La nature a horreur du vide. Et il en était ainsi pour tout un tas d’autres choses, comme par exemple le pouvoir. Oui, le pouvoir. Laissez à l’abandon un lieu ou un poste d’influence quel qu’il soit, et voyez comme les ambitieux et les opportunistes se mettront à rôder autour comme des charognards, les yeux brillants de convoitise. Helena n’en était pas là. Après tout, que pouvait bien représenter pour elle une Fondation livrée à elle-même si ce n’est un agréable petit bonus et bon point de départ lorsque l’on était déjà un Seigneur Tremere comme elle ? La Fondation de Los Angeles avait été, jusqu’à peu, entre des mains compétentes, suffisamment pour que rien ne l’oblige à s’attarder trop longuement dans la ville pour remettre de l’ordre par elle-même. Mais désormais, ce temps était révolu, et sous couvert d’une régence temporaire de la Fondation, elle comptait bien tisser sa toilé sur la Cité des Anges afin d’en faire l’un de ces bastions.

Entamant sa deuxième nuit dans la cité, au sein de la Fondation, elle avait passé la précédente à s’y installer, à poser les bases de son autorité, à y apposer sa marque. Ce lieu était resté trop longtemps sans Régent, et en l’absence d’un confrère ou d’une consœur apte pour reprendre ce rôle pleinement, il fallait bien que quelqu’un mène la barque à attendant. De plus, Los Angeles manquait cruellement d’un représentant digne, d’un poids politique chez les Sorciers.
D’un Ancien. Ou d’une Ancienne, dans le cas précis.

Ainsi donc, les jeux étaient fait ! Elle occuperait également le rôle de Primogène, complétant ainsi le cercle des conseillers autour du récent Régent de la Camarilla de Los Angeles. Nathanael Pierson, l’un de ces maudits Ventrue anglais… Si elle avait entendu parler de lui, si elle l’avait déjà vu de plus ou moins près, elle ne l’avait en revanche pas recroisé depuis cette promotion ayant suivi la chute d’Amelia Quinn. Las ! Il lui fallait pourtant sauver les apparences et s’annoncer en bonne et due forme, puisqu’elle allait s’installer en ville au moins quelques temps. Un mauvais moment à passer, mais après, les jeux, de pouvoir ou de lutte contre la vermine Sabbatique, pourraient débuter pour elle.

Quittant la Fondation, un remarquable bâtiment provenant du 18ème siècle, on la conduisit juste devant le Manoir Little Dove. Les goules la laissèrent passer la grille d’entrée sans problème, elles auraient été bien mal avisées de lui en causer. C’était son devoir que de s’annoncer, cela faisait parti de la politesse la plus élémentaire, en plus de leurs Traditions. Elle ne comptait pas s’y soustraire, pour autant, elle prit son temps pour traverser les jardins qui la séparait du manoir. Elle en appréciait l’élégance, ayant pris le goût du luxe depuis bien longtemps maintenant, comme le démontrait sa tenue Chanel immaculée.

Spoiler:

Pour autant, quel dommage de voir la ville sous la coupe de cet Anglais ! Enfin, il n’était pas Prince officiellement, son emprise restait encore à confirmée. Et ce fait-là ravissait Helena bien plus qu’elle n’aurait voulu l’admettre. Mais cela viendrait plus tard…

Pour l’instant, un autre détail attira son attention, alors qu’elle poursuivait son chemin dans le jardin en direction du manoir. Un individu, un semblable vêtu d’une longue bure de moine, chose plutôt incongru aux jours d’aujourd’hui. Sûrement pas le genre d’accoutrement dont userait un jeune vampire. Un Ancilla ? Non, cela lui paraissait peu probable aussi. Il n’y avait que ceux d’un certain âge pour être réfractaire à ce point aux changements qui s’opéraient au fil du temps. Voyons, une bure ? Cela ne correspondait-il pas à l'un des profils qu'elle avait demandé à l'un des novices, au sujet des autres Primogènes ainsi que des personnalités influentes de la ville ? Assurément, cela lui rappelait même celui du Primogène Malkavian... Allons bon, le premier vampire qu'elle allait rencontrer en dehors de ceux de son clan allait être cet Ancien réputé solitaire et peu amateur d'Elyseum ? La non-vie se révélait parfois surprenante, même après plus de trois siècles. Voyant qu’ils allaient inévitablement se croiser alors qu’elle continuait d’avancer, elle le salua de sa voix douce une fois arrivée à sa hauteur.

« Bonsoir, Sieur Malkavian. »

Bien que peu friande de relations avec les Enfants de la Lune à cause de leur tempérament instable, Helena éprouvait toujours au moins une pointe de curiosité scientifique quant à la façon dont allait se traduire la folie dont était atteint ceux de ce clan lorsqu'elle s'adressait à eux pour la première fois. Mais la plupart du temps, une fois cet éphémère sentiment passé, elle se désintéressait du sujet et gardait ses distances. Les Prophètes avaient cela d'agaçant, il n'était pas aisé d'avoir plusieurs coups d'avance sur eux alors qu'ils se révélaient souvent imprévisibles et obéissant à des règles connues de leur seul esprit. Mais ici, l'exception était de mise, ce n'était pas un Malkavian parmi tant d'autres, mais leur Ancien et Primogène. Un individu qui lui serait amené de voir à certaines occasions au moins, malgré son tempérament solitaire. Il fallait donc au moins que les présentations soient faites, et qu'importe si cela se limitait à ça pour cette nuit, cela suffirait amplement.

« Pardonnez-moi de troubler votre contemplation. Je me nomme Helena Hawke, Ancienne du clan des Mages, Seigneur de Californie et récemment, Primogène de Los Angeles. La Fondation est également à ma charge. Je viens donc me présenter au Régent comme il se doit puisque je vais être amenée à rester en ville pour une durée indéterminée. »

Un échange qui serait sûrement bref, elle n'avait aucunement envie de s'attarder en présence du Ventrue. Mais cela valait bien la peine ne serait-ce que pour jauger sa réaction. Les querelles entre Ventrue et Tremere anglais sauraient-elles rester au placard, ou bien secoueraient-elles la ville, bien que l'Angleterre soit bien loin d'eux ? Difficile à dire pour le moment. Et puis il y avait cette histoire d'entraînement imposé dont elle avait eu vent brièvement par les apprentis de la Fondation… Si une première approche ne semblait pas propice pour chercher à imposer ce qu'elle prévoyait pour les siens, nul doute qu'elle ne tarderait pas à revenir dans ce but. Les Sorciers avaient des capacités uniques, ils convenait donc qu'elle les prenne en main elle-même, plutôt qu'ils s'entraînent avec le reste de la plèbe des autres Nouveaux-Nés où ils ne pourraient exploiter pleinement leur potentiel en Thaumaturgie. Mais c'était là une autre affaire, revenons plutôt à notre Malkavian ici présent.

« Je crois savoir que vous êtes vous-même Primogène des Prophètes. Je tenais donc à vous saluer également et vous présenter mes respects, en bonne et due forme. »

Elle n'en dit pas plus sur ce qu'elle savait de lui. Certains Anciens aimaient à étaler d'eux-mêmes leurs titres et leur prestige, d'autres les jugeaient comme une évidence que tous se devaient de connaître. Parfois, plutôt que de faire preuve de présomption et froisser un aîné, mieux valait rester entre les deux. Après tout, fou ou pas, elle était en présence du vampire le plus vieux de la ville, du moins, du côté camariste.

« Les trois quarts des folies ne sont que des sottises. » avait un jour dit Chamfort. Que pouvait-on dire du quart restant ? Était-ce du génie, une clairvoyance quelconque ? Une lucidité peu commune sur le monde, des divagations qui ne valaient pas la peine que l’on s’y attarde ? L’avis de l’Ancienne était déjà tranché à ce sujet : on ne pouvait se fier à la folie des soit-disant « Prophètes », ces illuminés qui ne savaient pas saisir l’instant présent et préféraient se concentrer sur des morceaux de « visions » qui étaient censées indiquer leur avenir, la route à suivre. Le futur se préparait avec le présent. Aussi était-il de bon ton de prendre avec des pincettes les mots qui sortaient de la bouche d’un Fou.

« Loin de moi l’idée de l’oublier… En parlant d’oubli, je suis certaine que vous gardez également à l’esprit que ce ne sont pas les prophéties qui font l’avenir, mais bien les actes. »

Piqûre de rappel, coup d’estoc en réponse. L’animosité de l’Ancien à l’égard des Sorciers était un secret de polichinelles. Helena s’était doutée dès le départ de ce à quoi elle devait s’attendre de la part du Primogène. Mais n’était-ce pas ce qui faisait le charme de cette rencontre ? De temps en temps, il fallait bien affûter sa langue pour rester à son meilleur niveau. Aucune alliance n’était à attendre de ces deux partis, mais l’Ancienne aimait à savoir où elle mettait les pieds ainsi que les personnes qu’elle allait devoir fréquenter un minimum.

Par son revers, Helena exprimait beaucoup de choses et pourtant rien de précis. Mais nul doute que le Fou en saisirait toutes les nuances. Elle était une femme dynamique quand il s’agissait de faire bouger les choses à son avantage, à accroître son pouvoir. Le clan des Sorciers l’étaient, comme le prouvait son ascension au sein de la Camarilla. Quand était-il des Enfants de la Lune, ces fous qui se tournaient vers les entrailles pour lire l’avenir ou qui n’écoutaient que les voix dans leur tête plutôt que celles de la raison et de la logique ? Un clan dépassé, archaïque, sur lequel prendrait le pas les Tremere, comme cela finirait par être le cas pour chacun des autres. Il n’y avait la place de briller que pour les Sorciers. Si parfois certains accords étaient possibles, si certains Fous pouvaient avoir leur utilité, Helena sentait que celui qui lui faisait face ne serait qu’une désagréable épine dans le pied. Usurpateurs… Les mots d’un vieux vampire qui ne savait évoluer avec son époque, qui ne savait non plus reconnaître l’excellence lorsqu’il la voyait chez un autre clan, particulièrement celui des Mages.

« L’excellence est un terme qui s’accorde plutôt bien à mon clan, effectivement. »

Loin de prendre ombrage de l’insulte à peine voilée du Malkavian, Helena préférait jouer de ses mots et conserver sa zénitude ainsi que son éternel sourire aimable. Ce n’était pas le mépris de l’Ancien à son égard et celui de son clan qui allait l’intimider. Il n’était ni ne serait le dernier à se défier d’elle.

«  Peut-être saurez-vous vous réjouir des nouvelles que j’apporte au Régent ainsi qu’à la Sainte Camarilla ? La Fondation est déjà prête à prendre la nouvelle direction que je souhaite lui donner et plusieurs de mes frères et sœurs de San Franscico nous rejoindrons bientôt afin de palier au manque de Sorciers présents ici… »

Elle aurait pu l’insulter de façon détournée comme il l’avait fait. Ou elle aurait pu user des renseignements dont on lui avait fait part quant à l’Infante de l’Ancien et le frapper durement. Elle n’en fit rien, se contentant de le taquiner malicieusement. Et elle préférait garder la carte de l’Infante dans sa manche pour plus tard.