Il avait reçu une invitation de la part de l'Archevêque. Enfin, une convocation, plutôt, parce que personne ne tenant à sa peau morte ne se serait amusé à décliner l'invitation. Surtout une invitation envoyée en personne et pas par son templier.

Il se demandait ce qu'il pouvait bien lui vouloir. Les petites affaires qu'il avait réglées pour lui s'étaient faites sans accroc. Peut-être un nouveau boulot à faire…Il avait en général de bons rapports avec l'Ancien Tzimisce, qui avait toujours eu l'air d'apprécier son boulot, et ses productions cinématographiques.

Il se rendit donc après minuit au Chinese Theater, et fit dire à la poupée blonde qu'il était attendu par le patron. Ce n'était pas la première fois qu'il venait rendre visite au grand patron, et savait comment procéder, à moins que l'Archevêque n'ait changé d'avis.

Mais la blonde le fit descendre dans les niveaux souterrains du cinéma, jusqu'à l'étage réservé au Tzimisce, et ils entrèrent dans une vaste salle carrelée de blanc qu'il connaissait bien pour avoir tourné quelques scènes vraiment intéressantes la dedans. Sophie les quitta, et il jeta un coup d'oeil aux deux humains qui allaient passer une sale nuit, probablement. Un jeune homme assis sur une sorte de table d'opération, l'air terrorisé, et une fille en tenue de soubrette, qui avait déjà fricoté avec la Vicissitude. L'Archevêque était là, en grande conversation avec ses outils, qu'il manipulait et admirait sous le regard horrifié du gamin devant. Il voyait déjà les scènes incroyables qu'on pourrait tirer de ce moment.

James s'inclina formellement devant l'Archevêque après avoir posé un sac qu'il portait à son coté.

"Votre Excellence. Me voici, comme demandé. Que dois-je faire pour vous servir, cette nuit ?"

Contrairement avec son comportement dans sa meute, il était toujours assez formaliste dans ses relations avec la hiérarchie. Il ne plaisantait pas avec ça et leurs rites.

La dite Sarah épingla tout une série de photos sur un tableau. Cian Quinn. Ah, comme dans Amelia Quinn, la pintade en chef de la Camarilla ? Ce n'était pas la première fois qu'elle recevrait un paquet cadeau en provenance du Sabbat, mais la première fois qu'il fabriquerait le dit paquet-cadeau.

Il examina longuement les photos, prises sous plusieurs angles, puis s'approcha de l'humain, qui avait l'air terrorisé. De toutes façons, ils avaient toujours peur d'un chose ou d'une autre, alors pourquoi s'en soucier dans de telles circonstances ?

Il lui palpa longuement le visage, appréciant la structure des os, la répartition des chairs au-dessus, puis sa stature, sa corpulence…

"Et il faut qu'il puisse servir, encore après, ou on s'en fiche si le coeur lâche pendant que je travaille ? Parce que je ne procéderai pas de la même façon…" demanda-t-il à l'Archevêque.

"Et toi, museau. Si tu ne veux pas finir comme elle, parce que je vais devoir faire et défaire plusieurs fois le travail…" lança-t-il à l'heureux élu d'un ton désinvolte.

Enfin, il se doutait bien qu'il faudrait le faire taire tôt ou tard, mais ça, c'était parfaitement accessoire.

Pendant que l'Archevêque s'amusait avec sa petite assistante, son jouet, son casse-croûte, les trois à la fois probablement, lui s'assura qu'il pourrait travailler tranquille sans devoir courir derrière le bonhomme, ou le ramasser de par terre. Le genre de situation qui aurait probablement fait couiner de joie le premier Toreador anti-tribu, mais eux, à vouloir trop bien faire, tombaient souvent dans l'excès. Alors qu'une bonne image percutante, ça c'était bien, plutôt que de tourner autour du pot pendant deux heures et finasser.

Il ne releva pas les reproches, enfin, les remarques de l'Archevêque, qui devaient davantage être une façon de le tester. Il n'avait pas reçu les détails, et de toutes façons, ils faisaient une surprise différente aux Camaristes à chaque fois. Et il n'aurait pas besoin de toute la nuit pour transformer l'élu de l'Archevêque en copie parfaire de Ciann Quinn.

Le dénommé Jonny était maintenant fermement attaché aux bords de la table, et sans qu'il ait eu besoin d'utiliser un lien quelconque. Il ouvrit la bouche, les yeux exorbités, et James lui rappela la règle de base en agitant les doigts devant lui.

- Museau, j'ai dit.

Il ouvrit le sac et installa plusieurs caméras, ne prenant que quelques minutes pour installer le tout.

- Pour l'instant, je supervise le montage d'une nouvelle production. Je pense que nous allons avoir beaucoup de succès avec ça, le public adore les films de vampires réalistes. Et je pense que cette nuit, je pourrai avoir quelques images intéressantes, peut-être pour un court-métrage. Le sujet est intéressant. On pourrait faire quelque chose sur le thème de l'identité…

Puis dans un geste théâtral et inutile, il fit mine de faire craquer ses doigts devant Jonny. Parce que c'était quand même vraiment trop drôle.


Il s'approcha de lui, et commença à modifier la structure des os du visage, d'abord les pommettes, puis le menton, le front, les sourcils, et ne s'arrêta que pour jeter un coup d'oeil aux photos. Une fois ceci fait, il fallait s'occuper des cartilages. D'abord le nez, bien sur, puis les oreilles. Ensuite, il passa à la forme des lèvres, s'y reprenant à plusieurs fois pour obtenir une ressemblance parfaite. Puis enfin la couleur de ses yeux, ses cheveux. Toujours concentré, il se recula de quelques pas, compara aux photos, et le trouvait un peu petit. Il lui suffit d'allonger un peu les jambes et les cuisses pour un meilleur effet. Leur corpulence était à peu près la même...

Et cela marchait. Alors que James parlait de ses productions, tout en installant le matériel dont il aurait besoin pour réaliser son film, Jonny ne pipa mot. Sacha répondit par un hochement de tête entendu :

"Ah, mais tu sais que si tu as besoins d'acteurs un peu particuliers, tu peux me demander... Certain que Sarah ou sa sœur se feront un plaisir de tourner pour toi... Et puis, si tu as un filon, une pépite, je peux voir à t'ouvrir une avant première au Grauman's. Avec invitations au Gratin de la ville..."

Oh bien sur, Sarah, la maid avait eu le souffle coupé par la terreur en entendant la proposition de Sacha, mais ne pouvant prononcer aucun mot, elle n'y répondit pas, accusant simplement le coup d'un des possibles dans la carte de son avenir, très incertain...

Sacha quand à lui envisageait déjà les gros titres : Avant première d'une nouvelle production Ramsay, au Grauman's, avec des invitations envoyées aux plus intéressés du Sabbat, mais aussi au Gratin toréador parmi les camaristes. Une séance d'Art pour réunir les deux Sectes le temps d'une soirée, et ce pour un affront sublime à la tradition de la Mascarade. Comme au bon vieux temps. Comme cette nuit ou dans ce même cinéma, il avait rencontré Amélia Quinn...

Sacha fut tiré de ses réflexions par un gémissement de douleur de Jonny. Ah. Il avait raté, sa terreur n'était pas assez grande pour contenir sa douleur. Le pauvre... Les os, c'était le plus douloureux. Sacha fit un mouvement de la tête de gauche à droite, prenant un air dépité, déçu, alors que Jonny, n'y pouvant plus, lâchait un cri de douleur lorsque James lui reformait la partie supérieure de la colonne vertébrale et la boite craniène.

"Dommage que tu ne parviennes pas à tenir ta langue Jonny... Vraiment dommage... Ce n'était pourtant pas très dur... James est expert non?"

Le pauvre homme parvint à garder le silence durant la suite des opérations du visage. La modification des chairs était presque un délice après celle des os. Et il observa l'artiste et l’œuvre, le balai des gestes, parfaitement exécutés...

Se détournant du spectacle, Sacha regarda Sarah dans les yeux, avant de lui donner un ordre d'un ton intransigeant :

"Toi, tu vas rédiger une missive à Patt. Je veux qu'il vienne ici, demain soir, pour s'occuper de la mort de Jonny. Allez!"

Et alors que la Maid se détournait, profitant de cette occasion pour quitter la salle ou se déroulaient des actes dérangeants pour sa conscience, elle ruminait la pensée de ce qu'allait subir le jeune homme.

- Je retiens pour Sarah et sa soeur, je ne suis jamais contre une proposition pour de bons acteurs. J'en trouve facilement, mais il faut dire que je dois souvent renouveller le cheptel…Maintenant, je ne fais plus que financer d'autres productions, quasiment. Les miennes, je passe par des canaux un peu plus…underground, pour les diffuser, mais si j'arriver à boucler quelque chose de potable, une avant première au Grauman, ce serait pas mal. Surtout pour regarder le public, et voir les Camaristes se pisser dessus…

Au figuré, bien entendu, mais même là, la perspective était agréable. Il avait presque fini le boulot, et n'en était pas mécontent. Ce n'était pas sa spécialité, loin de là. Certains membres de son clan étaient beaucoup plus versés que lui dans ce genre de modifications.et certains faisaient fortune en se faisant passer pour des chirurgiens esthétiques. Jonny gémit encore un peu. Ces humains étaient tellement fragiles qu'on pouvait à peine trafiquer un peu avant déclencher les grandes eaux, ou une sérénade complète.

La caméra était fixée sur son visage en gros plan, ses yeux, suivant les modifications que des mains imposaient. On ne verrait quasiment que ses mains, et les yeux du pauvre type. L'effet pourrait être saisissant, mais il ne verrait ça qu'après. Il se recula encore un peu, hésita, y revint, puis donna une bonne tape sur une des cuisses nues.

- Je pense qu'il est plutôt pas mal, là. On a une bonne ressemblance. Suffira juste de lui trouver les bonnes fringues ou de le laisser à poil.

Il était toujours agréable d'entendre un ancien de son clan estimer son travail, qu'il soit Archevêque ou pas. Être jeune n'empêchait en rien le talent, la vigueur et le pouvoir, mais évidemment, certaines disciplines s'affirmaient avec les ans, et telle était la Vicissitude. Il n'avait pas une façon très traditionnelle de pratiquer, et était parfois très loin de ce qu'on imaginait des Tzimisce, mais il était fier qu'on reconnaisse son talent. Que ce soit l'Archevêque était toujours intéressant politiquement, certes.

Il remercia Sacha d'un signe de tête et contempla sa création d'un oeil satisfait.

- Merci. Je vais certainement réutiliser quelques unes de ces images, retraitées. J'ai déjà quelques idées et je ne manquerai pas d'emprunter Sarah, elle est très décorative...Et saura tout de suite ce que j'attends d'elle.

La demande de l'Archêveque était intéressante. Besoin de ses caves ? Oui, bien evidemment, surtout qu'il aurait très certainement des moyens discrets de savoir ce qu'il s'y passerait. Il était bon d'être dans les petits papiers du chef, mais il était bon aussi de savoir ce qu'il tramait, quand cela se passait chez lui...

- Sans problèmes. Y'a une entrée dans une autre rue, qui donne sur l'arrière. Je suis propriétaire d'une bonne partie du pâté de maisons. Ce sera plus discret que la porte d'entrée du Last Round.