Sang-bleu.

C’était par une belle nuit, un peu fraîche pour la saison paraissait-il, qu’Elwin, la fidèle goule que Flamina employait, vint lui faire part d’une singulière nouvelle.

« Ma Dame, Le Primogène Sorcier vous demande. »

Flamina avait levé un sourcil derrière son masque sans même quitter son bureau où s’amoncelaient divers rapports consernant le Primogénat actuel, et en particulier un certain Brujah qui, semblait-il, avait la fâcheuse manie de tenter de séduire toutes les belles femmes de son entourage. Quelle demande étonnante. Elle avait beau être une ancienne, on lui faisait rarement le plaisir – ou le déplaisir d’ailleurs – d’une invitation, lui préférant sans doute des compagnies un peu moins cyniques. Car l’Ancienne avait ce don déplaisant de cultiver le cynisme, et il était rare qu’elle épargnât quiconque était plus jeune qu’elle… Et pour le coup, même le Prince de Los Angeles, une Rose aussi épineuse qu’insupportablement manipulatrice, lui rendait un bon siècle.

« Et que me veut ce marmot ? S’enquit la Dame sans lever le nez de son rapport.
- Je ne le sais, mais il semblerait que l’affaire soit urgente, en outre, si je peux me permettre de vous rappeler qu’en tant qu’Ancienne il serait bon pour…
- Je le sais, Elwin, je le sais. J’irai donc. »

La décision prise, Flamina Adams eut donc le déplaisir de sortie le soir venu. A coup sur, ce gamin désirait une information pour ses recherches, ou l’élimination d’un rival, après tout, cela se faisait, et il arrivait que de telles tâches soient confiées à l’Ancienne. C’est donc plutôt confiante qu’elle poussa la porte du lieu-dit. Aussitôt, elle se figea. Un décor peint l’accueillit, un décors qui faisait douloureusement écho aux dernières recherches qu’elle avait menées dans le secret pour le Prince de Los Angeles sur les conseillers de sa cour. Un petit homme se tenait sur une scène improvisée, au milieu des Tuileries, au milieu du tumulte. Pour un peu, ce tumulte aurait presque pu l’emporter, mais il se tenait là, droit et fier, inondant de haine et de colère contenue.

Il lui tint, comme il était dit dans certaines fables « à peu près ce langage », des propos qui se voulaient sans nul doute ceux d’un cœur où une blessure béante avait été rouverte.

"Bonsoir je me présente à vous, car c'est la première nuit que nous avons un véritable entretient. Louis-Charles de France de la Maison Bourbon, Duc de Normandie et Dauphin de feu le Roi de France Louis XVI. Alors qu'es-ce que ça fait de parler à Louis XVII? Ou plutôt je devrais dire, qu'es ce que cela fait de jeter en pâture le nom d'une personne qui a tant souffert du passé? Cela vous a t-il amusé?"

Comment diable avait-il pu savoir qu’il était l’objet de ses recherches ? Qui avait pu savoir ? Qui avait pu trahir ? Elle avait mené la plus grande part de ses investigations seule, aidée parfois de… Flamina se figea. Dans sa mémoire affleura l’image de ce jeune masque, un petit plein d’avenir mais parfois trop bavard lorsqu’il était en charmante compagnie. Peut-être avait-il lâché le morceau. Si tel avait été le cas, à qui donc aurait-il pu parler ? Et surtout, comment tout ceci était-il remonté aux oreilles du principal intéressé ?

« Je suppose donc que c’est pour un règlement de comptes que vous m’avez fait venir ce soir, Sorcier. Intéressant. Il est je suppose inutile que je vous rende la pareille de me présenter, puisque vous semblez savoir à qui vous avez affaire. Gagnons du temps, donc. J’enquête en effet sur vous, Sieur Orphée – à moins que vous ne préfériez que je vous appelle Louis-Charles ? ça peut se négocier vous savez – pour le compte de votre supérieur hiérarchique, le Prince de cette ville. Elle et elle seule a accès au fruit de mes recherches, je suis donc extrêmement surprise que vous en ayez eu vent. »

Flamina Adams fit un pas, un deuxième, entre ces décors laissés, elle le présageait bien désormais, à son attention. Déjà, au creux de sa paume, la désagréable envie d’utiliser son sang pour accroître sa force et broyer le crâne de l’enfant se faisait sentir. Elle détestait être soudainement attaquée ainsi, et avait peu d’ennemis suffisamment fous pour lui déclarer la guerre ouverte. Si ce gamin s’y risquait, il serait probablement surpris de savoir que l’information n’était pas le seul atout dans la manche de Flamina… Après tout, les Masques avaient aussi leurs secrets.

« Mais il y a bien d’autres choses que l’on peut savoir sur un Tremere, Sorcier, pas seulement son passé, mais également son avenir. Voudriez-vous me faire croire que vous êtes suffisamment stupide pour croire en votre seule maîtrise du vif-argent pour avoir raison de celle que vous haïssez. Dites-moi la véritable raison de ma présence ici, je n’ai pas de temps à perdre avec un sang aussi faible que le vôtre, fût-il bleu de son vivant. »

Son ton s’était volontairement fait dur et incisif. Contrairement à une saleté de serp… Bon Sang le Serpent ! A tous les coups, la délation était de son fait. La façon dont elle avait eu accès à ces informations restait un mystère pour la Nosferatu, mais là était probablement la clé.

« Tala Fawkes, je te briserai, laissa-t-elle tomber dans un murmure haineux. »

Si elle recroisait ce serpent, Fawkes était morte. Bris de Mascarade ou non, elle la traquerait désormais sans relâche jusqu’à ce qu’elle agonise dans son sang.

Fiche par Narja

Sang-bleu.

Les mots du petit primogène s’avérèrent extrêmement surprenants. Flamina avait côtoyé bien des Tremere, beaucoup étaient fourbes et manipulateurs, un plus grand nombre encore étaient tout simplement insupportables. Celui-ci semblait cumuler ces trois points, voici qui était intrigant. Un gamin. C’était ça, le mot sur lequel la Nosfératu ne parvenait pas à mettre la main. Ce Primogène était un gamin. Il rappelait à l’ancienne courtisane le fils de son roi, la vie qui avait autrefois germé au creux de ses reins… Son fils. Mort au berceau. Un enfant de sang royal qui n’avait pas eu à se préoccuper des questions de la vie, car elle s’était tout bonnement éteinte avant même de s’éveiller.

Et voici que ce Primogène s’aventurait dans cette image là, celle de l’enfant. Elle l’avait cru fort, fourbe et manipulateur. Elle avait ressenti le sentiment qui agitait son être, cette colère, mais la source… la source de cette colère était à présent perceptible. Une douleur, une blessure béante dans un cœur desséché.

"Déception... Mais fatalité... C'est à peu près le langage que j'escomptai recevoir à vrai dire, merci de ne pas fausser mes prévisions. Allons croyez-vous vraiment qu'exposer mes titres m'amuse? Croyez vous que mon souhait le plus cher est de ressembler à Marc Raynor le Chevalier de Bla Bla Bla? Prince, je ne tire aucune gloire de ce passé, c'est juste une blessure au cœur, un spectre qui me hante. Et maintenant un serpent connaît l'histoire ! Je ne chercherai pas querelles avec cet être, je vous laisse avec votre conscience et votre conception des responsabilités."

Voici qui adoucit la pensée de Flamina. Elle s’était laissée influencer par cette colère ressentie à des lieues à la ronde, et voici qu’elle percevait enfin le nœud de la souffrance. Allons, allons, il allait falloir mettre les points sur les « i » avec ce gamin. Comme c’était étrange, la date d’étreinte semblait fossiliser également la capacité émotionnelle de quiconque subissait la transformation. Elle le ressentait à présent. La Vampire laissa tomber un long soupire.

« Et dire que c’est vous qui vous plaignez de ma prévisibilité… Vous êtes un enfant, Orphée, et vous vous conduisez comme tel, ne vous attendez pas à ce que je vous choie ou vous materne. Puisque vous semblez n’avoir pas bien compris le message, je vais le répéter d’une autre façon. Je n’ai pas trahit votre secret. A vrai dire, votre passé m’indiffère tout autant que votre personne. Je n’enquête que sur demande. Comment ce serpent Fawkes a eu vent de cela ? J’ai bien ma petite idée, mais je le crains, il s’agira d’une enquête interne qui ne relève certainement pas de votre juridiction. Ma … conception des responsabilités s’acquittera fort bien de cet écart, avec ou sans l’accord de notre Primogène des Masques d’ailleurs. Des excuses sont probablement attendues, je suppose, et seront sans nul doute rejetées de votre part, aussi considérez que je ne vous les présente que si vous êtes prêt à les accepter. »

"Vous parlez de règlement de compte? Croyez-moi je me serai pris autrement concernant ce fait. Et autre chose avant de vous apprendre la raison de votre présence ici. Je ne vous hais pas, la haine est un sentiment que je m'interdis car stérile et fatale pour l'esprit qui se laisse envahir par cela. Je vous ai conviée pour vous faire partager ce qui fut mon malheur, mais en un autre point de vue."

Elle le croyait, oui. Un Sorcier savait toujours trouver le moyen de faire payer un crime de quelque façon que ce fût, mais un sorcier blessé… qui pouvait dire ce dont il était capable. Flamina n’avait aucune confiance en ce petit être désormais dépouillé de ses attributs royaux. Elle eût sans nul doute eu une plus grande estime pour un camp de Démons, c’était dire. Les ennemis les plus improbables étaient les plus dangereux. Orphée et elle étaient du même camp, affiliés tous deux à la Camarilla. Elle devait donc s’en méfier, à n’en pas douter ses manœuvres seraient d’autant plus retorses. Prudence, donc.

« Faites si cela peut vous faire plaisir, Orphée. Je suppose que je vous dois bien une oreille attentive. »

En silence, Flamina Adams se fit la remarque qu'elle aurait dû laisser Shiro-chan achever ce gamin insupportable.

Fiche par Narja

Sang-bleu.

L’enfant s’approcha de la vieille Vampire. Tout d’innocence paré. L’innocence d’un Tremere, bien entendu. Flamina Adams restait extrêmement prudente. A n’en pas douter, ce petit primogène devait être du genre à chercher une vengeance. Il disait venir sans arrière-pensée, mais lui faire confiance serait sans doute du suicide pur et simple.

Alors qu’il avançait, le décor se révéla. Un coup de poignard qui figea dans la poitrine de l’Ancienne des masques le souffle qui aurait pu naître. Constantinople, telle qu’elle était fantasmée souvent. Constantinople, sa patrie. Une vue qu’elle avait si souvent contemplée, et qui était morte avec l’arrivée des Musulmans, quelques années après son propre décès. Une vue qui se fichait en elle, plaie béante, jamais refermée, toujours intacte des siècles plus tard.

Flamina Adams se raidit. Le Primogène s’approchait, presque à portée de crocs. Elle sentait monter en elle une colère sourde et destructrice. Au creux de son ventre émergeait lentement une vieille ennemie, une vieille bête vive encore, ennuyée par une trop longue attente avant l’éveil. Déjà, elle était là, en elle, insidieuse. Flamina tenta de la contenir, de la faire taire. L’animal se riait d’elle, ancien, puissant, il la submergerait bientôt toute entière, dans une vague de fureur qui l’aveuglerait.

L’enfant approchait encore. Se rendait-il compte du danger qu’il bravait ? Avait-il un semblant conscience de ce qu’il se passait devant lui ? Non, bien sur que non, il n’avait pas conscience du combat intérieur qu’elle menait.

Il ouvrit la bouche, cet imprudent, il se mit à parler.

« J'accepterai vos excuses évidemment, je suis prêt moi-même à enterrer l'incident. Mais malgré les mots demeurent le ressentis, vous ne m'aimez pas Flamina Adams, pour le clan que je représente sans doute. J'ai l'habitude de cette pensée... Passer quatres années de son existence mortelle sans voir la lumière, à agoniser dans l'indifférence, un enfant... L'étreinte fut pour moi une libération, mais pour vous... Ce fut une perte, une perle de la cour de Byzance ainsi mordue et laissée à son triste sort. La perte d'un enfant... Êtes-vous prête Flamina Adams à connaître celui qui vous a ravi à la lumière? »

La bête s’agitait, enflait, prenait toute la place. Flamina n’entendit pas les mots qui suivirent la perte de l’enfant. Là, au creux de ses entrailles, où la vie aurait dû germer, c’était la mort qui avalait tout. Une mort, une colère, une fureur. Au bord du précipice, la vampire vacilla, de sa gorge monta un feulement pareil à celui d’un fauve sur le point de s’affranchir de ses chaînes. La colère emplissait tout, balayait tout. Une parcelle de raison la frappa.

Elle bondit, saisit le bras du primogène avec force, lui entaillant presque la peau de ses ongles, et projeta en lui cette colère de toutes ses forces. [Animalisme 5].

Aussitôt, le fauve s’éloigna d’elle. Un poids s’envola de ses épaules, l’étau qui emprisonnait son cœur tomba en poussière. Elle était libre. Oui, libre. Mais il y avait un nouveau problème. C’était ce petit primogène prêt à tout détruire sur son passage. Car la colère, désormais, c’était lui qui la portait, et à moins de trouver un exutoire, il la garderait en lui, dans un état frénétique.

Fiche par Narja

Sang-bleu.

Flamina regarda la bête faire son œuvre. Dans un détachement total, elle voyait le primogène lentement être gagné et gangréné par la folie. Son expression faciale perdit brusquement le détachement qu’il affichait à l’ordinaire, tandis que la fureur le gagnait.

Puis elle le vit, le point de basculement, celui de non retour. Cette expression qui aurait du normalement se peindre sur son visage à elle, et non sur celle de l’enfant, ce moment étrange où tout perdait de son importance pour n’être plus que torrent de folie.

L’enfant perdit pied, elle le vit dans ses yeux. Un voile passa sur son visage, et elle le lâcha. Il s’en alla, libéré de son étreinte, il gagna par des pas rapides le lieu de sa haine. La toile, bien entendu. Le tableau. Il le lacérait, lacérait ce passé, déchargeait les blessures béantes de son cœur, comme elle-même aurait du le faire.

En observatrice totalement neutre, elle ressentait néanmoins un serrement au cœur. Ce passé qu’il voulait oublier… Elle également voulait le laisser s’en aller dans les limbes. Quelle étrange association, vraiment, le dauphin et la courtisane, l’ancienne et le primogène. Un duo impossible, et pourtant… pourtant tel avait été pris à son petit jeu celui qui avait cru la prendre.

Tandis que le jeune Orphée achevait la toile en appelant sa mère de toutes ses forces comme un enfant l’aurait fait, Flamina perçut confusément le retour de la bête, satisfaite, qui vint se lover au creux de son estomac. Repuse, elle pouvait s’endormir à nouveau jusqu’à la prochaine occasion.

L’enfant était là, éreinté et tremblant, fatigué et fragile. Un état qui suivait la frénésie, il pleurait, il avait peur, sans doute. Voici qui était tout à fait compréhensible. Etait-ce sa première frénésie ? La sienne, Flamina se la rappelait, un soir de printemps, une soif plus grande qu’à l’ordinaire. Combien de jeunes gens avait-elle massacré ? Trop, beaucoup trop. La Dame aux masques retira le visage inexpressif, blanc, en porcelaine, qu’elle arborait d’ordinaire. S’entoura d’un visage ancien, celui qui fut le sien jadis, et apparut au jeune Shiro ainsi qu’elle l’avait été, grande courtisane brune aux longues boucles d’ébène, aux yeux sombres, au visage rayonnant de beauté.

Elle s’approcha de lui, un doux sourire aux lèvres, et le pris dans ses bras, comme une mère aurait pu le faire pour son enfant. Elle essuya de ses doigts les larmes qui coulaient sur les joues du Primogène.

« Je ne suis pas votre mère Orphée »

En entourant de ses bras protecteurs ce petit corps fragile, elle avait peine à croire qu’il s’agissait bien là du primogène du clan des Sorciers. Un enfant… L’étreinte donnée à un enfant. Comme cela la peinait. Comme cela l’attristait. Plus que son passé, c’était ce présent qui la tourmentait à présent. Qui ? Qui avait bien pu infliger à cet enfant de devoir conserver à jamais le traumatisme d’une enfance volée ?

« C’est fini, tout est fini. »

Elle attendit, le serrant contre elle. Flamina Adams attendit que la personne qu’elle détestait le plus au monde retrouvât son équilibre. Le détestait-elle autant que cela? Ma foi, c'était bien un Sorcier, mais il était sans doute plus enfant que sorcier, désormais. Ces larmes, elle les comprenait. Une perle de sang vint naître au coin de l'oeil de l'Ancienne. Ces pleurs pour un passé trop lourd à porter pour de si frêles épaules, elle les versait, oui. Ce n'était pas pour son propre héritage qu'elle pleurait en douceur, mais pour celui de cet enfant si jeune.

L'étreinte figeait, empêchait l'évolution, paralysait. C'était ainsi que lui, ce petit prince avait été immortalisé pour l'éternité. Cliché vivant de ce qu'il fut alors qu'il mourrait. Comment, dès lors, ne pas percevoir leur fardeau comme une malédiction?

En douceur, elle posa un baiser sur le front de l'enfant. Un geste qu'elle avait maintes et maintes fois fait de son vivant. Sa fratrie devait bien se rire de la voir si faible à présent, enserrant un gamin entre ses bras.

Fiche par Narja

Sang-bleu.

L’enfant était perdu, cela se sentait. Le petit corps contre elle tremblait, il avait peur, elle aurait pu croire qu’il avait froid aussi. Non pas un froid qui venait de l’extérieur, ce n’était pas une température, mais un froid qui gangrénait son cœur, et avalait ses esprits. Le petit était en état de choc, cela se sentait, cela se percevait. C’était une feuille d’automne prête à tomber de sa branche, giflée par un rude vent d’hiver.

Il fallait la rattraper, cette feuille, il fallait la sauver. Cet enfant… C’était un Sorcier, c’était un Tremere, en d’autres temps et d’autres époques, Flamina se serait contentée de resserrer l’étau de ses bras, de faire appel à la puissance, et de détruire cette non-vie. L’idée l’avait effleurée maintes et maintes fois tandis que l’enfant pleurer, mais… elle ne le ferait pas, non. C’était hors de question.

Lentement, sa main caressait les boucles claires de l’enfant lové contre son cœur, dans un geste maternel, elle était là, elle était près de lui, il n’avait pas à s’inquiéter. Sa peine, elle la comprenait, n’était-ce pas ce que son enfant à naître aurait du lui dire ?

« Mère, ne pars pas s’il te plait, ne pars pas ! Reste ! »

Une prière, une supplique. Celle de l’enfant perdu et éploré, celle du petit prince qu’on avait conduit à la mort ou presque, puis ramené parmi les vivants. Maintenant qu’il était ici, que le mal était fait, il fallait qu’il vive, il fallait qu’il revienne au clair de lune.

« Vous ne craignez rien, Orphée, personne ne vous abandonnera. Personne ne vous tuera, vous êtes en sécurité. »

Elle voulait l’apaiser, mais elle ne voulait point l’abuser. Flamina Adams n’était pas sa mère, elle ne le serait pas, et ne pouvait le laisser se tromper. Mais cela, il n’était pas temps pour le moment de le lui dire, il fallait que son esprit retrouvât un peu de stabilité pour accepter la vérité.

« Pardonnez-moi mère… Pardonnez-moi pour ce que j’ai fait… »

Il la prenait véritablement pour sa mère, une forme de folie l’avait gagné. La Frénésie avait sans doute été trop forte pour son esprit qui peinait désormais à se remettre de ces visions. Il fallait donc le faire revenir en douceur au monde réel, le tirer de ses songes.

« Vous êtes pardonné, Orphée, la colère aveugle, mais lorsque revient la clairvoyance, le pardon vous est accordé. Regardez-moi, Orphée. »

Elle lui prit le menton et le força à croiser son regard.

« Je ne suis pas votre mère, je suis Flamina Adams, du clan des Masques, et vous êtes Orphée, primogène du clan des Sorciers. Ce passé, laissez-le, construisez l’avenir, bâtissez le de vos mains, personne ne le fera pour vous. »

Il n'y avait plus qu'à attendre qu'il retrouve le sens commun, si, toutefois, son esprit était prêt à l'accepter. Sinon, elle attendrait encore. Ils avaient toute la nuit. Même si elle devait l'emmener chez elle, et veiller à son chevet, elle se fit le serment de prendre soin de l'enfant, au moins pour la nuit.

Fiche par Narja

Sang-bleu.

L’enfant retrouva son équilibre. Flamina Adams le perçut lorsqu’il levait à nouveau les yeux vers elle, un regard presque scintillant de reconnaissance. Il lui posa un baiser sur la joue, comme l’aurait fait un bambin, un fils, puis il y eut une rechute. La Dame aux Masques le sentit pourtant, c’était à nouveau le primogène qui était là. C’était à nouveau Orphée, et non plus le petit Prince. C’était lui qui s’exprimait, qui s’écartait avec douceur de l’étreinte de ses bras.

Il fit une chose surprenante, s’agenouillant sur le sol à la manière d’un vassal, une petite figure d’enfant qui avait une attitude si étonnante. Flamina sourit, presque amusée, soulagée, surtout, de le voir revenir à la raison.

« Orphée, du clan des sorciers, je m’excuse pour le tort causé. Il ne m’appartenait aucunement de connaître votre histoire, le nom de votre sire, puissiez vous avoir la force de me comprendre. La colère à altérer mon bon sens. Aussi je vous dois une faveur, une faveur que je puisse vous rendre. »

Voici ce qu’il avait à lui dire, voici les mots qu’il prononça avant de lever la tête vers Flamina, visiblement inquiet de sa réaction. Elle resta un long moment immobile. Contemplant le carnage derrière l’enfant, ce tableau détruit, ce décor ravagé. Il avait au prix du savoir retrouvé un équilibre, au prix d’une folie passagère. Elle-même était allée voir Christophe pour trouver, sans grand succès, une paix en son âme tourmentée. Peut-être la solution était-elle là, sous son œil.

La Dame s’accroupit, se mit au niveau de l’enfant. Elle n’était pas certaine de sa démarche, pas certaine du succès de l’entreprise, mais puisque la guérison semblait opérer sur le petit… puisqu’il semblait avoir accepté son passé. Sombrerait-elle dans la folie en sachant ce que tous lui avaient toujours refusé ? Malgré ses incessantes recherches, pas un seul membre du clan ou d’un autre n’avait jamais voulu le lui dire. Il était sans doute temps, à présent, de lever le voile. La Vampire avait dit à Christophe être lasse de cette existence, lasse des choses en l’état. Peut-être était-ce ce savoir qui lui faisait défaut, peut-être était-ce cela qui lui permettrait de se remettre en route pour les cinq siècles à venir ? L’expérience était à tenter, oui.

« Orphée, il y a sans doute une chose que vous pouvez m’accorder, oui. Racontez-moi tout ce que vous savez à mon propos, puis éloignez-vous. Je ne peux vous prédire ma réaction, et ne veux pas vous blesser. Poursuivez ce que vous avez commencé, faite le par amitié et non par vengeance cependant. C’est là la faveur que je vous demande. »

Elle resta là, immobile, attendant à son tour la réaction de son interlocuteur.

Fiche par Narja

Sang-bleu.

Flamina Adams ne bougea pas, restant accroupie près de l’endroit que le jeune primogène venait de quitter. Immobile, elle contemplait le vide, laissant l’ouïe être le seul sens en alerte dans tous son être. L’enfant commença son exposé en douceur, sa voix était posée, il ne jouait plus, il n’était plus ce gamin malicieux et destructeur. Le ton rassura la Vampire quant à l’équilibre de ce petit avant de la précipiter dans la tourmente de son passé.

A mesure qu’il parlait, elle revivait tout. A l’image d’Alexandrie se superposa les récits qu’on lui faisait de la grande bibliothèque étant enfant, le visage souriant de sa mère, celui un peu plus lointain de son père. Les formes vagues de ses frères et sœurs dont elle avait oublié jusqu’au nom. Il fallait dire qu’ils étaient nombreux, et qu’elle les avait trop peu côtoyés.

Au désespoir de ce jeune médecin devant la bibliothèque en flammes se substitue le souvenir de sa première rencontre avec le seigneur de Constantinople, leurs premiers regards dans des jardins sous la fournaise d’un soleil par trop zélé. Les flammes et les brumes de sa mémoire se conjuguent alors qu’elle se revoit, à seize ans tout au plus, baisser les yeux devant celui qui ne la lâche pas du regard, l’envisage et la soupèse comme un objet.

La haine de son sire fit écho à la haine qu’elle-même avait ressentie la première fois qu’on avait exigé d’elle qu’elle se donnât « pour l’honneur de sa famille » à ce même empereur de Constantinople. Jetée dans les tourments de la cour, elle avait vu sa vie saccagée avant même son début, vu sa fierté piétinée, ses espoirs de mariage anéantis, après tout, elle n’avait été rien d’autre qu’une courtisane, une pute royale. Cette haine résonnait avec celle de celui qui l’avait infantée, des siècles plus tôt.

Elle l’imagina fuyant à Constantinople, élément prometteur mais instable, dévoré par ce sentiment qui conditionnait toutes ses actions. Elle se remémora les nombreuses disparitions qui avaient lieu en cette époque, oui, elle en avait entendu parler. Des morts qu’on disait apercevoir, bêtes furieuses, puis des témoignages qui s’effaçaient à leur tour, et ce fameux soir…

Flamina plongea la tête la première dans ses souvenirs, y perdit pied. Immobile toujours, elle vécut à nouveau cette soirée où elle s’était échappée de la compagnie de l’Empereur. Etre favorite avait parfois bien des avantages, et la nouvelle qu’elle venait de lui glisser à l’oreille avait réjouit au possible son compagnon. Un enfant, un fils, il l’espérait, une progéniture en tous cas, dans ce corps qu’il avait maintes et maintes fois exploré. La courtisane, en errant dans les jardins étouffait. Un enfant, un enfant. Une tête royale, illégitime cependant, un enfant qu’il serait préférable de perdre, quand bien même elle l’aimait déjà. Un enfant, son enfant. Pas celui de ce monarque, mais bel et bien le fils ou la fille de la courtisane.

Son enfant.

Déjà, elle récitait des prières, implorant le ciel de lui offrir une vie sereine, de veiller sur cette existence qui démarrait.

Puis, cela avait été le choc et la souffrance. Les souvenirs étaient confus, par trop vifs. Son visage lacéré, elle crut sentir les griffes qui tailladaient chair et os, ces marques courraient encore sur sa peau, descendaient encore, brûlantes et douloureuses dans sa nuque , elle les sentit soudainement si vivement qu’une larme vint perler sur sa joue.

La perte de l’enfant, elle s’en souvint également, cet instant, juste avant la mort, où elle eut conscience, entre douleur et extase du baiser, de la disparition d’une étincelle dans son ventre. Puis tout avait basculé, oui. Tout avait basculé.

Flamina Adams entendit sans l’entendre la voix lointaine du primogène qui se retirait. Au creux de son ventre, la bête ronronnait de plaisir de la voir si désemparée, si tourmentée. Elle ne se manifesta pas, cependant, ayant déjà eu son heure un peu plus tôt. Elle s’amusait, oui, s’amusait de la détresse d’une âme si ancienne.

Ainsi sa non-vie n’était donc qu’une… une erreur ? Qu’une étreinte laissée là pour mettre le chaos ? Doucement, en fréquentant Shiro, en faisant ces aveux à Christophe, n’avait-elle pas été tentée comme son sire avant elle de céder aux ombres ? Les pensées tourbillonnaient sans ordre précis, se fracassant sur son crâne.

Puis Flamina Adams se leva, redevenue calme en apparence. Droite, et fière.

Des anciens du clan des Masques allaient avoir beaucoup de choses à lui dire… Et ces réponses, elle les aurait dans le sang si cela s’avérait nécessaire.

Merci pour le RP Orphée *.* J’vais enfin pouvoir faire sortir le côté dark de Flam xD, 5 ans que j’attendais ça xD. Bon, du coup, je ne sais pas comment va se comporter Flam vis-à-vis de Shiro, ça plus le coup de maître de Christophe… on verra bien ^^’

Fiche par Narja