton le plus naturel possible :

Oh c'est rien, Alice a voulu trouver quelque chose à manger, mais elle est entrée par la salle des artistes, du coup le videur a voulu la mettre dehors. Mais t'en fais pas Daniel, je m'en occupe.

* Allez, dégage, monsieur le bisexuel frustré, retourne picoler avec tes potes, et laisse-moi me charger de cette gamine... *

Pourquoi je me retrouvais devant lui, ce soir. J'avais fui, lui et le danger qui rodait autour de lui, ce danger dont j'étais la cause. , je m'étais enfuis pour le protéger, pour qu'Elle ne puisse plus l'atteindre mais là … j'avais l'impression d'entendre son rire derrière moi, ce rire qui me glaçait le sang. Je tournais la tête soudain, la cherchant dans mon dos, m'attendant à La voir surgir soudain de derrière moi.
Mais rien, elle n'était pas là. Il y avait des gens, il y avait du monde, mais pas Elle... je m'accrochais toujours à Comme-Eux alors que j'observais à droite, à gauche, apeurée. Oui, j'avais peur, oui, je ne voulais pas les voir apparaître d'un coup, jaillir de derrière mon dos et me foncer dessus.

Oh c'est rien, Alice a voulu trouver quelque chose à manger, mais elle est entrée par la salle des artistes, du coup le videur a voulu la mettre dehors. Mais t'en fais pas Daniel, je m'en occupe.

C'était Comme-Eux qui parlait. Surprise, je relevais la tête pour le voir parler avant d'observer Daniel. Il semblait si … méchant. Son visage que j'avais vu si doux était crispé, bien plus fermé, comme s'il s'était pris … enfin bon, il était différent, beaucoup. Et ça me faisait d'autant plus peur. Pourquoi était-il ainsi . C'était étrange, différent, et je n'aimais pas ça. Je n'aimais pas cette colère que je ressentais chez lui. Je fis un pas encore en arrière, restant contre Comme-Eux, de peur de voir Daniel devenir méchant.

-Je vois. Mais Alice n'est pas une inconnue pour moi et cela fait un moment que je ne l'ai pas vu, tu permets que je prenne de ses nouvelles je suppose.

Je fuyais un peu son regard, fixant mes yeux à mi-hauteur, au niveau de son ventre. Je savais pas comment il allait réagir.

-Et bien Alice, aurais-tu avalé ta langue?

Je fis un grand signe de tête, un grand signe pour lui dire ''non''. Non, je n'avais pas avalé ma langue, j'avais juste peur. De lui, de ce qui pourrait lui arriver, de ceux d'ici. J'avais peur, j'avais faim, réellement. Très faim. Et sommeil, un peu. J'étais pas bien, je n'aimais pas cet endroit, je voulais en partir. Je regardais les quelques portes que je voyais, avec l'air envieuse, comme si je n'avais qu'une hâte, c'était de m'enfuir à nouveau. Fuir, parfois, j'avais l'impression de ne savoir faire que ça …
Shiro était le seul que je n'avais pas fui, Christophe non plus, mais je ne l'avais pas revu depuis quelques jours. J'avais un peu l'impression qu'il m'avait perdu, comme s'il ne me surveillait plus. J'avais l'impression d'avoir perdu cette présence de sa part, cette étreinte que j'avais la sensation d'avoir autour de moi. Mais là … non, c'était Shiro qui le remplaçait …

-Ches ne me l'a pas pris, dis-je tout bas, presque trop.

Je ne savais même pas si l'un des deux m'avaient entendu. Je n'en étais même pas sûre, même pas sûre d'avoir entendu ça.

-As-tu trouvé ce que tu cherchais?

Ce que je cherchais …

-Le Veilleur …

Je relevais les yeux vers lui, doucement, comme si j'avais peur qu'il me morde d'un coup et je hochais la tête, tout simplement, en tenant toujours le poignet de Comme-Eux. Oui, je l'avais retrouver. Mon père, mon protecteur … et ce soir, j'étais comme entre les deux, les deux étrange qui s'observaient, se regardaient de manière étrange. Et je tremblais, par instinct, comme si ça allait mal se passer, comme si tout allait tourner de travers …

Mais non, décidément, Daniel n'allait pas le lâcher ! Il devait avoir un problème avec les femmes celui-là, pour empêcher Jaime de leur causer en toute tranquillité.
Le gardien de prison était à nouveau bien sec avec lui, oubliant qu'il avait promis de faire un effort. Mais sans son jovial ami Wei pour le contenir, il n'avait aucune raison de se montrer aimable.

En tout cas, Alice n'avait pas l'air spécialement contente de le voir. Au contraire, son aura était teintée de peur, et elle restait silencieuse à ses questions, se contentant de répondre par des grands signes de la tête. Elle murmura quelques mots aussi, qui n'avaient pas grand chose de sensé. Plus ça allait, plus Jaime se confirmait l'idée de la droguée, ou en tout cas d'une fille qui n'avait pas toutes ses cases.

Elle restait collée à Jaime, et avait un peu reculé, s'éloignant de Daniel. Intérieurement, le Ravnos jubilait. Celle-là, Daniel ne l'aurait pas. Le jeune homme devait fulminer intérieurement. Oh oui, quelle belle aura teintée de rouge ! Il était bien crispé le gamin, et Jaime n'allait pas se faire prier pour en jouer un peu.
Il passa son bras autour de l'épaule d'Alice, dans un geste amical et protecteur, et lança à Daniel :

Ecoute, tu vois bien qu'elle n'est pas dans son assiette là. Alors laisse-la tranquille tu veux ?

Jaime avait bien repéré les regards envieux d'Alice vers les portes de sortie, et s'il ne prenait pas rapidement une initiative, elle risquait de lui filer entre les doigts, sans qu'il ait pu savoir ce qu'elle savait exactement, et ce qu'elle était.

Allez viens ma belle, il y a un KFC juste en face, je te paye une boîte de cuisses de poulet. Tu as l'air affamée ma pauvre.

En plus ça allait faire enrager Daniel, petit cadeau bonus. Le jeune homme avait encore à s'occuper de ses amis. Bon, Jaime devrait oublier Elena pour ce soir, mais il y avait plus important à gérer.