Tenir ses promesses ... [Christophe]

Spoiler:

Le hurlement de la jeune fille stoppa net Alban. Il resta bouche bée, sidéré, la fixant durant quelques instants.
Mais qu'est-ce qui avait bien pu arriver à cette fille pour qu'elle soit ainsi ? Quel désespoir pouvait bien l'habiter pour qu'elle réagisse ainsi, clamant qu'elle était déjà morte ? Comment pouvait-on haïr sa propre vie à ce point ?

Elle pleurait de nouveau, à chaudes et vives larmes. Elle pleurait, et lui était complètement désarmé. Il ne savait pas du tout quoi faire pour l'aider.
Il avait besoin de Christophe...
Elle l'avait réclamé, elle avait répété de nombreuses fois qu'elle avait peur, qu'elle ne voulait pas qu'ils soient tués. De toute évidence, ses cris et ses pleurs, c'était un appel à l'aide.

Enfin elle s'ouvrit à lui. Enfin elle dévoila ce qui la tourmentait. Une partie tout du moins, et voilée, mais une partie tout de même. Elle avait perdu ses parents. Ils avaient été tués. Par qui ? Il l'ignorait. Peut-être que les démons d'Alice n'étaient pas que des chimères. Ou bien les avait-elle créés après un drame réel, à partir de personnes réelles. Il arrivait parfois, après un drame, que les victimes s'inventent des monstres à combattre, et mêlent la réalité à leur imagination.

Elle se calmait, mais une nouvelle crise pouvait survenir à tout moment. Il fallait que Christophe vienne, qu'il la rassure à nouveau. Quand Alban lui affirmait qu'elle ne craignait rien, elle ne semblait pas pouvoir le croire. Mais elle le croirait, lui. Il fallait qu'il vienne. Mais le soleil était loin d'être couché. Qu'allait-il faire d'elle, en attendant ?
Il songea aux somnifères dans l'armoire à pharmacie. Une solution radicale. Mais il n'en voyait pas d'autre.

Assieds-toi.

Doucement, tendrement, pour ne pas la brusquer, il fit reculer Alice et appuya sur ses épaules pour qu'elle s’assoie sur le rebord de la baignoire.

Je vais te chercher un verre d'eau. Et des bandages, pour ta main.

Il prit le risque de la laisser seule quelques instants, tout en demeurant attentif au moindre bruit suspect.
Il récupéra rapidement dans les toilettes les bandages, le désinfectant et de puissants somnifères, qu'il dilua dans un grand verre d'eau. Avec la dose qu'il y avait mis, elle allait dormir durant des heures... Le temps qu'il fallait pour que la lune se lève, ainsi que son maître.

Il n'y avait aucune réaction, aucun mot ni d'une part, ni d'une autre. Rien du tout, je pleurais, et lui ne disait rien. Mes parents … je n'avais jamais parlé d'eux à quiconque. Je n'aimais pas ça, en parler. J'aimais pas parler de moi …

il me tenais toujours, ses mains fermement serrées sur mes épaules. Il ne voulais pas me faire du mal, je m'en doutais.

Assieds-toi.

Ses mains se posèrent sur mes épaules, et réellement avec douceur, il me fit asseoir, faisant attention comme si j'étais en sucre. Je lui faisais confiance, je me laissais faire, en me tenant un peu au rebord des mains. Ça allait, j'étais pas si mal assuré. Un peu étourdie mais je tenais bien.

Je vais te chercher un verre d'eau. Et des bandages, pour ta main.

Il partit, j'eus à peine le temps de hocher la tête qu'il était déjà à la recherche de ce qu'il avait annoncé à travers les pièces. De toute façon, je ne bougeais plus, les bras serrés autour de moi, comme une sorte de protection. Pour me protéger de qui ? Je ne savais même plus. Juste du monde.

Il revint, je l'observais pendant qu'il me soignait, passant une bande sur mes doigts égratignés. Ce n'était pas grave, ça ne l'était jamais dans un sens. Mais bon, il fallait bien le soigner. Puis il me tendit le verre d'eau, simplement. Je le pris des deux mains, doucement, regardant l'eau miroiter dans le verre, sentant la fraîcheur à travers celui ci. J'avais soif, un peu. Doucement, je portais à mes lèvres l'eau et la bu par petite gorgée. L'eau était vraiment fraîche, mais c'était étrange, un goût étrange. Je lui rendais le verre, toujours un peu honteuse. Je me sentais mal pour lui. Proche de lui, je le mettais en danger, réellement. Et pourtant, il voulais m'aider. Il était si gentil, comme Daniel mais pas tout à fait. Il était gentil, réellement, et je n'avais pas l'habitude. Si étrange … si peu de gens étaient gentils comme ça. Je ne connaissais pas ça. Avant, toujours de la froideur, aucun mot. Alban était si gentil. Et j'aurais pu presque sourire.

Mais les minutes passant, je me sentais un peu bizarre, un peu différente. Mes mains tremblaient un peu, j'étais différente, un peu. Étrange, pourquoi ? Je levais les yeux vers Alban, mais ses derniers ne demandaient qu'une chose, c'était de se fermer.

-Alban …

Je me sentais presque dormir debout. Je tentais de me relever doucement, mais je me sentais un peu faible.

-Je crois que je suis fatiguée …

Spoiler:

Il s'occupa d'elle avec la douceur d'un père. Il prit toutes les précautions possibles pour ne pas lui faire mal, ne serra pas trop les bandages, évita tout geste brusque.
Elle accepta le verre d'eau et le but lentement, mais entièrement.
Mission accomplie.
Elle manifesta assez vite des signes de fatigue, luttant pour ne pas fermer les yeux. Elle tenta de se relever, mais les somnifères agissaient.

Pourvu qu'elle ne s'en rende pas compte. Sa seule crainte était qu'elle comprenne qu'il l'avait droguée, qu'il brise ainsi le peu de confiance qu'il avait réussi à instaurer, et qu'elle reparte dans une nouvelle crise.
Mais elle se contenta de dire qu'elle était fatiguée, avant de fermer les yeux pour de bon et de tomber vers l'avant.
Alban la rattrapa, et n'eut aucun mal à la prendre dans ses bras pour la porter jusqu'au canapé. Elle n'avait pas voulu dormir dans sa chambre hier, elle serait donc mieux si elle se réveillait à nouveau dans le salon.

A présent, il n'y avait plus qu'à attendre la nuit. Et espérer que Christophe vienne.
Le prêtre prit un livre dans la bibliothèque et s'installa dans un fauteuil auprès d'Alice.
Il en avait lu la moitié quand à son tour il piqua du nez, et s'endormit.

ALBAN !

Il se réveilla en sursaut, faisant tomber le livre au sol. Mit quelques instants à comprendre où il était, et quelle était la situation.
La nuit était tombée, et son maître lui parlait dans son esprit... présence invisible.

Tu as veillé sur elle ?
O-oui Monseigneur, m-mais... elle a besoin de vous, elle...
Ssssssht...

Un chuchotement dans sa tête l'imposa au silence. La voix de son maître lui demanda de se remémorer précisément tous les évènements de la journée.
Puis, après un long moment de souvenirs et de silence, Alban entendit :

Nous arrivons...

Puis plus rien.
Alban poussa un profond soupir et se laissa tomber dans le fauteuil.
Il était habitué à ce que son maître lui parle par télépathie, mais lorsqu'il était en face de lui. Jamais il ne l'avait fait à distance jusqu'à présent. Sensation étrange...
Mais au moins, il allait venir. Il allait s'occuper d'Alice, pendant que lui pourrait vaquer à ses propres affaires, à ses propres tracas.

† † † † † † † † † † † † † † † † † † † † † † † † † † † † †

Il s'était réveillé seul, dans son havre sécurisé. Immédiatement, son corps avait replongé dans le sommeil, tandis que son esprit filait à l'église d'Alban. Il y trouva, dans les appartements de son serviteur, Alice endormie dans le canapé, et Alban dans le fauteuil. Exaspéré de constater que la goule ne montait pas la garde, il hurla dans son esprit pour le réveiller. Puis il prit rapidement connaissance de ce qui s'était passé durant son repos quotidien.

Alban avait bien oeuvré. Comme toujours. Il l'avait nourrie, hébergée, lui avait enseigné des rudiments sur la nature vampirique.
Christophe eut une pensée pour l'époque où il s'appelait encore Anselme, et où un prêtre apprenait au jeune homme qu'il était les rudiments des mondes occultes.
Mais elle s'était blessée. Alban n'avait pas su la protéger contre elle-même. Il lui fallait devenir plus forte. Et elle requérait sa présence.

Le Malkavian dut courir à travers la ville, son chauffeur n'étant pas là.
Mais il courut. Il courut vite.
Lorsqu'il arriva aux appartements de son serviteur, il intima à Alban de les laisser, ce que le serviteur fit avec un soulagement à peine dissimulé.
Puis Christophe s'assura que sa capeline couvrait bien le haut de son visage, il s'agenouilla devant le canapé, et posa sa main pâle et froide sur le front de la petite Alice...

J'ai l'étrange sensation que le monde n'était plus le même. Ce n'était pas comme celle que j'avais eu le jours suivant ou j'avais bu cette tasse si mystérieuse, nan c'était bien plus effrayant. Une impression se mêlant à la peur, l'inquiétude. Alban était face à moi, il me protégeait mais pourquoi je voulais dormir ainsi ? Je tentais de me redresser, j'avais le tournis, sans même que je m'en rende compte, mes yeux se sont fermés et je suis tombé en avant, sombrant dans un sommeil sans rêve, sans conscience.

Pourquoi je m'étais endormie, je ne savais pas, j'étais inconsciente presque, plongée dans un sommeil tout sauf naturel. Un sommeil qu'on m'avait imposé. Je dormais mais rien ne me parvenait.
Pourtant, je sentis quelque chose soudain, de la fraîcheur sur mon front. Lentement, je revenais, reprenais conscience de ce qui m'entourait. Le moelleux du canapé, la douceur du tissu, l'air aussi frais de la nuit, la lumière peu précise de la lampe, le poids de mes vêtements sur moi. Je m'éveillais doucement de cet abyme sans rêve ou on m'avait plongé et avec hésitation, papillonnement, j'ouvrais les yeux.
Et il était là,en face de moi, le visage encore en partie caché par le tissu de son vêtement étrange. J'eus un instant d'hésitation, un instant à ne pas vouloir croire ? Peut être, je n'étais pas sûre. Pourtant, c'était idiot, c'était lui, uniquement lui, le Veilleur en face de moi.
Mon geste fut précipité, maladroit, un peu enfantin, mais j'en avais besoin. Mes bras passèrent autour de son cou, mes mains se rejoignirent derrière sa nuque et je me pressais contre lui, comme si j'avais peur, comme si là, de suite, dans les secondes qui venaient, il allait disparaître …
J'étais contre lui, les bras autour de lui, le visage contre son épaule. Rassurée dans un sens qu'il soit, rassuré de le sentir contre moi.

-J'ai eu si peur pour toi …

Je ne parlais pas fort, ça ne servait à rien. Il était là, pas Alban mais je m'en fichais dans un sens. Alban était gentil mais c'était Christophe que je voulais voir, lui et juste lui. Je resserrais mon étreinte contre lui, me cachant presque contre lui. De quoi ? Rien, juste du monde.

-Merci pour tout.

Devais précisé ? Ce n'était pas la peine. Pour ce soir, pour avant, pour tout, il savait ce qu'il était pour moi. Un protecteur, un ami, un pairs, un père.

Il n'était pas dans les habitudes de l'Ancien Malkavian de répondre immédiatement à l'appel d'une personne plus jeune que lui. Mais la petite était humaine. Il lui avait fait une promesse. La promesse de veiller sur elle, de la protéger. De l'élever. Il ferait d'elle une élue de Dieu. Une Enfant de la Lune. La lune l'avait appelée.
Mais elle n'était pas encore prête.

Une éducation prenait du temps, beaucoup de temps. Il avait l'éternité devant lui. Mais pourrait-il se permettre d'attendre plusieurs années ? Sa protégée était faible, elle avait de nombreux ennemis, et ses ombres n'étaient pas les plus dangereux. Il avait écarté le Roi des Ombres, mais il reviendrait sans doute. Il l'avait vu. C'était certain.
Mais la transformer maintenant, lui ôter son innocence ? Non, elle devait sombrer pour pouvoir s'élever.

Alice s'éveilla. Ses prunelles brunes contemplèrent le monde avec le regard d'une douce endormie. Puis une étincelle surgit dans ses yeux. Le geste était peu commun pour le Malkavian, mais il aurait dû s'y attendre. L'enfant l'avait déjà fait. Elle l'avait déjà enlacé. C'était en partie ce qui l'avait décidé.
Elle murmura quelques mots. Elle avait eu peur. Pour lui. Pourquoi ? Elle n'avait pas à avoir peur. C'est lui qui... avait peur... pour elle...

Sentiments étranges...
La chaleur de sa peau, la joie sur son visage. Elle les lui transmettait. Il se sentait comme... non... il n'était pas vivant.
Mais elle animait une flamme en lui. Une flamme ardente.
Il ne fallait pas qu'il se laisse consumer.

Elle le remercia. Pour tout.
Elle savait. Elle savait qu'il avait veillé sur elle, nuit et jour. Elle savait qu'il était à ses côtés. Elle savait qu'il tenait sa promesse.
Alban lui avait dit ce qu'il était, et elle n'avait pas peur. Elle était emplie de gratitude.
Elle était ce qui lui manquait depuis si longtemps. L'innocence. La simple joie de vivre. Son humanité.

Il avait posé ses mains dans le dos d'Alice. Il la serrait contre elle. Il ne s'en était pas rendu compte. Les voix s'étaient apaisées dans son esprit. Elles chantonnaient à l'unisson, une musique douce.
Alice... Douce enfant... Son enfant...

Je ne bougeais plus, j'étais bien là, contre lui. En sécurité, apaisée, tout contre lui. Je fermais les yeux, pourquoi ? On m'avait dit qu'il ne fallait jamais avoir confiance, ne jamais l'accorder pourtant, à lui, je lui faisais confiance, réellement. J'étais si proche de lui, les yeux clos, resserrant sans cesse mon étreinte sur lui. J'étais bien, enfin. Je n'avais plus peur.

Il restait les bras ballants comme avant, il l'avait fait avant aussi mais ce n'était pas grave je savais qu'il me protégeait, réellement. Je venais de me réveiller mais pourtant, là, je pourrais me rendormir dans ses bras.

Cependant, il eut un geste. Ses mains vinrent sur mon dos, je les sentais, je le sentais me serrer contre lui et ça me faisait chaud au cœur. Ça me calmait tant. Je crois que je n'avais jamais été aussi calme de ma vie.

-J'ai plus peur maintenant ...

C'était comme si ça n'avait jamais existé pour moi, comme si tout ça n'était jamais arrivé, avant l'Enfer, les flammes et tout le reste. Ici, là, maintenant, ça disparaissait de mes yeux. Ça disparaissait contre lui. Ça disparaissait quand j'étais contre lui, avec lui. Il me protégeait, il l'avait toujours fait depuis cette nuit, depuis cette rencontre.

-Je t'aime Christophe.

Ses mots, je l'avais dit avec toute l'innocence qui était en moi. Il était mon père, mon protecteur, et je l'aimais, comme celui qu'il était pour moi, comme un enfant aime celui qui la protège. J'avais aimé mon père, et ma mère, mais maintenant il était mon nouveau père. Et je l'aimais, je lui faisais tant confiance. C'était la première personne à qui je faisais autant confiance depuis l'enfer. Et en fait, je n'aurais jamais cru ça possible.

-Je veux rester avec toi, je veux plus jamais voir l'Enfer … Apprends moi à être forte ...

Elle était si calme... C'était étrange... Christophe songeait à la Alice hystérique face à Alban, qui s'était enfermée dans la salle de bain et avait brisé le miroir. Il pensa à la Alice affolée et sauvage face au Roi des Ombres. Il se rappela la Alice perdue et effrayée dans la cuisine lors de leur première rencontre. Tout semblait se terminer toujours dans le sang et les larmes.
Mais cette nuit, contre lui, elle était calme. Oui, elle se sentait bien.

Étrange. Sa présence, la présence d'un Ancien vampire à la réputation de croque-mitaine, apaisait une humaine de dix-huit ans.
Il guidait les âmes égarées. Mais souvent il les aidait à s'égarer encore plus, pour pouvoir mieux se retrouver. Il encourageait la folie à se répandre dans tout l'être, il augmentait les pulsions de peur, de haine, de désespoir. Mais cette nuit, sans qu'il ne fasse rien, en étant là tout simplement, il produisait les effets inverses.

Peut-être était-ce ce que Dieu voulait. Peut-être avait-il oeuvré comme parangon de la folie durant suffisamment d'années. Peut-être se devait-il à présent d'être une sorte d'ange gardien, de guider cette petite fille vers la sérénité.
Elle ravivait en lui des émotions qu'il croyait perdues. Des émotions bénéfiques. Il se sentait en paix lorsqu'elle était auprès de lui. Le bénéfice de leur union improbable leur profitait à tous deux.

Elle n'avait plus peur.
Elle l'aimait.
Elle voulait rester avec lui.
Non. Non, elle ne pouvait pas. Elle ne devait pas. Perte de son innocence... Non. Trop tôt, beaucoup trop tôt. Pas encore prête. Pas encore... quoi ?

Il t'apprendra. Mais pas cette nuit.
La Lune... pas encore...

Ses paroles allaient lui faire mal. Elle allait peut-être pleurer, crier, s'effondrer. Il ne voulait pas cela. Étrange...
Mais il le fallait.
Le Malkavian desserra doucement l'étreinte pour pouvoir regarder sa petite Alice.

Tu ne peux pas encore marcher avec nous. Mais tu peux marcher derrière nous. Tu le dois.
Lorsque tu seras prête, il t’élèvera. Ils t’élèveront, tous. Ils chantent à l'unisson pour toi... Le comprends-tu ?

Il t'apprendra. Mais pas cette nuit.
La Lune... pas encore...

Les paroles tombèrent alors que doucement je redressais la tête pour voir son visage, ses yeux surtout. La quiétude qu'il avait l'instant d'avant semblait s'être légèrement fissuré. Différent. Je cherchais dans son regard. Je voulais comprendre pourquoi, pourquoi il semblait si réticent ? Je voulais comprendre, je voulais apprendre, je voulais devenir forte, pouvoir comprendre et avancer sans avoir peur.
Doucement, il s'écartait de moi, les mains sur mes épaules, me plaçant devant lui pour que je puisse le regarder, l'observer de mes yeux d'enfant, déçus un peu, triste aussi.

Tu ne peux pas encore marcher avec nous. Mais tu peux marcher derrière nous. Tu le dois.
Lorsque tu seras prête, il t’élèvera. Ils t’élèveront, tous. Ils chantent à l'unisson pour toi... Le comprends-tu ?

Si je comprenais, je n'étais pas prête … je baissais la tête, les larmes aux yeux. Je ne voulais pas le mettre en danger, je refusais cela, mais l'idée d'être trop faible me faisait mal. J'étais un fardeau, encore. Je devais marcher derrière lui …

-J'ai envie de chanter avec toi …

Je restais tête baissée, j'observais le sol. J'avais envie d'être avec lui, de plus être seule comme avant . Pourquoi je ne pouvais pas marcher avec lui.

-Et si tu me donnais la main ? Je marcherais vite, promis.

J'avais vraiment l'air d'un gamine. Je n'avais pas envie de le perdre, qu'il disparaisse parce que je n'arrivais pas à avancer assez vite.

-Je veux pas te perdre moi …

Je le regardais dans les yeux, toujours avec ce visage en détresse. C'était la première fois que j'avais quelqu'un à nouveau à aimer, à qui je pouvais faire ainsi confiance. Je voulais pas qu'il disparaisse parce je suis trop faible et trop lente pour le suivre.

Elle le regardait, comme rarement on le regardait. Son visage était doux. Elle avait des yeux tristes, mais elle lui faisait confiance. Oui, elle avait foi en lui.
Les autres l'observaient avec crainte, méfiance, haine, ou respect obligatoire pour les aînés. Éventuellement de la déférence, parfois de la reconnaissance, lorsque les jeunes parvenaient (cas rare) à comprendre ce qu'il accomplissait pour eux.
Mais elle, petite enfant, l'observait avec confiance et douceur. Avec amour, oui, une sorte d'amour d'une fille pour son père, et qui n'était pas uniquement dû au lien du sang. Un lien bien plus fort se tissait entre eux. Le lien de la Lune.

Elle baissa la tête, tentant de retenir ses larmes. Elle n'était pas hystérique lorsqu'elle était avec lui, elle essayait de rester calme. De ne pas trop montrer qu'il la rendait triste en refusant de lui donner sa force. Mais il voyait. Il voyait tout. Toujours.
Elle voulait marcher avec lui, elle avait peur de ne pas être assez efficace, de le perdre de vue. Ce n'est pas en lui qu'elle n'avait pas confiance, c'était en elle-même. Petit agneau perdu...

Tu ne peux pas nous perdre. La Lune t'a amenée à lui, et il a entendu Sa chanson.

Ses paroles ne visaient pas spécialement à la rassurer ou la réconforter. Elles n'étaient qu'un simple constat. Une évidence.
Il ferait d'elle une Enfant de la Lune, il ferait d'elle son Infante. Il n'avait pas eu d'Infant depuis des décennies. Des siècles, peut-être ? Il ne savait plus...

A contre-coeur, il se releva. Il ne pouvait pas prendre soin d'elle cette nuit. Il ne le devait pas. Elle devait apprendre à marcher seule. Il était là pour elle, mais ne pouvait pas l'accompagner. Il l'aidait, mais ne devait pas faire à sa place.

Tu dois construire ton chemin. Il reste près de toi, mais tu ne le verras pas.

Il concluait souvent ses entretiens en partant en célérité, brusquement, afin de ne pas s'éterniser en au-revoir, et de pouvoir partir lorsque cela lui chantait.
Mais il resta debout auprès d'elle. Dans l'attente.
Il fallait qu'elle comprenne qu'elle devait partir. C'était à elle de partir, pas à lui.

Je l'observais sans bouger, attendant une possible réponse, un signe, n'importe quoi qui pourrait me faire croire que je pourrais être avec lui, que je ne serais plus seule, enfin.

Tu ne peux pas nous perdre. La Lune t'a amenée à lui, et il a entendu Sa chanson.

La chanson ? Celle de la Lune ? Je ne l'avais pas entendu ? Comment était-ce ? Je l'observais depuis tant de temps et jamais je ne l'avais entendu chanter ? Pourquoi. Mais ça sonnait comme un refus malgré tout. Pas maintenant, pas encore, je n'était pas prête.
Le vrai refus arriva quand il se releva, faisant glisser ses mains le long de mes épaules, les quittant. Je baissais les yeux, un instant. Je ne voulais pas qu'il parte, pas tout de suite. Encore un peu ...

Tu dois construire ton chemin. Il reste près de toi, mais tu ne le verras pas.

Seule à nouveau, le jugement venait de tomber. Et je sentis une larme glissée en silence le long de ma joue. Il était là, debout devant moi, mais ne bougeait pas, pas un instant. Je relevais en douceur les yeux vers lui … je devais partir. J'étais à l'abri ici mais … ce n'est pas à l'abri que je construirais mon chemin, c'est ce qu'il voulait me faire comprendre.
Doucement, un peu hésitante, comme si mes jambes ne voulaient bouger, je me redressais face à lui, face à Christophe. Mes yeux étaient droits, j'observais droit devant moi, simplement. J'étais presque à la hauteur de sa croix. Alors en silence, je relevais les yeux vers lui, et presque encore avec précipitation, presque désespoir, je m'accrochais à sa taille, me serrant contre eux. Pas de larme, mais des hoquets de sanglots, pas de pleurs mais la tristesse était bien présente. Je ne voulais pas le quitter mais pourtant, c'était ce qu'il me demandait. Je le serrais contre moi comme si je ne le reverrais jamais, comme si c'était la dernière fois. C'était le cas, je ne le verrais plus, pas tant que je ne serais pas digne …

-Tu vas me manquer Christophe …j'ai pas envie de te laisser... mais promis, je construirais vite mon chemin.

Est-ce que j'y croyais ? Un peu, pas réellement mais je le voulais. Je voulais trouver mon chemin, etre digne de lui.

-La lune me ramènera à toi, promis ? Quand je serais prête ?

Et puis, après avoir passé quelques instants de plus contre lui, à chercher sa présence, son calme, je me détachais, toujours sanglotante mais sans larme, et je fis quelques pas. Je m'éloignais presque trop doucement, comme pour profiter quelques instants de plus de sa présence avant de me retourner. Là, les larmes coulèrent à nouveau, mais je sortais, je le devais, je venais de lui promettre. Je passais le cadre du salon pour rejoindre l'église et ensuite rejoindre la nuit. Sur le parvis pourtant, je m'arrêtais pour observer ce fin croissant de lune qui trônait dans le ciel noir.

Christophe, ne me laisse pas seule, veille sur moi mon père …

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