Et elle récidive en plus?

Flamina Adams s’était longuement questionnée, elle avait hésité un bon moment, pesant le pour, le contre, les raisons de s’abstenir et celles de se jeter dans la gueule du loup, puis, finalement, avisant que rien ne la menaçait directement sinon les petites intrigues Camaristes, elle s’était décidée pour un plan d’action. Il aurait été stupide pour une dame de son âge de ne prendre aucune précaution compte tenu de la semi-hérésie qu’elle s’apprêtait à perpétrer, et son grand âge ne la dispensait pas de la plus extrême prudence.

Elle avait donc fait venir, peu avant l’aube, sa goule la plus fidèle, celle à qui appartenait le manoir qu’elle avait pris l’habitude d’occuper avec l’absolue coopération de son ami – puisqu’il faisait effectivement partie de la rare caste de personnages à qui elle avait non seulement prêté, mais également donné son entière confiance . Habitué à ce genre de requête, son premier mouvement avait été de s’enquérir de qui il fallait tuer. Flamina avait rit de cette candeur qu’il avait encore. Bien qu’il semblât n’avoir qu’une petite trentaine d’années, il jouissait en réalité du double, et leur tacite accord voulait qu’elle le chargeât de temps à autre de sorties nocturnes afin qu’il pût s’abreuver à d’autres bras que le sien.

Mais par trois fois, déjà, il avait bu de son sang, et en état de cause, il était impensable qu’il pût la trahir. Malgré cette perte partielle de libre arbitre, il en demeurait un farouche opposant aux jeux de stratégies, et un jeune homme plein d’esprit. Un jour, peut-être le prendrait-elle pour infant, qui savait ?

Elle lui avait confié un message à destination d’un certain Shiro Amakusa, rencontré quelques temps plus tôt, et qu’elle souhaitait ardemment revoir. Sa compagnie était plaisante, et qu’il fût ami ou ennemi, elle appréciait les compagnies plaisantes. En outre, elle se sentait, depuis quelques temps déjà, en marge de sa propre voie, et bien qu’à son âge, on pût avoir le comportement qui nous plaisait – n’était-elle pas plus âgée même que la Dame Quinn qui, du reste, semblait un brin plus intelligente que le reste de la gente Toréador pour laquelle Flamina n’avait aucune sympathie ? – il lui fallait bien reconnaître que l’on commençait à s’agiter sous la houlette du Priomgène de son clan. Et il lui faudrait bien un jour le renverser, ou s’exiler.

Elle avait elle-même recueilli de source sure l’endroit où se trouvait le jeune Lasombra. Jeune à son échelle, bien entendu. Et avait dépêché son fidèle messager. Il lui avait assuré peu avant qu’elle ne s’endorme que le message avait bien été livré.

Le message s’accompagnait d’un plan. Flamina avait jugé opportun de disséminer des rats un peu partout, et d’établir un itinéraire à la fois complexe et inutile. Si le lasombra suivait ses indications, elle le recevrait. S’il ne s’exécutait pas, elle disparaîtrait à sa vue, car ce serait alors la preuve qu’il ne lui accordait pas sa confiance.

Les rongeurs lui rapportèrent que ses indications avaient été suivies, et la Nosferatu fut heureuse d’avoir confirmation que son jugement n’était pas erroné. Elle attendit donc, drapée dans la sérénité qui accompagnait généralement la certitude d’être dans son droit, un masque sombre sur le visage, un sourire aux lèvres.

Le jeune évêque fut là. Hésitant visiblement, et plus visiblement encore plutôt heureux d’être là. Apparemment, Flamina n’avait pas été la seule à espérer une nouvelle rencontre, toute aussi amicale que la première. C’était un bon point. Trop rares étaient les Sabbatiques civilisés, elle ne cessait de se le répéter.

"C'est un plaisir de vous revoir Flamina-chan. Je dois avouer avoir été agréablement surpris par votre lettre, intrigué également. Je voulais tant vous revoir également sous une lune neutre, mais je pressens que l'objet n'est pas seulement amical, Flamina-chan. J'espère au moins que je ne vous ai point porté préjudice lors de notre dernière rencontre."

C’est qu’il s’avérait perspicace, ce jeune vampire. Perspicace et civilisé. Deux qualités que Flamina aimait par-dessus tout, et cela lui ferait sans nul doute un précieux allié tant que durerait cette lune neutre.

« Vous êtes le bienvenu Shiro-chan, comme toujours. Ne restez donc pas sur le pas de la porte et installez-vous, mettez-vous à votre aise. J’espère qu’il ne fut pas trop ardu pour vous d’arriver jusqu’ici, les précautions sont nécessaires en ces temps troublés, n’est-ce pas ? »

Un petit trait d’humour ne faisait jamais de mal, même si l’ancienne devinait fort aisément que l’évêque avait dû la maudire sur le trajet. Fort amusant tout ceci. Vraiment fort amusant. Elle tint toutefois à le tranquiliser quant à l'objection qu'il avait formulée à savoir lui apporter des ennuis.

« Ne vous tourmentez pas outre mesure pour cela. J'ai eue une petite discussion avec notre nouveau Primogène, et il se trouve qu'il s'est montré étonnamment compréhensif... Sans doute bien plus que ceux de mon âge. Les vertus d'un sang neuf sans doute. »

La goule se présenta, s’inclinant respectueusement devant Shiro et Flamina.

« Souhaitez-vous boire quelque chose, Shiro-chan ? La nuit risque d’être longue en discussion, et par expérience je sais qu’il n’est pas aisé de converser lorsqu’on éprouve une petite soif. Alwin ici présent se fera fort de trouver de quoi vous satisfaire. »

Par où commencer, Flamina se le demandait bien.

Fiche par Narja

Et elle récidive en plus?

Flamina était fort aise de la présence de ce jeune – jeune à son échelle, bien entendu – vampire. Il était rare pour elle qu’elle s’accordât ce genre de mondanité, mais, lorsqu’elle le faisait, elle avait à cœur d’avoir un convive intéressant. Le moins que pût reconnaître son esprit était que cet évêque était tout à la fois intéressant, vif d’esprit et distrayant. Son cœur allait même jusqu’à le trouver attachant. Il était donc tout naturel qu’elle le conviât de la sorte.

Son œil perçant devina une certaine gêne chez le Lasombra. Bien qu’il fût ancien, elle se prit à supposer que ce qui lui paraissait naturel de courtoisie au sein d’une Camarilla rigide en ce qui concernait la politesse était peut-être plus étranger à son comparse. Cela n’aurait rien eu d’étonnant lorsqu’on se souvenait de ce qu’elle-même savait des Auctoritas et Ignobilis Ritae dont lui avait longuement parlée l’une de ses… victimes... Qui était-ce déjà ? Ah… oui, un évêque Sicilien à qui il avait fallut extorquer des informations, et dont les souffrances avaient été prolongées le temps qu’il fît la culture de la Dame aux Masques en ce qui concernait l’ennemi.

"Aucune offense ne sera gardée au regard du chemin chaotique, je me suis moi-même surpris à apprécier les petits détours, alors que mon esprit hésitait toujours entre nécessité de sécurité et touche d'humour de votre part. Pauvre conseiller, j'espère que vous ne l’embêtez pas trop."

Shiro-chan avait relevé la note d’humour. Bien, un grand sourire naquit sur le visage de Flamina, bien qu’il fût dissimulé. Il était par trop rare que l’on relevât les piques qu’elle s’évertuait à disséminer dans ses discours, et elle avait encore en tête la cruelle déception d’avoir vu ses calembours ignorés par son confrère Malkavian à qui, du reste, elle portait une estime aussi vaste que les réseaux de galerie qu’elle empruntait.

« Vous aurez l’occasion de me rendre un jour la pareille, cher ami, je n’en doute pas. Mais ainsi que vous le devinerez, ce n’est qu’une demi-facétie. Tous les rats de cet égout ne sont malheureusement pas sous mon contrôle, je le crains. »

Flamina laissa tomber un petit rire, étonnamment cristallin au regard de sa voix d’ordinaire douce et posée. Un rire de la jeune fille qu’elle avait été autrefois, sans doute.

« Allons, allons, comment pouvez-vous penser qu’il me serait possible de le tourmenter ? Vous savez comme moi que l’on doit le respect à ses supérieurs, fussent-ils des pantins entre les mains d’anciens. Mais vous avez raison de le plaindre, Shiro-chan, fit-elle, redevenue sérieuse, le poste de Primogène de notre clan a sans doute été laissé trop longtemps vacant pour qu’il pût jouir de l’autorité immédiate qui lui est due… Il l’apprendra en son temps, comme nous tous l’avons appris à nos débuts. »

Sans doute le nouveau venu n’était-il pas ainsi mais… Faute de véritable rencontre, c’était de cette façon que l’Ancienne le voyait. Pauvre de lui, il faudrait sans doute qu’elle rattrapât un jour son jugement en l’invitant à dîner… Ou peut-être pas, après tout.

L’invité de la Nosferatu s’abreuva au bras d’Elwin, habitué à cet exercice, et s’installa poliment à la place que lui avait désignée l’Ancienne. Elle le sentait à la fois intrigué et impatient. Il était vrai que sa lettre n’avait point eue de réponse claire à lui fournir, puisqu’elle-même n’en avait pas alors. De même, Shiro-chan lui semblait différent de leur dernière rencontre. Quelque chose avait dû se passer… Oh, en vérité, elle avait bien idée de ce qui était survenu. On racontait dans le clan qu’un Evêque Lasombra aurait ramené une jeune humaine chez lui, et qu’elle aurait été le sujet d’une dispute au sein du Sabbat. Flamina avait prêté une oreille attentive à ces dires, qui, peut-être recelaient une intéressante source de divertissement. Et si elle pouvait apporter aide à ce jeune Evêque… il était hors de question qu’elle s’en privât.

"Merci pour la permission Flamina-chan et à votre goule, Alwin évidemment. En me promettant une nuit longue de discussion vous aiguisez encore plus ma curiosité. Je vous avoue également avoir quelques sujets à vous soumettre, quelques nouveautés sont apparues et beaucoup de sujets n'ont put être évoqués lors de la précédente lune. Mais je vous en prie, à vous l'honneur mon amie."

Alwin inclina la tête, et se tourna vers Flamina. A mi-voix il s’enquit de la seconde mission qu’elle lui avait assignée pour la soirée et qui, à n’en pas douter, lui faisait sans doute bien davantage plaisir que de rester à écouter les bavardages de deux fossiles, quand bien même l’un d’entre eux aurait été son maître.

« Ma Dame, me permettez-vous d’aller poursuivre mon enquête ? Notre cible ne doit plus être très loin à présent.
- Faites, Elwin, faites. Et ne le laissez pas invoquer les esprits, je refuse d’avoir un portail ouvert dans mon jardin... Enfin, dans le vôtre.
- Naturellement, nous l’intercepterons avant.
- Débarrassez-le de ses biens, et empêchez-le d’entamer une transe.
- Bien entendu.
- Et venez me dire ce qu’il en est.
- Je n’y manquerai pas, Dame aux Masques. »

Il se retira, laissant les deux vampires seuls.

«Des magiciens, expliqua dans un soupir Flamina à l’intention de son ami. Traqués, ils ont cru judicieux de s’établir en mon domaine… Malheureusement, je crains que l’un d’entre eux soit… en extase... Elle laissa le mot tinter un moment dans l’air puis reprit. Connaissez-vous la Magie, Shiro-chan ? Je ne parle pas de celle du clan des Sorciers, mais de celle des humains dans laquelle les Tremere ont puisé leur puissance autrefois, celle qui permet à certains mortels, certains Eveillés, de plier le réel à leur vision du monde ? C’est un sujet fascinant, tout aussi dangereux que fascinant. »

Laissant sa phrase en suspens elle se souvint bientôt que ce n’était pas pour parler de magie et de ses récentes recherches sur le sujet qu’elle avait convié son ami, mais d’un problème bien plus terre à terre.

« Oh, je suis toute autant curieuse d’apprendre de votre bouche ce qui vous arrive que vous ne l’êtes de savoir la raison de votre présence ici. Je vais donc vous délivrer de l’incertitude. Vous êtes ici, cher ami, car notre rencontre m’a poussée à la réflexion sur bien des points. Vous savez comme cette guerre m’insupporte, vous savez également que je n’ai aucune envie de poursuivre plus avant ce conflit. Je songe donc à … me retirer du monde. A quitter Los Angeles, à voyager. Après tout, cette ville n’est pas ma patrie, je viens de la défunte Constantinople, et je ne suis jamais parvenue à l’oublier, je pense.

J’ai besoin de vos conseils, Shiro-chan, partir reviendrait pour mon clan à une déclaration de guerre. Je n’ai aucun pouvoir politique, mais j’ai bien suffisamment d’influence pour me faire des ennemis. Si je disparais, je pense laisser derrière moi une meute de loups affamés. Vous savez comment sont les Masques, n’est-ce pas ? A ce point déformés par l’étreinte qu’il leur faut des décennies – un siècle pour beaucoup d’entre nous - pour gagner en stabilité. Et nos rangs sont trop jeunes pour bénéficier de l’équilibre. Au moins mes siècles de non-vie dispensent-ils les plus belliqueux d’entre eux de rechercher avidement le pouvoir au mépris de toute prudence élémentaire.

Je ne puis partir, et pourtant je le désire, voici mon dilemme, Shiro-chan. Je ne puis partir par égard pour mon clan, par respect pour cette ville, et également parce qu’on ne saurait partir sans un peu de compagnie. Alwin m’accompagnerait sans doute si je le lui ordonnais, bien sur, mais… puis-je le forcer à quitter tout ce qui lui est cher ? »

La vampire avait formulé le cours de ses pensées avec lenteur, comme si elle émergeait d’un long rêve. Sur la table entre eux, la flamme d’une chandelle entourée d’un verre fin et coloré projetait quelques ombres dansantes qui allaient se perdre dans le néant. Elle hocha gravement la tête, chassant ses idées, et eut un pauvre sourire. Vieille habitude humaine, sans nul doute. En cette lune, la présence d’un ami, de quelqu’un à qui parler était une chose appréciable.

« Et vous, Shiro-chan, pour quelle raison entends-je parler depuis quelques temps d’un Evêque des Ombres dans les rues de Los Angeles ? Dites-moi ce qui vous pèse sur le cœur. »

Fiche par Narja

Et elle récidive en plus?

Shiro avait écouté avec beaucoup de patience le monologue de Flamina, et celle-ci en était sincèrement reconnaissance envers le jeune évêque. Il avait cette douceur et cette gentillesse qui faisaient de lui un précieux ami à n’en pas douter. Il fut également plein de prévenance pour la Nosfératu lasse qu’elle était, et de cela également elle ne pouvait que lui vouer sa reconnaissance. Ses conseils furent avisés, et si elle avait quêté son oreille, c’était précisément pour cette attention toute particulière qu’il avait. Voici les mots tels qu’elle les reçut de la bouche de l’enfant des Ombres.

« Flamina-chan, je partage cette lassitude de condition, vous le savez. Simplement, je suis attristé par votre décision, comme j'aurais aimé avoir quelques autres lunes neutres à disposition. Mais il serait égoïste de ma part d'évoquer une telle demande. Mon conseil et de prendre refuge auprès d'un allié, mieux de solliciter l'aide d'une organisation qui pourrait vous abriter des foudres de vos frères. Évidemment si vous me demandez conseil, c'est que vous ne voyez guère en vos relations une organisation capable de vous fournir cette assistance. »

Ce premier constat était indéniablement exact. Elle n’aurait su le cacher longuement, tous deux étaient d’une certaine manière usés par cette guerre. La demande du jeune vampire la toucha, à vrai dire cela faisait si longtemps qu’elle n’avait pour seule compagnie que ses pensées, qu’elle se prit, elle aussi, à souhaiter d’autres rencontres avec le Lasombra. Sa présence était discrète et forte à la fois, indéniablement appréciable. Il avait la sagesse des anciens, les élans de cœur des enfants, c’était un ami précieux, à n’en pas douter.

« Je pourrais bien sur vous conseiller de rejoindre le Sabbat, de profiter de notre protection, puis de fuir après que l'accalmie soit faite. Mais ce serait fuir un camp pour en rejoindre un autre. Ce serait adopter un drapeau pour une autre guerre. De plus je connais l'Archeveque, un tel ralliement, il vous accueillerait à bras ouvert mais s'empresserait d'avoir quelques garanties. Je ne peux vous conseiller cela Flamina-chan, ce ne serait pas en votre faveur. Si je le pouvais, je prendrais la fuite à vos cotés. »

Il était honnête, parlait franchement, et de façon fort avisée. Cela plut à Flamina. Longuement elle avait craint de lui donner sa confiance, ne faisant que de la lui prêter pour un temps, voici qu’avec une telle déclaration, il s’était frayé un chemin dans le vieux cœur desséché de la dame.

Elle l’écouta donc à son tour avec d’autant plus d’attention qu’il lui livrait ses paroles. Des mots qui résonnaient étrangement en ce lieu, dans la bouche d’un vampire.

« Point de lassitude, un sentiment étrange est venu jusqu’à moi. J'ai découvert Flamina-chan, l'amour d'une jeune humaine, promise au chemin de la lune. Je pensais cette partie de moi évanouie d'un profond et éternel sommeil. Ce n'était que pour éclore il y-a de cela quelques nuits. Elle... Je lui ai fait serment, comme la passion me consumait, je ne regrette rien. Elle va être fille d'un ancien de la lune, un prêtre dont j'ai put recueillir quelques infos en suivant l'ombre de mon amour. Il se nomme Christophe. Comme je dois vous ennuyer avec cette histoire, comme elle peut paraitre dérisoire. Une vielle âme peut-elle encore aimer? »

Flamina ne sut quoi répondre immédiatement. Le Sire Christophe, elle le connaissait bien. Aussitôt elle fit le lien avec l’augure qu’elle l’avait vu pratiquer tantôt en sa demeure, et comprit bien des mots qu’elle avait entendu prononcer sur le compte de son ami. Oui, l’amour expliquerait beaucoup de chose à n’en pas douter.

Elle s’entoura d’une vieille illusion qu’elle maîtrisait si bien qu’elle n’était en rien difficile à reproduire. Cette vieille illusion qui lui donnait les traits de sa jeunesse. Flamina fit quelque chose qu’elle n’avait pas coutume de faire très souvent. Crochetant la surface lisse du masque qu’elle portait de ses doigts, elle l’ôta sans effort. Aussitôt sa chevelure brune tomba, et l’illusion du visage de la courtisane qu’elle avait été avant l’étreinte se révéla.

Une larme brillait sur sa joue, signe de l’émotion qu’avaient réveillé en elle les paroles de son ami. Non, vraiment, ce soir, elle ne pouvait garder ce masque. Ce n’était pas une illusion, la perle roula, se perdit dans les plis de la robe.

« Shiro-chan, ne pensez pas votre histoire insignifiante. Le cœur se dessèche à mesure que nous passons du temps ici, cela est vrai, mais nous restons d’anciens êtres vivants. Jadis, comme vous, je m’épris d’un compagnon d’infortune, il gît désormais dans la terre, sans que je ne puisse espérer son retour. Que vous puissiez aimer, Shiro-chan, c’est le plus beau cadeau qui peut vous être fait. Ces sentiments, ne les perdez pas. Ne les laissez pas partir. Retenez votre promise, fût-elle destinée au chemin de la Lune. Le Seigneur Christophe se doute de ce qui peut se produire. Tantôt ; il était aux aguets, cherchant à percer le voile de l’avenir, je devine à présent qu’il devait se soucier de cette jeune femme. »

Elle marqua une pause, les yeux perdus au loin. La pause s’éternisa, tandis qu’elle laissait ses mots l’envahir toute entière avant de formuler la suite de ses phrases.

« Shiro-chan, mes divergences d’opinion avec la Camarilla pourront certainement attendre si je vous sais heureux. Vous vous proposiez de partir avec moi si vous le pouviez. De toute évidence vous ne le pouvez pas. Choisissez cependant avec grand soin vos attaches. Que cette jeune femme soit la vôtre et non le Sabbat. Que le cœur soit la vôtre, et non votre serment. Il ne peut y avoir plus grand serment, plus grand honneur que de vous battre pour ce qui vous importe. »

Le silence revint. Plus léger, plus lourd, Flamina Adams n’aurait su le dire. Voici bien longtemps qu’elle n’avait pas fait de discours passionné ainsi. Qui pourrait dire ce qu'attendait la vampire comme réponse à une telle tirade. Pas grand chose sans doute. Peu habituée à être à visage découvert, elle avait d'instinct adopté un visage à nouveau plutôt neutre. Aucune expression ne déformait ces traits qu'elle ne pouvait voir dans un miroir sans ressentir une immense peine.

Alwin déboula dans la pièce, visiblement affolé. Il avait à sa suite une jolie humaine qui semblait plus que déboussolée. Il la soutenait comme si, trop choquée, elle ne parvenait pas à marcher. De voir ainsi sa maîtresse à visage découvert le troubla profondément, et il cru devoir s'excuser de cette brutale interruption.

« Ma Dame, nous nous sommes occupés du Mage... Par contre... Cette demoiselle... »

« Allons, Elwin, reprenez vos esprits. Que s'est-il passé? »

« Eh bien, elle a été confrontée directement au Mage. Il était en extase. Un Euthanatos. »

Flamina laissa s'échapper une imprécation en sa langue natale, une variation tardive du latin où se mêlaient quelques accents de grec.. Il y était question de malédiction divine, et d’autres lieux moins fréquentables que les temples, mais en faire la traduction ici serait grossier. Elle se pencha sur la jeune fille. Intriguée. Visiblement, elle ne semblait pas avoir subi de dommages, c'était étrange, le pouvoir du Mage aurait dû la faire vieillir prématurément, détruire autant son corps que son âme. Et pourtant, elle avait à peu près aussi bien résisté qu’Alwin qui, du reste, semblait éreinté, mais capable de tenir encore. Il n’y avait qu’une explication possible à ce phénomène. La jeune fille ne devait plus être tout à fait humaine. Il fallait qu’elle s’en assure. Avec beaucoup de douceur, elle passa la main dans les cheveux de la jeune fille.

« Ma question va vous paraître abrupte, jeune fille, mais… quelqu’un vous a-t-il fait un jour avaler de son sang ? »

Fiche par Narja

Je n’ai pas voulu rentrer. Tout mon petit monde s’est effondré depuis quelques jours, depuis que mon chemin a croisé celui d’un vampire. C’est tellement con à dire que je n’y crois pas moi-même, et pourtant, c’est bel et bien ce qui s’est passé. Mon chemin a croisé celui d’un vampire. C’est à cela que je pense tandis que mon téléphone s’agite dans ma poche, mes parents, mes amis, tous me cherchent, et moi… je n’ai aucune envie de rentrer. On me reproche mes sorties tardives, mes silences, on a remarqué le changement. Et tout le monde veut savoir. A qui pourrai-je raconter un truc aussi fou sans me faire interner ? Sincèrement, à qui ? J’ai bien essayé de dire à mon amie à mot couverts que j’avais rencontré un garçon, mais de suite, son esprit s’est emballé.

Encore cette maudite sonnerie. Bon sang, je vais finir par balancer ce téléphone si ça continue. D’un geste rageur, je renvoie l’énième appel de ma meilleure amie. Un autre jour, ma grande, un autre jour. Pour le moment, franchement, oublie-moi. J’ai besoin d’air, tu comprends ? D’air.

- Excusez-moi, mademoiselle, je cherche l’église la plus proche.

Je ne l’ai pas vu arriver, pas entendu non plus. Un homme se tient devant moi, de haute taille, vêtu impeccablement d’un costume que je juge hors de prix. En temps normal, je lui aurai simplement indiqué le lieu en question et souhaité une bonne soirée, mais ce que j’ai sous les yeux défie toute logique. Le sol sous son pas se fendille, les bâtiments semblent s’user à vue d’œil. Les plantes naissent, grandissent et meurent. Dans un périmètre autour de lui, tout semble soudainement être précipité à la ruine.

Et je suis si proche, si proche de lui. Déjà je me sens faible, déjà mes pensées sont absorbées vers le néant. J’ai l’impression que ma peau se dessèche.

Un choc. On me projette au loin, le mur d’une façade me percute violemment le dos, je suis à moitié sonnée. J’entends le fracas d’une bataille, des cris. Puis le silence, à peine troublé par un sifflement suraïgu qui me vrille l’intérieur du crâne. J’entrouvre les yeux, les referme brutalement. Bon sang, mal au crâne, que s’est-il donc passé ? Je ne parviens pas à me souvenir d’autre chose que de cet homme, et tout ce qui se détruisait autour de lui.

Un pas précipité.

- Hey ? Euh… He! Tu vas bien? Tu m’entends?

Une main s’est posée sur mon épaule. La voix résonne, m’entoure. Pétillante et inquiète à la fois. Plus bas, il semble parler à quelqu’un d’autre.

- La Dame va nous buter s’il y a des dommages collatéraux, faut la ramener, non ?

- Elle va nous buter de toutes façons. Cette fille a été témoin, et… mais tu m’expliques pourquoi elle est encore en vie ?

Un silence succède à cette question. La voix s’adresse à nouveau à moi. J’essaye de garder les yeux entrouverts, et je distingue un visage flou surmonté d’épis blonds.

- Ecoute, n’aies pas peur, d’accord ? T’as de la chance qu’il ne te soit rien arrivé. Tu te sens fatiguée ? Ouais, je suis con, ça se voit. On va t’embarquer, d’accord, on va t’amener à la Dame, ne t’inquiète pas, tu es en sécurité maintenant.

On m’aide à me lever, on me soutient. En avançant, je trébuche parfois, heureusement, j’ai une épaule sur laquelle me reposer. J’aimerai lui poser des questions, lui demander pourquoi je me sens aussi mal, pourquoi le sol se fissurait autour de ce type, mais… je n’en suis pas capable. Je dois être livide, blanche comme un linge surement. En fait, je fais surement peur à regarder.

L’un de ceux qui accompagnent le type qui me soutien me passe devant, je le vois ouvrir une plaque au sol… Les égouts ? Il est sérieux là ? Les égouts ? Mais elle habite où sa Dame, dans le trente-sixième sous-sol ? Je n’ai pas le temps de protester que le jeune homme me soulève du sol, me prend dans ses bras, et descend l’échelle qui mène aux souterrains tout ne me portant. J’essaye d’articuler un mot de refus, mais je n’y arrive pas. L’odeur nauséabonde du lieu m’éveille un peu, et nous poursuivons la route. Je crois qu’il essaye de me forcer à rester consciente en me parlant, mais honnêtement, j’ai du mal à suivre ce qu’il me dit. Fais un effort, Gabrielle, essaye au moins de savoir ce qui t’attend. Si mon corps ne veut pas suivre, mon cerveau carbure à toute allure.

- Euh…

- Oui ? Tu peux m’appeler Elwin. C’est quoi ton nom, toi ? On va faire une pause avant de te présenter à la Dame, histoire que t’aies le temps d’avaler un truc. Je pense que ça te fera du bien. Jack est parti s’assurer que la voie était libre.

Il a l’air soulagé de m’entendre émettre un son. A vrai dire, moi, je me sens surtout soulagée d’avoir entendu le mot pause.

- On est où ? Les égouts ?

- Ouais… désolé pour l’odeur. On s’y fait, tu sais.

- Tu vis là ?

Un silence un peu gêné me répond.

- Non… pas vraiment. J’y squatte parfois avec des… amis.

Quel étrange lieu de squat. On m’introduit dans une pièce, on me laisse le temps de prendre une pause. Je ne me demande même pas comment ils ont fait pour amener l’électricité et ce canapé ici, ni même la machine à café d’ailleurs. On me tend une tasse étonnamment propre et un truc à grignoter. Aussitôt j’ai l’impression de revivre. Je remarque que nous ne sommes pas seuls. Deux autres personnes sont dans la salle, visiblement intrigués. De loin j’entends la question qui est posée. On veut savoir si je suis une nouvelle… Une nouvelle quoi, je me le demande.

- Prête à repartir ?

- Oui, merci. Mais… je me demandais… qu’est-ce que c’était que ce mec ?

Il semble mal à l’aise, je le perçois maintenant que j’ai les idées un peu plus en place. Tout en continuant de me soutenir, je le vois réfléchir intensément à la réponse qu’il va pouvoir me sortir.

- Un Mage. Je vais pas t’expliquer tous les details, mais la réalité peut être déformée par une volonté suffisamment forte. Ce type… on va dire qu’il avait suffisamment de volonté pour plier le réel à sa vision du monde. Cette vision était que tout va fatalement à la destruction en commençant par les points faibles. Tu étais dans son champ d’action, tu es une humaine. Tu aurais dû mourir.

Une humaine ? S’il savait. Je ne dis rien. Je ne sais pas à quel point il est au courant de ce qui se trame ici. Shiro est-il tout près ? J’aimerai le croire. C’est en tous cas vers lui que se tournent mes pensées. Je me remets du choc. Je n’ai aucune raison de ne pas croire à ce que j’ai vu, après tout, Shiro a bien joué avec les ombres à trois reprises devant moi, plus rien ne devrait m’étonner. J’aurai dû mourir. Serait-il possible que le sang qu’il m’a offert m’ait protégée ? Je suppose que ce doit être cela.

Enfin, il pousse une porte, écarte un rideau, et m’introduit dans une petite pièce. J’y vois immédiatement une femme exceptionnellement belle. Ses longues boucles brunes cascadent sur son épaule drapée de soie noire, elle a un masque sur les genoux et me fait face. Il lui résume la situation, mais je ne les écoute pas, trop choquée de ce que je vois. Il y a une deuxième personne dans cette pièce. Une personne à laquelle je ne m’attendais pas. Shiro. Putain, Shiro est là ! J’ai l’impression que mon cœur s’est bloqué dans ma poitrine, entre bonheur et stupeur.

La femme que je suppose être une vampire, se lève, écrasante de majesté et de douceur, elle me passe une main dans les cheveux, et me pose une question à laquelle je me sens obligée de répondre.

« Ma question va vous paraître abrupte, jeune fille, mais… quelqu’un vous a-t-il fait un jour avaler de son sang ? »

Encore hébétée, je n’hésite pas longtemps, un nœud dans la gorge, je désigne Shiro, et prononce quelques mots d’une voix blanche.

- Le Vampire que vous cherchez est en face de vous.

C’est à cet instant que le traumatisme vécu plus tôt dans la soirée choisit de refaire surface, étouffant un hoquet nerveux, je fonds sur Shiro et le prends dans mes bras. Les larmes coulent sans que je ne puisse les maîtriser. J'ai besoin d'être rassurée, là, je ne contrôle pas les événements de la soirée, et ça commence à faire beaucoup pour une "simple" humaine.

- Etat de choc, je suppose. Fait observer Elwin qui est resté très maître de lui-même, au final.

Merci à tous les deux de me laisser me taper l'incrust <3 Flam', merci pour les infos sur les mages ^^' il a l'air génial ce jeu, en tous cas. Shiro, désolée, pas pu m'en empêcher xD

Et elle récidive en plus?

[HJ : oui, c'est bavard une mémé Nosfé xD]

La présence de cet ami en des heures si sombres et si mélancoliques faisait beaucoup de bien à la Nosfératu. Ses mains autour de la sienne, sa présence silencieuse. Tout ceci était un baume apaisant sur les peines de son cœur. Avoir trouvé un tel ami était sans doute chose inespérée en cette ville, après tant et tant d’années passées dans la solitude. Et ses mots s’étaient faits emplis de raison et de douceur.

« Vous n’êtes pas une gêne, Shiro-chan, ne vous autorisez pas à le penser. »

Voici simplement ce qu’elle lui avait répondu un sourire aux lèvres tandis qu’il s’interrompait à l’arrivée d’Elwin et d’une jeune fille. L’histoire lui avait appris par la suite que la jeune fille n’était autre que la goule du jeune vampire, sans doute ce dont il avait voulu lui parler peu après, lorsque sa phrase s’était suspendue. Voici qui s’appelait tomber fort à propos.

Flamina avait le sourcil froncé sans s’en rendre compte, ses doigts s’agitaient près de ses lèvres dans une moue pensive. Elle semblait à la fois surprise de la tournure des événements, et l’était, en vérité, et toute aussi préoccupée.

« Les Mages, demanda-t-elle à sa goule.
- Nous n’avons eu que l’Euthanatos.
- Quelle tradition pour les autres ?
- Sans doute un Chamane, et le troisième nous est inconnu.
- Extase ?
- Peut-être. »

Voici qui était extrêmement préoccupant, à la vérité. Il y avait déjà bien assez à gérer ici avec le sabbat sans que des fous furieux ne viennent mettre le désordre en son domaine. Bien assez à gérer avec les intrigues de cour, et les remous qui agitaient ces derniers jours le clan des Masques pour qu’elle ait en prime à s’occuper de ce genre… d’individus.

« Amenez un siège ici pour cette jeune demoiselle, Elwin, puis allez prendre du repos, je pense que vous l’avez amplement mérité. Posez-vous un jour de congé demain si on vous y autorise, et reprenez votre traque de nuit. Faites passer le mot aux autres, il serait préférable que ce Chamane ne soit pas en extase, je refuse de devoir faire appel aux Nécromants pour conjurer les morts qu’il aura ramené de ce côté du Voile. En outre, s’il est en extase, veillez à ne pas vous faire attaquer par des spectres, je refuse de perdre bêtement mes meilleurs éléments.
- Il en sera fait ainsi. Nous nous en assurerons.
- Et… vous avez fait de l’excellent travail. »

Il s’inclina, souriant, et prit congé. Les compliments de la Dame aux Masques étaient suffisamment rares pour être appréciés. On apporta un fauteuil pour Gabrielle, et Flamina le lui désigna avec un grand sourire. Redevenue brusquement affable, elle choisit de commencer par le commencement. Shiro enlaçait toujours sa jeune protégée, la rassurant, il lui avait expliqué, penaud, la situation.

"Il s'agit de ma protégée, Gabrielle... Une jeune flamme qui a choisis de boire mon sang, d'avoir un aperçus de ce monde."

« Je suis ravie de vous rencontrer, Gabrielle, ravie de savoir que nous serons probablement amenées également à nous revoir puisque je ne laisserai pas Shiro-chan repartir d’ici sans la promesse d’une nouvelle rencontre. »

Un petit sourire flotta sur les lèvres de la vieille Nosfératu. Une boutade, bien entendu, mais en cette terrible soirée, il faisait peut-être bon de détendre l’atmosphère.

« Je suis désolée que vous ayez été prise à parti dans cette chasse, Gabrielle. Les jeunes gens que vous avez vus étaient censés s’assurer qu’il n’y ait pas de dommage collatéraux, mais… c’est toujours une chose extrêmement ardue, je le crains. Remerciez donc Shiro, vous lui devez la vie ce soir. Si le sang qu’il vous avait fait boire n’était pas si ancien, vous auriez certainement subit une mort atrocement douloureuse. Heureusement il n’en est rien. »

C’était une chose assez terrible à reconnaître, mais il fallait, au goût de Flamina, que la jeune fille sache ce à quoi ils avaient tous deux, Vampire et Goule, échappés. Elle balaya l’air d’un revers de main.

« Je vous demanderai toutefois à tous les deux d’être extrêmement prudents. Shiro-chan, je vous ai parlé un peu plus tôt de ces mages. Un mage est un humain éveillé, il a conscience que le réel n’est que la volonté du plus grand nombre, ce qu’on appelle le consensus. Si le plus grand nombre se mettait à croire aux dragons, vous en verriez dans le ciel, Shiro-chan, s’il pensait que l’eau avait un goût de mangue, elle l’aurait. Tout ce qui nous entoure est façonné par la volonté inconsciente de chacun. Mais certains humains sont éveillés. Cet éveil provoque en eux la naissance d’une volonté consciente. Ils peuvent altérer cette réalité, mais lui sont encore soumis. Chaque mage possède une magie propre, qui est conforme à sa vision du monde. Si un mage pense que les esprits existent, eh bien il sera en mesure de leur parler, de les invoquer à la manière d’un Giovanni tout en restant humain. Cependant, je vous l’ai dit, ces éveillés sont soumis au réel, s’ils forcent le réel un peu trop, celui-ci réagira, et reprendra sa place. La magie qu’ils auront réalisée sera alors qualifiée de vulgaire. »

Flamina prit une petite pause, cherchant ce qui pourrait illustrer son propos.

« Imaginez un instant que je sois mage, et que j’invoque une boule de feu devant vous. Cela serait choquant, n’est-ce pas ? C’est ce qu’on appelle de la magie vulgaire, un paradoxe dans le réel, une incohérence. Grâce à ce paradoxe, les mages sont limités dans leur action, ils se doivent de suivre le consensus, de respecter le réel. Car ce réel n’aime pas être troublé. Mais… Nous allons plonger ce soir au cœur d’un des plus grands mystères à mes yeux. Certains mages, on les dit en extase, sont tellement persuadés que leur vision du monde est la bonne qu’autour d’eux, le réel devient ce qu’ils ont en tête. Le Mage que vous avez rencontré ce soir est un Euthanatos. Ces mages sont naturellement des assassins, ils considèrent que toute chose est vouée à plus ou moins long terme à la destruction, dès lors, ils s’emploient à détruire ce qui doit être détruit pour que l’ordre revienne. Ils servent le néant, l’entropie, la force destructrice. L’Euthanatos que vous avez vu, Gabrielle, était en extase, il plie inconsciemment le réel à sa volonté de néant, et vous avez sans doute du voir l’effet du temps, de l’érosion sur ce qui l’entoure. Cette destruction est involontaire, l’Extase ne se contrôle pas, mais est redoutablement dangereuse. »

Si le sang de Shiro n’avait pas été ancien… s’il n’avait pas été si proche du Vampire Originel… Flamina hocha gravement la tête. Il y en avait qui avaient vu la mort de très près, ce soir, Elwin, Gabrielle, comme les humains étaient désarmés.

« Vous m’avez certainement entendu le dire à Elwin, et bien que je monnaye d’ordinaire mes informations, je ne puis que vous offrir celle là. Il y a actuellement trois mages en ville. Nous savions que l’un d’eux est en extase, mais l’ignorons pour les deux autres. L’autre Mage dont nous connaissons la Tradition – l’équivalent de nos clans vampiriques, si vous voulez un aperçu simple de ce que peuvent être les traditions – est un Chamane. Il croit aux esprits, est persuadé qu’il existe un monde Spirite autour de nous. Cela rejoint un peu le monde des vifs et le monde des morts séparés par le voile que disent arpenter les Anciens du clan des Nécromants. Si ce mage est seulement un éveillé, son pouvoir ne se manifestera pas hors de son contrôle, mais s’il est en extase… nous risquons de voir des spectres dans les rues les jours prochains. Imaginez le désordre que cela ferait, des cas de possession, des poltergeist, des esprits frappeurs ou avides de vengeance, et pourquoi pas… des cadavres dans lesquels se logeraient quelques esprits pour sortir de terre et venir semer le chaos. C’est une vision d’horreur, bien entendu, mais je crains qu’il ne faille s’y préparer si ce mage est effectivement en extase. C’est pourquoi j’aimerai avoir la certitude que vous serez tous deux prudents dans les nuits à venir, et que vous me ferez parvenir l’information si vous remarquez quoi que ce soit de suspect. »

Voici la bien maigre portée de ce qu’elle pouvait faire pour eux. Comme elle aurait voulu que le pouvoir en place l’eût entendue lorsqu’elle tempêtait pour prouver la gravité de la situation.

« Mais nous ne saurions nous attarder uniquement sur ce qui est grave en cette lune, n’est-ce pas ? Beaucoup de choses sont importantes sans êtres graves. Dites-m’en un peu plus sur vous, Gabrielle. »

Fiche par Narja

Et elle récidive en plus?

Flamina souriait doucement en entendant Shiro interrompre le discours de celle qu’elle présageait être la future infante de son ami. Vraiment, les humains avaient une vision si étriquée des choses parfois. Du haut de son grand âge, elle savait bien que rien ne se faisait sans raison en ce bas monde, mais… les hommes n’avaient sans doute pas assez de recul pour en juger. Dès lors, ce genre de candeur faisait toujours sourire l’Ancienne Nosferatu.

L’heure du départ approchait. Cela était sans doute plus sage, en effet. Flamina aurait pu discuter toute la nuit, mais tel n’était pas le cas de cette jeune humaine. Elle avait sans doute besoin de repos après avoir vécu une nuit si éprouvante. Elle trouverait sans doute le sommeil sans aucun problème, même après une telle rencontre.

Ah, comme les humains étaient fragiles, on avait tendance à l’oublier à cette étape là de la non-vie. Flamina se maudit intérieurement d’être aussi bavarde, il y avait des choses comme ça sur lesquelles il ne fallait absolument pas la lancer. La Nosfératu choisit néanmoins de répondre succinctement à la jeune fille.

« Oui, Gabrielle, les Loups et les Fées existent. Mais tout ceci… tu l’apprendras sans doute en temps et en heure avec Shiro-chan. Tu es entre de bonnes mains, je le pense sincèrement, et quant au clan des Nécromants… Je laisse également mon ami ici présent t’éclairer quand il le jugera opportun. Si d’aventure, tu veux en savoir plus sur quoi que ce soit, amène donc Shiro-chan ici, je serai toujours ravie de vous voir tous les deux. »

Se tournant vers Shiro, elle eut un grand sourire.

« Le plaisir est pour moi, Shiro-chan, vous êtes toujours le bienvenu ici, vous le savez. Je ne doute pas que nous nous reverrons, aussi, à n’importe quelle heure de la nuit, venez si vous en éprouvez le besoin. Ma porte vous est ouverte. Si d’aventure je suis absente, Elwin s’occupera de me contacter. Prenez bien soin de vous et de cette jeune fille. Et n’oubliez pas, si vous avez vent de quelque trouble concernant ce mage… avertissez-moi si vous le pouvez, je fais de ces inopportuns une affaire personnelle. »

Il ne sera pas dit qu’elle laisserait des foutus mages en extase se balader librement dans les environs. Cette lune neutre, une lune amie. Voici ce qu’espérait Flamina, l’occasion de revoir Shiro non pas sous l’étendard du camp d’en face, mais côté Camarilla. Ne pas avoir à se cacher, pouvoir le côtoyer librement. Assurément, l’Ancienne du clan des masques était divisée en un sentiment étrange. Heureuse de cette nuit, heureuse de voir ce jeune évêque si attendrissant avec celle qui deviendrait sans doute un jour sa « fille », et triste, également, pour cette jeune demoiselle, de la savoir vouée au Sabbat. Les Sabbatiques n’avaient pas la réputation d’être tendres avec leurs jeunes générations, et, un sang aussi puissant que serait le sien après l’étreinte… sans doute serait-elle instrumentalisée avec ou sans le consentement de son Sire d’ailleurs.

Fiche par Narja

Shiro est resté bien silencieux pendant notre échange avec la Dame. Un échange ponctué d’informations et de paroles. La voix douce de la Vampire a sur moi un effet hypnotique, une berceuse, presque, qui se fait entendre en de douces modulations. Aussi lorsque la voix de Shiro interrompt le flot de notre échange, je me redresse, surprise. J’avais presque oublié sa présence.

Ses paroles me semblent une énigme, comme toujours, je n’ai aucune clairvoyance quant à ce qui m’attend. Je les écoute, je tente de les analyser.

"C'est faux Gabrielle. Si je t'ai donné mon sang ce n'est point parce que tu m'apparaissais sans particularisme. Dès que je t'ai vu, j'ai pressenti que tu étais une personne hors du commun, crois moi..."

Que veut-il dire par là ? Je ne le sais pas, et je n’ai pas l’occasion de le questionner à ce sujet. Il m’entraîne ou presque, je suis fatiguée, c’est vrai. Du repos ne me ferait pas de mal. Il faudra que je songe, en tous cas, à lui demander, à Shiro, une nouvelle rencontre. Il y a tellement de zones d’ombres dans tout ce qu’il m’a dit, dans tout ce qui est survenu qu’il me faut absolument des réponses. Et puis, je devrais lui parler de Keith, aussi, peut-être, je n’en sais rien à vrai dire. N’a-t-il pas été l’une des plus singulières rencontres de ces derniers jours ?

La Dame laisse tomber quelques mots encore à mon attention.

« Oui, Gabrielle, les Loups et les Fées existent. Mais tout ceci… tu l’apprendras sans doute en temps et en heure avec Shiro-chan. Tu es entre de bonnes mains, je le pense sincèrement, et quant au clan des Nécromants… Je laisse également mon ami ici présent t’éclairer quand il le jugera opportun. Si d’aventure, tu veux en savoir plus sur quoi que ce soit, amène donc Shiro-chan ici, je serai toujours ravie de vous voir tous les deux. »

Je suis touchée de l’attention, je ne sais pas trop quoi lui dire, mais j’aimerai en effet revoir cette Dame bien singulière. Me levant, j’incline la tête devant elle, avec un grand sourire quoi qu’un peu las.

- J’espère moi aussi que nous nous reverrons. J’aurai sans doute encore beaucoup de questions. Merci en tous cas, de votre aide et de celle d’Elwin. Merci beaucoup.

Enfin nous sommes sur le départ. Nous nous éclipsons. Je laisse tomber quelques mots à l’attention de Shiro.

- Il faudra vraiment que je fasse une liste de toutes les questions qui me taraudent la prochaine fois que l’on se recroise, toi et moi, parce que je ne suis pas sure qu’une nuit y suffira. Mais… merci d’être là, Shiro.

D’avoir manqué d’y rester m’a sans doute fait prendre conscience de la peur que je pouvais ressentir à l’idée qu’il ne disparaisse comme s’il avait été un simple rêve. Non, vraiment, c’est un ami, en si peu de temps, je le considère déjà en tant que tel. Un repère.