Journal de bord d'Ismahel Lucilius Gaebius, Primogène du Clan de la Rose et Maître des Harpies en la Cité de Los Angeles, Nouveau-monde, Côte Ouest.
Pax Noctis

15ème nuit de Janvier 2014.

L'étreinte avait été douce pour moi, j'avais eu la « chance » de la connaître alors que la vie s'écoulait lentement de mes plaies sur le mur Lycus de Constantinople.
Pour de nombreux caïnites, l'étreinte a été un mélange étrange d'agonie et d'extase. Pour moi, cela a été le renouveau. Mais suivant l'étreinte, c'était le réveil qui était le plus complexe à appréhender pour les infantes. Je le savais et tel mon Sire et son Sire avant lui et ceux jusqu'à remonter au Patriarche Mi-ka-il, j'attendais doucement dans l'ombre. Je scrutais mon infant se réveiller lentement de sa léthargie d'immortelle.
Il fallait que je lui laisse le temps de découvrir par elle même quelques unes des merveilles qu'offraient notre nouvelle nature. Je la vis écouter, observer, s'observer.
Magnificence écarlate et ivoire aux yeux d'or. Mon Aimée.
Je n'ai pas osé l'approcher tout de suite. Il fallait qu'elle se prépare à la solitude de l'immortalité avant de retrouver mes bras car dans peu de temps, je devrais lui apprendre que je m'en vais. Je m'en vais pour sa sécurité et, je le confesse honteusement, pour la mienne.

Le démon Phosphoros me traque a priori. Je ne peux le laisser s'approcher plus avant de ma douce amie. J'espère qu'en m'éloignant il me suivra et sa disparition donnera suffisamment de repos aux hommes du Régent pour exterminer les derniers Sabbatiques.
J'ai contacté Paris et Garance de Vauquer a répondu positivement à ma demande. J'espère trouver dans la Lutèce moderne un soutien substantiel en armes et informations.

J'entends dans mon cœur et mon âme un appel. Puis c'est sa voix que j'entends, implorante, désespérée. La statue immobile que j'étais, se meut hors de l'anti-chambre et pénètre dans la pièce. En quelques enjambée, je la rejoins et la prends dans mes bras. Je l'enlace et caresse doucement ses bras marmoréens et sa joue. La chaleur de son humanité a quitté son corps. Son cœur s'est stoppé. Elle est désormais comme moi, comme figée dans la glace. À jamais parfaite dans sa beauté et sa jeunesse. Est-ce un cadeau ? Je ne le sais pas. J'ignore si en faire un « monstre » pour l'humanité à la seule fin de passer mon éternité avec elle est un don. Mais mes scrupules disparaissent à la seule idée de passer à jamais mon existence figé ainsi. Enlacé avec la plus belle des Roses.

Bientôt, il faudra que je lui enseigne la vie parmi les nôtres, ses contraintes, ses lois. Tout un univers que je sais déjà qui va lui déplaire, elle qui est si libre. Je lui ai déjà parlé de la Mascarade, du respect voué aux Aînés et de la guerre de l'ombre avec le Sabbat et les Lupins. Mais il reste tant à dire, tant à expliquer. Tysha s'occupera des détails. À mon retour, je lui montrerai la liberté acquise par sa nouvelle nature. Peut-être voyagerons-nous quand la situation à Los Angeles se sera calmé et que la Rose aura repris sa place.
Oui. Je l'amènerai à Florence voir Steffano. Peut-être même à Istanbul.
Mais pour l'instant, je n'ai pas le temps pour l'accabler ni avec Nôtre Histoire et Nos Rites, ni avec des projets. Pour l'instant, « la nuit nous appartient ».

- Je suis là mon étoile.

Je l'embrasse dans le cou.
Derrière moi, dans l'anti-chambre Vladimir attend avec une coupe de sang. Les premières nuits sont celles où l'on est le plus assoiffé après tout.

Chaque cadeau s'accompagne de son lot de souffrance. 
L'immortalité en compagnie de la personne que l'on aime n'est-elle pas le plus beau des cadeaux ? 
Mais l'immortalité s'accompagne d'un lourd prix : la Bête. Et cette Bête, cette cruelle envie de tout répandre en morceau, cette monstruosité tapie au fond de l'âme nouvellement immortelle a soif. 
Une Soif de sang, une soif de vie. Car l'immortalité est l'immuabilité, la stagnation parfaite du corps. Pour se mouvoir, le mort immortel doit traquer le sang de la vie. 
Cet or vermillon, pourpre, amarrant est l'essence qui crée la vie. Nous le nommons vitae pour cela. 
Ce sang que Caïn a, le premier, versé. Ce sang attire et attise un brasier. Seul l'âge et la sagesse permette de se libérer peu à peu de sa cruelle domination. 
Raven, jeune infant, présente déjà la force de contrôle de son Père et Amant. Elle ne se jette pas sur Vladminir, elle ne fuit pas traquer les serviteurs de la maison. Elle reste là, attentive. Elle savait ce qu'elle serait obligée de faire quand elle serait immortelle. Mais savoir est une chose, s'y résoudre une autre. 

Sa gorge la brûle. Sens en alertes perçoivent la vie qui l'entoure. 

-Vladimir, tu peux approcher. 

La poigne du Sire tient sans violence mais avec fermeté sa descendance contre lui. Qui sait comment elle réagira quand le sang ne sera qu'à quelque pas ?
Vladimir la goule musculeuse s'avance doucement. Il sait ce qui peut se passer, il a ordre d'apporter les verres puis de partir. Si Raven se jette sur lui, il doit la repousser et fuir. 
Une fois au niveau du lit, il pose doucement le plateau d'argent sur lequel trône une carafe cristalline et deux coupes remplies. 
Une fois qu'il sera sorti, la poigne se relâchera et l'infant devra apprendre à boire doucement ce liquide vital que son corps appelle à grand cri. 
Tandis qu'une main retient la jeune vampire, l'autre saisit son menton pour détourner son regard du sang qui approche. Les yeux quasi-améthyste du Sire pénètre l'ambre assoiffée de vermeil. Les lèvres sont embrassées d'un baiser passionné, un baiser d'amour qui souhaite dépasser les vagues de furie de la Bête. Faire oublier la soif de sang quelques instants, remplir se cœur d'un amour incommensurable. Qu'il se détourne de cette soif et s'apaise. 

Le bras la serre contre le torse du Père. L'étreinte s'arrête quand la porte se referme derrière Vladminir. 

- Maintenant nous allons nous asseoir lentement sur le lit et je te ferai boire à une coupe. Je vais contrôler ce que tu dois boire, mon amour, car tu dois apprendre dès le premier soir à contrôler ce qui est notre damnation.