La boîte Noire

Mais quelle idée vraiment ! Un Parking ! Sa goule n’avait rien trouvé de mieux qu’un Parking ! Flamina leva les yeux au ciel, mi exédée, mi inquiète d’être aussi loin de son territoire habituel. Elle avait beau n’être pas particulièrement casanière, elle tenait à son terrain de chasse. Ceci dit, en repérant les lieux, sa Goule n’avait pas été totalement stupide – rien d’étonnant à cela, le petit était plutôt futé pour ce qui était de préparer des plans chronométrés à la seconde – l’accès aux égouts était proche, elle pourrait disparaître en un claquement de dents, et il y avait un petit groupe de membres de son clan qui patrouillaient dans les environs.

Cette fois-ci, ce foutu traitre ne lui échapperait pas ! Oser rejoindre le Sabbat était en soi un choix déjà risqué, même au sein des Nosferatu, mais oser rejoindre le Sabbat en emportant une liasse de documents confidentiels était un acte de guerre.

Un acte de guerre pure et simple.

Une pensée naquit dans son crâne, originaire du réseau.

« Il arrive »

Fort bien. Les petits savaient ce qu’ils avaient à faire, et cet infant – bien qu’il ne fût pas le sien – saurait très bientôt ce qu’il en coûtait de trahir.

Des pas précipités parvinrent aux oreilles de Flamina, il entra dans son champ de vision, aussi difforme que dans son souvenir. Courant étonnamment vite malgré son pied bot, il avait semé sans problème les enfants qu’elle avait laissés à sa suite. Manque de chance pour lui, Flamina était passée maîtresse dans l’art de la dissimulation.

Il ne la vit pas immédiatement, et se jeta sur elle sans même en avoir conscience. Elle n’eut qu’à tendre le bras pour saisir sa gorge, le soulever comme s’il était aussi léger qu’une plume et le plaquer contre un mur. L’impact fissura ce dernier dans un bruit sourd qui vibra un bon moment dans l’air – oups, elle y était sans doute allée un peu fort.

« Ma Dame, gémit-il, pitié, je n’ai pas eu le choix.

- Mauvaise réponse, commenta-t-elle négligemment, je n’ai rien, personnellement contre toi, tu n’es pas de notre groupe, mais tu as des informations que je tiens vraiment à récupérer. Vraiment. »

Une pression suffit à le faire suffoquer – oh ce devait être davantage une suffocation de panique, bien entendu – mais Flamina en profita pour récupérer ce qu’elle cherchait dans sa poche. Sans se préoccuper de la vermine qu’elle avait épinglée au mur et qui tentait de lui lacérer le bras en hurlant comme un démon, elle vérifia d’une main que l’ensemble y était.

« Je savais, commenta-t-elle, que mon habitude de tout consigner par écrit matériel, me causerai des ennuis à l’ère du numérique, il faudra vraiment que je pense à y trouver un remède, tu ne penses pas ? »

Un feulement lui répondit, comme ces petits étaient insupportables. Une centaine d’années au compteur, et ils devenaient invivables. C’était regrettable, tout à fait regrettable.

Un vampire arriva derrière Flamina. Dissimulé dans les ombres, il était suivi de deux autres Masques. Le vampire de tête était un Ancien, écrasant de laideur. Même Flamina avait parfois du mal à supporter la vue de son corps désarticulé.

« Nous prenons le relais, Ma Dame, si vous nous le permettez. Vous avez obtenu satisfaction, permettez que nous en fassions de même.

- Mais je vous en prie , répondit-elle en lâchant soudainement le vampire qui s’affaissa sur le sol.»

Il fut emporté par ses paires en braillant à s'en faire exploser les poumons, à n’en pas douter, ce petit imbécile allait passer un sale quart d’heure. Flamina n’avait pas de réputation particulière, mais lui… Il ne s’entendait pas à merveille avec la gente Tremere pour rien, et dirigeait sa meute d’une main de fer… sans gant de soie.

Flamina resta seule un moment, avisant l’impact logé dans le mur. Avec un peu d’imagination, les humains arriveraient sans doute à faire passer ça pour un défaut de construction. Sa goule travaillait ici de jour, elle en profiterait pour faire illusion. Et ce parking étant le seul où il n’y avait nulle caméra de sécurité, il lui était facile de disparaître.

Elle décida néanmoins de profiter de ce que le lieu était désert pour errer un peu dans les environs. Où était-elle au juste ? Ah oui, le parking D-4.

Fiche par Narja

La boîte Noire

Tandis que la vampire errait dans ce souterrain, constatant non sans une certaine anxiété – autant qu’on pouvait en ressentir lorsqu’on avait cet âge-là – qu’il n’y avait qu’elle dans les environs, elle perçut un froissement, à peine audible, à peine tangible. Quelque chose, une marque caractéristique qu’elle avait connue lors de ses premières guerres contre le Sabbat.

Continuant de marcher, elle rappela un à un ses souvenirs. Ce goût qui flottait dans l’air, ce goût de vide, de néant. On ne pouvait l’oublier, mais de quel clan venait-il ? N’était-ce qu’un fantôme du au temps qui passait ? Peut-être vieillissait-elle après tout ? Peut-être son esprit avait-il besoin de repos ?

Non. Lorsqu’il fut face à elle, Flamina le sut. Elle n’avait nul besoin de repos, se tenait devant elle un de ces vampires qui côtoyaient les ombres de plus près que n’importe-qui. Il lui suffit d’humer l’air légèrement pour en avoir confirmation. Cet adolescent vêtu d’ombres, au visage poupin qui assurait à tout œil non averti une confiance immédiate, n’était pas qu’un simple adolescent. Pas avec cette aura écrasante qui la troubla une demi-seconde.

Troublée une demi-seconde ? Celui-là devait être ancien, et la profondeur de ses pupilles ne trompait pas. Une Abysse. Un Lasombra. Et sans doute pas un infant quelconque, sa maîtrise était bien trop grande.

Et pourtant… il lui semblait qu’il fût sans doute moins expérimenté, peut-être un rien plus jeune, qu’elle. Affleurait encore dans son être une sorte de juvénilité, autant qu’il pût le sembler à la vampire.

Le vampire s’approcha, s’arrêta, il déposa une boite noire, telle une offrande devant la Nosferatu et lui adressa ces mots.

"Une rencontre fort improbable, surréaliste comme certains écrivains pourraient nous mettre en scène. La nuit est toujours trop courte en cette saison, si vous n'aviez point l'intention de traiter avec ma personne, pourquoi changer vos projets? L'improbable c'est aussi de l'aléatoire dans sa réalisation et c'est à vous de prendre ce risque."

Au moins était-il prudent, songea Flamina, tout en appréciant son évident sens du tact et de la diplomatie. Il ne savait rien d’elle, tout comme elle n’avait qu’entendu de vagues échos de lui. Car la vérité était bien là, on lui avait parlé d’un dignitaire Sabbatique qui errerait probablement dans les environs les jours prochains, suite à une conversation surprise par l’un de ses éclaireurs. Sans doute était-il ce même vampire. Il en avait de toute façon l’apanage.

« Je ne suis point là pour ruiner vos projets, enfant des Ombres, bien que j’eus connaissance de votre probable passage dans les environs. Je ne me mêle pas des conflits qui agitent nos deux factions, et ce territoire… n’est pas sous ma surveillance. Je laisserai donc le soin à d’autres que moi de vous intercepter s’ils le jugent bon. Je n’ai aucun intérêt à faire le travail à la place des Sorciers. »

Elle fit une pause, laissant la connotation péjorative qu’elle accolait au mot de sorcier résonner dans le souterrain (les Tremere l'avaient toujours laissée particulièrement froide quant à leur rigueur psychique pour le moins déplaisante) puis elle jaugea attentivement la boite, le vampire, la boite encore. Sans doute préparait-il quelque chose, et elle ne saurait sans nul doute rien en tirer. Devait-elle faire acte de prévention ? Sans doute l’avait-on envoyée ici pour cela, mais… un affrontement de deux anciens laisserait sans nul doute de graves séquelles dans le paysage qu’il serait impossible d’expliquer aux autorités humaines. Et cela, le lasombra devait bien s’en douter. Non, elle ne ferait rien, sinon relayer l’information. D’ailleurs, elle le percevait, deux éclaireurs restés dans les environs entendraient bientôt le son de sa voix et pourraient faire parvenir le message, à moins que ce jeune samuraï ne les intercepte, ce qui serait une regrettable provocation qui l’obligerait à répondre de façon… un peu violente disons.

D’un œil suspicieux, elle s’attarda sur le chargement du vampire. Cette boite noire. Décidément, elle ne lui permettrait pas de laisser cela là. Une bombe ? Un flash ? Qui savait ce que contenait cet énigmatique coffret. Sans doute rien de bon, comme à chaque fois qu’on croisait une ombre.

« Je vous laisse volontiers reprendre votre chargement, je suis certaine que vous préférez grandement l’avoir sous la main. Et je ne m’encombre pas, pour ma part, des armes d’autrui. Passez Gardien, mais souvenez vous que nous ne sommes pas les seuls vampires ici, mon clan est toujours à la recherche d’une poignée de traîtres dans le secteur. »

Un avertissement qui était plutôt clair. Qu’il touchât à ses éclaireurs, et, bombe ou pas bombe, mascarade ou non, elle se chargerait personnellement de son cas. Et à n’en pas douter, ce vampire était assez intelligent pour avoir connaissance de la chance qu’elle lui laissait. Après tout, on ne survivait pas aussi longtemps sans apprendre deux-trois astuces, qu’on fût dans le Sabbat ou la Camarilla.

Fiche par Narja

La boîte Noire

L’Ombre réagit peu à l’annonce de la situation pour le moins aussi étrange que délicate dans laquelle il se trouvait. Cela ne surprit guère Flamina qui s’était attendue à pareille droiture. Il devait être attaché aux valeurs du Bushidô, et bien que ce ne fût pas sa culture, elle avait appris avec l’âge à respecter ces valeurs d’honneur dictées par ces contrées asiatiques. Cela donnait en général des adversaires intéressants à côtoyer, et des vampires d’une grande complexité. Autrefois elle avait croisé un vieux vampires issu du cœur de l’Asie, ce pauvre moine n’avait pas trouvé en elle d’oreille attentive, et s’en était allé sur les chemins, renonçant à tenter de lui faire voir l’intérêt de son nouvel état. Comme elle le regrettait à présent. Leurs longues discussions auraient sans doute pu, à cette époque, lui apporter la paix. Paix qui était venue, plus tard, après des années passées la lame à la main sur les champs de bataille.

"A mon tour d'apporter une considération. Je ne puis qu'être votre obligé malgré toutes les défiances pouvant nous séparer, vous avez fait preuve de déférence et je dois avouer avec surprise d'une certaine prévenance. En cela je suis votre obligé pour cette lune."

Voici ce que furent ses mots. Des paroles sans nul doute rassurantes. Flamina hésita une brève seconde sur la conduite à adopter, mais, lesphrases qui virent ensuite, s’échappant d’un léger sourire, se conjuguèrent à son intuition aiguë que le danger était passé achevèrent de la convaincre de la stabilité de la situation présente.

"La boîte est désormais inopérante. Je n'ai point peur pour ma sécurité... Mais dite moi combien de temps est-ce que je dispose avant que cette rencontre ne cesse brutalement?"

Sans doute cela était-il exact. Elle inclina la tête gravement en signe de remerciement, ainsi que le faisait dans son souvenir ce moine, puis elle reprit la parole. Il aurait été grossier de ne pas répondre après un tel acte de sympathie – de trêve serait sans doute plus exact, mais pour cette lune, on pouvait bien lui accorder la sympathie – et absolument déloyal.

« Je ne puis que vous remercier de ce geste. Les explosions font très mauvais genre, même chez les humains, et vous nous épargnez de longues explications brumeuses. Le clan des Sorciers devrait arriver d’ici une vingtaine minutes tout au plus, et sans doute moins, mais mon clan vous accordera ce soir le libre passage dans les égoûts pour peu que vous ne vous y attardiez point trop. Je me doute que cette visite dans un lieu si profondément attaché aux valeurs Camaristes vous déplaira, mais sachez que je vous accompagnerai. Notre clan est de sortie, il ne devrait y avoir que quelques vieilles figures de ma connaissance qui nous laisseront en paix. Je vous promets ce soir qu’aucun acte d’hostilité à votre encontre ne sera perpétré sans châtiment en retour, et nous reviendrons un autre jour aux frictions de nos deux factions si vous le voulez bien. Je n'attaque jamais un ennemi sans raison, et vous ne me laissez aucune raison de tenter quoi que ce soit à votre encontre. Vous avez mon estime pour cette Lune. »

Flamina allait sans doute en entendre parler pendant un bon moment, de ce libre passage, mais aucun Ancien n’aurait le culot d’aller tenter de lui taper sur les doigts. Pas lorsqu’elle avait contribué à la destruction d’une cellule de traitres à leur rangs, et probablement sauvé la vie d’une personnalité ce soir par son état d’esprit. Et si l'un d'entre eux essayer, eh bien... il risquait sans doute bien davantage qu'une petite colère. Flamina avait, malgré elle, quelque soutien parmi son clan qui lui reprochait souvent de ne point entrer en politique. Que feraient-ils si elle décidait de les écouter, pour une fois?

Il ne restait, ce soir, dans la portion - brève portion, il était hors de question de sortir des chemins qui étaient pour l'heure presque déserts et sous sa responsabilité - d’égouts qu’elle se proposait de lui faire emprunter, que ses propres alliés, et lorsqu’elle vit d’un coin de l’œil sa goule s’avancer, elle fronça le sourcil. Il semblait indifférent à l’aura de menace du Lasombra, mais… elle devinait qu’en réalité cela tenait probablement plus du paraître que de son sentiment profond.

Il portait un uniforme de gardien de sécurité, puisque tel était son travail en ces lieux.

« Ma Dame, fit-il, le clan des Tremere est en route, je viens d’en avoir confirmation. Ayant eu vent de votre décision de ce soir, je présume qu’il faudrait vous hâter. Si vous le permettez, je me retire avant qu’on ne remarque mon absence. »

Flamina opina, le libérant pour la soirée. Elle reporta sur son attention sur le Lasombra, visiblement il n’y avait pas vraiment lieu de tergiverser quant à la suite des événements.

« M’accompagnerez-vous, Enfant des Ombres ? Je comprendrai très bien que vous préfériez vous passer de cette visite, et ne vous en tiendrai pas rigueur si vous la décliniez, mais en ce cas, je vous conseillerai d’opter pour la sortie Nord, celle qu’empruntent les humains. Le clan des Sorcier ne vous attaquera pas au milieu d’êtres humains, ce serait un regrettable bris de Mascarade. Laissez en revanche ce mécanisme là. Notre clan se chargera de le faire disparaître, vous comprendrez bien qu’il serait discourtois d’avoir l’air hostile ce soir, et de donner par là-même une raison à nos rangs – je ne doute pas que certains n’attendent que cela, je crains que les Ombres fussent peu appréciés dans les parages - de tenter de briser la promesse que je vous ai faite et que j’aurai à cœur d’honorer. »

La bouche d’égout était toute proche, quelque fût le choix du Lasombra, elle saurait sans nul doute disparaître elle-aussi avant d’avoir à justifier quoi que ce fût auprès de ses collègues. Et il fallait bien l’avouer, elle préférait avoir, pour le reste de la soirée, ce jeune homme à l’œil, afin d’éviter qu’il ne soit tenté de tuer quelques-uns de siens pour faire bonne mesure.

Fiche par Narja