- Alors c'est ici le Last Round, demanda Big Wu d'un air incrédule. Ses petits yeux creusés parcoururent la façade grunge, un peu vieillotte du bar qui devait sûrement avoir connu des jours meilleurs.
- Oui. Nous sommes bien à la bonne adresse, confirmai-je d'une voix morne en contemplant à mon tour l'enseigne branlante de l'établissement.
- Et ben mon vieux, ta Patty ça a l'air d'être un sacré phénomène, lâcha t-il avant de partir d'un rire tonitruant.
A ses mots, je me contentai de lui jeter un regard mauvais sans me donner la peine de répondre. J'étais bien trop préoccupé pour faire de l'humour. La brunette était habituellement toujours joignable, à n'importe quelle heure du jour et de la nuit. Ce silence radio de sa part, juste après sa révélation tordue n'augurait rien de bon. Et si l'assassin de Yun lui avait mis la main dessus pour la faire taire ? Non, impossible. Elle se devait d'être là. Je n'avais que cette piste.
De son côté, Big Wu, après s'être calmé de son fou rire, éteignit les phares et coupa le moteur de sa honda noire. Le silence et la nuit s'engouffrèrent dans l'habitacle. Peu à peu, mes yeux s'habituèrent à l'obscurité ambiante. J'observais alors les habitués du bar, qui malgré la fraicheur de la soirée, étaient partis s'en griller une sur le trottoir d'en face. Ces derniers me paraissaient tous bizarres, blafards sous la lumière des néons. Je ne pouvais mettre de mots dessus, mais quelque chose me gênais horriblement dans leur façon d'être, de se mouvoir.
Sentant ma réticence à y aller, Big Wu se proposa de m'accompagner.
- Non, c'est hors de question. Je ne pense pas avoir le profil du client lambda. Mais si en plus, je me pointe avec Monsieur Musclor, fagoté comme un vigile de franprix. On ira pas bien loin.
- C'toi qui vois, me répondit Big Wu en haussant les épaules, nullement blessé par mes paroles malheureuses.
- Écoute...Commençai-je sur un ton radouci. Ensemble notre présence soulèvera trop de questions dans ce repère de gothiques siphonnés. Et je ne veux pas attirer l'attention plus que nécessaire.
Un dernier coup d'œil à ma montre m'indiqua qu'il était plus que temps de décoller.
- Allez, souhaite-moi bonne chance, lui dis-je avant de claquer la portière.

Ma venue dans ce bar malfamé suscita chuchotements et regards interloqués de la part des accros à la nicotine. Mais je continuai mon bonhomme de chemin vers l'entrée. Totalement insensible aux paires de yeux braqués sur moi.
L'intérieur du Last Round était aussi dépassé que sa façade et cela ne m'étonna en rien. Balayant la salle du regard, je constatai qu'elle était sombre malgré une multitude de lampes seventies au plafond. Les bancs, les chaises hautes, tout étaient en bois vernis agrémentés de coussins rouges. Et un air connu s'élevait du jukebox sans que je n'arrive cependant à mettre un titre dessus.
Je tournai la tête à temps pour apercevoir un couple entrelacé me lorgner avec concupiscence. Fronçant les sourcils, je leur lançai un regard réprobateur tout en me demandant ce qui n'allait pas chez eux. En y regardant de plus près, les punks là-bas n'avaient pas l'air bien nets non plus.
Le barman, quand à lui, ne me donnait pas cette impression. Je décidai donc de tenter ma chance auprès du grand rouquin tatoué.
- Si vous servez du gin fizz, j'en prendrai bien un. Pour commencer... Rajoutai-je dans la foulée, bien ennuyé de ne pas voir Patty dans les parages.
Je sortis alors mon smartphone de la poche arrière de mon jeans pour patienter. De là, je répondis brièvement à mes messages mais relevai bien vite la tête quand le barman refit son apparition.
- Dites, ça me gêne de vous demander ça, lui annonçai-je d'un sourire penaud. Mais à tout hasard, est-ce que vous n'auriez pas vu cette femme récemment ? Demandai-je tout en lui désignant la petite brunette sur mon portable. Ne vous inquiétez pas, je ne suis pas flic, ais-je cru bon de préciser en lui décochant un clin d'œil qui se voulait complice.

La soirée s'annonçait bien. Le petit problème Anarch avait été rondement réglé par l'Assamite, et le problème de "fuite" interne avait arrêté de fuir. Le problème en question était pour l'instant dans un des congélateurs de la réserve, en attendant qu'on s'occupe d'elle. Lui ne préférait se nourrir sur les cadavre, mais elle était encore toute fraiche, et pour le bar, ce serait parfait. Une façon efficace de résoudre les problèmes. Et les deux goules qui servaient de serveurs avaient visiblement compris la leçon. Rien ne vaut l'apprentissage par l'exemple.

Ce soir, le bar était n'était pas réservé à la seule clientèle qui en valait vraiment la peine, et il ne pouvait donc pas laisser libre cours à son imagination pour les boissons. Il jeta un coup dans le fond du bar, plongé dans l'ombre. Il y avait là un pauvre type en train de se faire bouffer tout cru. Il sourit, et s'essuya machinalement les doigts sur son pantalon moulant de cuir noir. Il ne portait que ça et ses eternelles lunettes, ce soir là, torse nu.

Du coin de l'oeil il surveillait le gars qui venait d'entrer dans le bar. Bambi perdu dans la forêt ? Il avait l'air d'un camariste qui se serait retrouvé par erreur en pleine Vaulderie (ceci, il adorerait voir çà). Le type finit par se frayer un chemin jusqu'au bar et s'assit à un tabouret. Pendant deux secondes, James s'attendit à ce qu'il lui demande un lait-fraise.

"Je vois pas pourquoi je te servirais pas de gin-fizz, petit."

Il se retourna, et prit quelques secondes pour préparer la boisson en question. Une bonne cuillère de glace pilée, une rondelle de citron, et il poussa le verre vers lui. On ne lui demandait pas souvent des gin-fizz ici, d'ailleurs. Et le petit humain lui fourra sous le nez un téléphone avec la photo de Patty, sans le congélateur autour. Elle avait eu de la chance dans son malheur, la pauvre. Elle n'était pas la goule d'un membre de sa meute. Sinon, ils se seraient beaucoup plus amusés. Non, là, le Lasombra l'avait juste liquidée et l'avait apportée tout à l'heure au bar. Diego lui devrait une faveur, par dessus le marché.

Et là, ce petit, il se demandait bien qui l'envoyait. Y'avait toujours de la place au congélateur pour les emmerdeurs et les fouineurs humains.

"Pas vue depuis plusieurs jours. Mais ouais, elle est déjà venue dans mon bar."

Il eut sourire un peu sinistre. Un clin d'oeil, et puis quoi encore ? Il releva les lunettes, le fixant de ses yeux gris-bleu délavés, presque translucides.

"Je sais que t'es pas flic. Les flics rentrent pas ici."

Au fil de la conversation, un sourire contrarié se dessina sur mes lèvres. Mais je ne pouvais m'en prendre qu'à moi même, car j'avais commis l'erreur de mal jauger le type en face de moi.
Ce mec n'était pas si sympathique qu'il le laissait deviner au premier abord et il se plût à me le montrer en m'adressant un sourire sinistre. Un sourire qui me laissa encore plus inconfortable que le sourire affable et édenté du vieux Zhou. J'ignorais qu'on pouvait faire pareille chose. J'éprouvais même le net sentiment qu'il se jouait de moi. D'ailleurs comme pour confirmer mes pensées, il me précisa bien qu'ici c'était son bar. Histoire que je saches bien à qui je m'adresse dorénavant.
Et pour jouer la carte de l'intimidation jusqu'au bout, il retira ses lunettes de soleil pour me toiser de ses yeux bizarres. D'un bleu-gris extrêmement pâles. Si pâles que ses iris se confondaient avec le blanc de l'œil.
J'eus malgré moi un bref mouvement de recul quand je réalisai qu'il s'agissait réellement de ses yeux, que cet étrange aspect était nullement dû à des lentilles fantaisies.

Visiblement il n'était pas de ceux que l'on pouvait facilement se mettre dans la poche. Les sourires le laissaient de marbre. Peut être qu'il était temps de tomber le masque à présent.

- Je suppose que les gens doivent toujours réagir de la même façon quand tu retires tes lunettes. C'est pas banal comme couleur de yeux. Commentai-je pour justifier ma réaction.

Et malgré mon air désinvolte, je ne pus balayer cette sensation déplaisante que je ressentais en soutenant son regard. C'est pourquoi je saisis mon cocktail afin de le vider prestement de moitié. Au moins durant ce laps de temps, je pus réfléchir à une seconde approche puisque la première avait fait chou blanc.

*Il ne l'avait pas vue depuis plusieurs jours ? Vraiment ?*

Cet homme en savait beaucoup plus qu'il ne voulait le dire. Et son mensonge éhonté ne fit que renforcer ma suspicion envers lui. Selon toute vraisemblance, j'allais devoir lui tirer les vers du nez. La question était plutôt comment, face à un type qui avait tout du malfrat de l'Europe de l'Est, tant par l'attitude que ses manières abruptes, mais l'accent en moins.

*L'argent lui déliera peut-être la langue qui sait...*

Dans mon portable se trouvait la preuve irréfutable qu'il mentait, mais ça je me cachais bien de lui montrer. Je n'étais pas assez fou pour ça. Pas à un type qui m'inspirait si peu confiance. Au lieu de cela, je pris soin de ranger gentiment mon ipod, juste à côté de mon couteau à cran d'arrêt.

- Tu parles d'elle comme si elle était venue deux ou trois fois dans ton bar. Or c'est tout l'inverse, Patty est une cliente régulière. Alors que tu ne te souviennes même pas de son prénom, c'est étonnant. A moins que tu ne sois pas physionomiste ? Ça serait le comble pour un tenancier, hein ? Arguai-je d'un air sceptique. Conscient qu'il y avait là anguille sous roche.

Puis supportant de moins en moins la chaleur qui régnait ici, j'enlevai ma veste et la noua à ma taille. Dévoilant ainsi un dragon couleur jade enroulé autour de mon biceps gauche. Loin d'être le seul tatoué dans l'assistance, le proprio aussi avait les bras parsemés de symboles intrigants dont j'ignorais la signification pour la plupart. Ce dont je me doutais bien, c'est que ces tatouages devaient raconter une toute autre histoire.

- Écoute mec, je vais pas tourner autour du pot plus longtemps, ce que je veux c'est juste des infos pour retrouver un type, après je me tires et tu me reverras plus.

Ceci dit, ma main gauche fouilla un instant dans ma veste tandis que je continuai sur ma lancée.

- Patty appelle cet endroit le bar à vamps. Je me fiches de savoir si tu fais des soirées à thème. De toute façon, c'pas mon trip. Ce que je veux, c'est le nom d'un mec assez timbré pour continuer à jouer le déterré passé cette porte et a laissé traîner des cadavres derrière lui.

Et pour l'aider à lui rafraîchir la mémoire, je sortis une liasse de billet que je fis glisser sur le comptoir en direction du grand rouquin.

- Je vois que les affaires tournent déjà pas mal, mais si des amis à moi pouvaient te filer un coup de pouce, elles tourneraient encore mieux, lui affirmai-je en espérant que l'appât du gain l'aiderait à balancer un nom.

- Je retire juste mes lunettes pour que tu comprennes bien que je suis très sérieux, mon petit gars. Ici les flics rentrent pas et c'est moi qui fais les règles du jeu.

Ce type était un fouineur de la pire espèce, et un fouineur dont il faudra régler le cas rapidement. Il ne savait pas ou il était tombé, à jouer les gros bras en montrant ses tatouages. Des petites frappes comme ça, il s'en tapait régulièrement pour le goûter. A les voir, justement, ses tatouages, il devait venir du quartier chinois, et faire affaire là-bas habituellement.

- Tu m'as l'air bien au courant des allées et venues dans mon bar, et pourtant c'est la première fois que tu y mets les pieds. Patty, hein ? Je leur demande pas leur nom. Ici, les clients viennent parce qu'on ne balance pas leurs allées et venues au premier venu. Et je leur claque pas tous la bise. C'est ta petite copine ?

Un bar à vamps ? Pauvre petit chaton, si tu savait qu'un bon tiers des clients ce soir est de la viande froide. Et il arrivait ici en terrain conquis. Un mouton en colère ? Il sourit à nouveau en l'entendant réclamer des informations. Comme s'il était le premier barman qui se laisserait graisser la patte par une petite frappe des mafia asiatiques.

- Elle était camée jusqu'au yeux cette fille, et se faisait fourguer régulièrement de quoi lui griller la cervelle.

Il le regarda pousser la liasse sur le comptoir. Autour d'eux, certains n'en perdaient pas une miette. Il repoussa les billets avec un sourire franchement amusé - de chat tombé sur une souris dodue.

- Les affaires tournent bien, et je marche pas sur les plates-bandes de tes patrons. J'ai un vieil accord avec eux, tu vois. Je m'occupe pas de leurs affaires et eux viennent pas se mêler des miennes. Chacun reste chez soi et les cochons sont bien gardés.

Il essuya un verre avec un torchon, et balança le torchon sur son épaule d'un air badin avant de relever le visage et de planter ses yeux clairs dans les siens.

- Suis-moi. dit-il en usant de Domination sur lui et se dirigeant vers la porte menant à l'arrière du bar.

Mon sourire forcé toujours visé aux lèvres, je fis tournoyer mon cocktail d'une main distraite tout en écoutant les paroles du gérant. Puis avec la cuillère, je pris le bout de citron alcoolisé pour le porter à ma bouche. Et aussitôt le goût acide de la pulpe vint titiller mes papilles. Acide. C'était exactement le mot que je cherchais pour désigner notre échange.

Je sentis ses yeux s'attarder un court instant sur mon bras gauche où était tatoué mon dragon, mais l'expression du type resta aussi neutre qu'ordinaire. Comme si ce signe d'appartenance ne lui était pas étranger. Bien. Dorénavant nous savions donc tout deux à qui nous avions affaire. Du moins, le pensais-je.

- Tu m'as l'air bien au courant des allées et venues dans mon bar, et pourtant c'est la première fois que tu y mets les pieds. Patty, hein ? Je leur demande pas leur nom. Ici, les clients viennent parce qu'on ne balance pas leurs allées et venues au premier venu. Et je leur claque pas tous la bise. C'est ta petite copine ?

*Patty, ma copine ? Il est sérieux ou il a bouffé du clown avant de démarrer son service ?*

- Ce n'est pas parce que nous sommes une communauté discrète, que nous vivons repliés sur nous même. Nous avons des yeux et des oreilles et nous savons nous en servir. Et en ce qui concerne Patty, c'est une connaissance, rien de plus. J'ai des goûts, comment dire, un peu plus sophistiqués.

Comme Yun, pensais-je, la jolie hôtesse du club de karaoké, alors que désormais son corps inerte devait reposer dans un quelconque endroit lugubre. Et au lieu d'avoir une piste sur son meurtrier, je me faisais gentiment mener en bateau par le proprio du Last Round.

- Elle était camée jusqu'au yeux cette fille, et se faisait fourguer régulièrement de quoi lui griller la cervelle.

Là, c'était à son tour d'être très bien informé sur les habitudes de Patty. Mais il ne m'apprenait rien, puisqu'il m'arrivait de la dépanner à l'occasion. Et de toute ma vie, je n'avais jamais vu de nana aussi bavarde et casse-burnes. Le genre de gonzesse qui ne vit que pour satisfaire une curiosité obsessionnelle et quelque peu malsaine. D'ailleurs cela m'a toujours stupéfié le flot d'informations décousues qu'elle est capable de vous balancer en l'espace de cinq minutes.
Mais pour l'heure comme Patty demeurait introuvable, c'était avec le grand rouquin que je causais et lui était plutôt avare question renseignements.
Il ne me restait qu'une seule carte en main et j'espérais bien que la vue des billets verts devant lui sauraient le rendre plus loquace. Sinon, il ne me restait plus qu'à repartir, pas plus avancé qu'à mon arrivée dans ce bar.

- Les affaires tournent bien, et je marche pas sur les plates-bandes de tes patrons. J'ai un vieil accord avec eux, tu vois. Je m'occupe pas de leurs affaires et eux viennent pas se mêler des miennes. Chacun reste chez soi et les cochons sont bien gardés.

Cette brusque révélation me laissa coi un instant. Se foutait-il magistralement de ma gueule ? Ou est-ce que mon boss avait omis de me mettre dans la confidence ? Je ne savais que penser, sinon qu'il m'avait blessé dans mon orgueil et que c'était le genre de chose que je ne digérais mal.

- Soit, lui répondis-je, la mâchoire serrée à l'extrême en lui adressant un regard noir.

Je repris donc l'enveloppe de biftons et la rangeai d'un geste vif afin qu'elle ne soit pas exposée à la vue de tous. J'avais conscience qu'une partie de la clientèle du bar suivait notre échange avec intérêt, mais j'étais bien trop remonté par les derniers mots du gérant pour m'en préoccuper davantage.

Cette affaire commençait sérieusement à sentir la mort, si bien que le sourire amusé du gérant me déplut au plus haut point. Il me donnait l'impression de bien s'amuser en ma compagnie. Je ressentais la désagréable sensation que sa distraction se trouvait là, juste sous son nez et qu'il s'agissait de ma petite personne.

- J'espère pour toi que c'est vrai. Parce que les derniers rigolos qui se sont payés notre tête, on les a étrangement plus jamais revus... l'informai-je de mon plus beau sourire, celui que je réserve habituellement à la sale flicaille.

Et j'étais bien placé pour connaître leur triste sort. Puisque que c'était moi qui avait reçu l'ingrate tâche de les jeter par le fond, en m'assurant que leurs cadavres putréfiés ne remontent jamais à la surface.

Je m'apprêtais à me redresser en lui adressant un dernier regard lourd d'avertissement quand son regard paralysant m'arrêta net. Ma voix s'éteignit avant même que je n'achève ma phrase.

Le suivre ? C'était un ordre en total contradiction avec ma volonté et pourtant c'est bien ce que je fis, comme si j'étais soudainement privé de libre-arbitre.

Il avait l'air de plus en crispé, le fouineur. Il s'attendait à quoi ? A faire comme d'habitude, débarquer dans un bar, montrer ses muscles, lancer quelques billets et faire comme il voulait. Gamin, c'est pas les règles du jeu, ici, surtout quand tu débarques avec tes questions.

Il avait bien vu la tête du gosse quand il avait parlé de ses patrons. Alors que oui, ils avaient une sorte d'accord. Le Sabbat avait beaucoup d'influence, partout en ville, et parfois là ou on l'imaginait pas. C'est pour ça que le gamin avait du se sentir bien seul…Les abords du Last Round, ou ce qu'il s'y passait, cela ne regardait que lui, et après avoir expliqué les règles à sa façon, tout le monde avait bien compris.

- Les derniers rigolos qui se sont payés ma tête ne sont plus là pour le raconter non plus. répliqua-t-il d'un ton aimable et presque enjoué.

Tony sur ses talons, il quitta le bar et se rendit à l'arrière, descendit quelques marches pour se retrouver dans un petit local bétonné aveugle, encombré de caisses de bière, et de caisses plastiques de plastique sans étiquettes. Il ferma soigneusement la porte derrière lui, une envie furieuse de se pourlécher les crocs qu'il retint.

- Bien, je vois qu'on s'est pas compris, mon petit gars. J'ai horreur qu'on vienne chercher la merde dans mon bar. Qui t'envoie, exactement, et comment tu connais cette fameuse Patty ?

Après cette injonction, ce fut comme si un épais brouillard s'insinua dans mon esprit et en prit possession. La seconde d'après, je n'étais plus réellement aux commandes, car je suivis le proprio sans trouver à redire, tel un pantin articulé.
Mon état léthargique ne prit fin qu'au moment où le grand rouquin se retourna de nouveau vers moi, après avoir pris soin de fermer à clé son local adjacent au bar.

- Bien, je vois qu'on s'est pas compris, mon petit gars. J'ai horreur qu'on vienne chercher la merde dans mon bar. Qui t'envoie, exactement, et comment tu connais cette fameuse Patty ?

Instinctivement, je reculai de quelques pas et balayai la pièce du regard afin d'examiner plus en détail ce nouvel environnement. Mais il n'y avait rien que je puisse exploiter à mon avantage. La réserve contenait seulement de hauts rayonnages métalliques où reposaient un stock conséquent de caisses de bières et autres boissons.
Et si je ne comprenais toujours pas comment ce type s'y était pris pour m'emmener jusqu'ici. Je saisissais mieux le pourquoi du comment. Cependant je n'avais pas le luxe d'y réfléchir plus longtemps, car tous mes petits neurones étaient affairés à ma survie. La parlotte me ferait sûrement gagner du temps, mais je misais surtout sur mes talents de combattant pour foutre le camp d'ici dès que l'occasion se présenterait.

En dépit du bon sens, un sourire provocateur s'étira sur mes lèvres tandis que j'évaluai la menace que représentait l'homme devant moi. J'adoptai une posture beaucoup plus décontractée que je ne l'étais réellement. Les pieds bien plantés au sol et les mains dans les poches, je saisi l'air de rien mon couteau tout en continuant à lui adresser un large sourire.

- Ce n'était pourtant pas mon intention. Si j'avais su que mes questions anodines étaient gênantes... Crois bien que j'aurais réfléchi à deux fois avant de venir t'importuner. Mais une de nos filles a été tué, vois-tu et j'essaye de faire la lumière sur ce meurtre. C'est normal de vouloir venger la mort des siens, sinon ça passerait pour un acte de faiblesse, non ? C'est donc quand j'ai parlé du crime à Patty, quand je lui ai dis qu'on avait retrouvé le corps complètement exsangue , qu'elle s'est proposée de m'aider afin de je lui refile de la coke à bas prix.
Patty... Je la connais pas plus que ça, c'est juste une banale cliente, lui expliquai-je en ponctuant ma phrase d'un geste négligé, afin de lui faire comprendre que sa disparition soudaine ne me chagrinait pas plus que cela. Je lui vends ma came quand elle veut se défoncer le cerveau. C'est tout.
Après si il lui était arrivé, disons, un fâcheux accident, ce serait regrettable, mais je n'irai pas le crier sous les toits. Alors rassuré ? On peut regagner gentiment le bar maintenant ? Parce qu'il fait quand même un peu frisquet ici ...

Il avait du cran, le gamin, à lui faire des réponses bravaches, et observer la pièce en tous sens, surement pour essayer de s'échapper sans dommages. Mais il était trop curieux, trop impulsif, trop persuadé de sa propre importance. Il n'était pas grand chose de plus qu'un moustique agaçant. Amusant et agaçant en même temps.

Cette brave Patty avait donc essayé de jouer sur plusieurs tableaux, par dessus le marché. Il ne se souvenait pas que sa meute ait buté une mortelle de ce genre, probablement quelqu'un d'autre. Les jeunes étaient tellement turbulents et imprévisibles…Il fallait que jeunesse se fasse, après tout.

- Oui, il est toujours bon de venger les siens, mais ce n'est pas ta langue bien pendue qui va te sortir de la merde dans laquelle tu viens de te fourrer. L'autre fille c'est qui exactement ? Retrouvée morte ou, et quand ?

Il en était persuadé, maintenant, ce type avait fait cavalier seul, et n'était pas téléguidé par quelqu'un d'autre. Mais il était trop fouineur pour son propre bien et il venait de montrer à James qu'il ferait probablement une goule très très ennuyeuse. Il allait falloir qu'il prenne des dispositions plus rigoureuses concernant le bétail. Concernant le bavardage du bétail. Il ne faudrait probablement en utiliser qu'un ou deux pour que les autres comprennent.

- On aurait vraiment jamais, jamais du te conseiller de venir fouiner par ici, tu sais. Je passais une excellente soirée, et je n'aime pas ce genre de contretemps avec ceux de ton espèce. C'était vraiment une très mauvaise idée, et Patty doit probablement regretter de t'en avoir parlé.

On ne pouvait pas le laisser galoper dans la nature, parce qu'il finirait par tomber sur la mauvaise personne, à balancer tout ce qu'il savait et tous les noms qu'il aurait ramassés.

- Oui, il est toujours bon de venger les siens, mais ce n'est pas ta langue bien pendue qui va te sortir de la merde dans laquelle tu viens de te fourrer.

Et il ne croyait pas si bien dire, puisque j'en étais tout aussi persuadé. En revanche, le fait qu'il pense que j'essaye de l'amadouer en coopérant était tout à mon avantage. Rien ne valait l'effet de surprise.
Ainsi, je ne fus pas étonné quand il remit ça et me cuisina de nouveau.

- L'autre fille c'est qui exactement ? Retrouvée morte ou, et quand ?

Sa question avait vraiment de quoi faire sourire. Croyait-il que j'étais naïf au point d'espérer m'en sortir à bon compte en lui recrachant tout ce que je savais. Avais-je l'air si idiot que ça ?
Je n'avais pas survécu tout ce temps dans la rue grâce à des bouffonneries.
Néanmoins pour le moment, je dus encore jouer le jeu. Je devais continuer à parler dans le but de gagner du temps. Oui. Juste un peu de temps, c'était tout ce que je demandais pour mettre au point un plan d'action.

- L'autre fille s'appelait Yun. C'était une hôtesse qui bossait dans un de nos clubs de karaoké. Une fille sans histoire qui ne méritait pas de finir ses jours sur le parking crasseux de la boîte. Elle est morte la semaine dernière.

Je marquai une courte pause, les poings serrés, car l'énonciation de Yun fit resurgir des flashbacks douloureux. Cependant quand la voix grave de l'autre homme résonna à nouveau dans le petit local, ses souvenirs furent bien vite balayés. J'avais bien plus important à faire que me morfondre sur le sort de Yun. Je devais me recentrer sur ma propre personne, si je ne voulais pas la rejoindre plus tôt que prévu.

- On aurait vraiment jamais, jamais du te conseiller de venir fouiner par ici, tu sais. Je passais une excellente soirée, et je n'aime pas ce genre de contretemps avec ceux de ton espèce. C'était vraiment une très mauvaise idée, et Patty doit probablement regretter de t'en avoir parlé.

Ses paroles me confirmèrent ce que je pensais depuis un moment déjà. Ce type était impliqué d'une façon ou d'une autre dans cette sordide histoire. Peut-être même qu'il s'agissait du meurtrier. Et il se dressait là, juste à quelques mètres de moi.

- Patty était une folle qui jacassait à longueur de journée sans surveiller ses arrières. Répliquai-je en reculant lentement, me déportant ainsi vers l'étagère de gauche où étaient empilés à même le sol quelques cartons d'emballage à demi plein. Moi, je ne vais pas au devant du danger sans prendre au préalable quelques précautions. Et des ptits fouineurs, comme tu dis, tu risques de t'en coltiner un bon paquet si je ne ressors pas vivant d'ici... Allez mec, fais pas le con, lui demandai-je, mains en l'air et paumes en avant comme si je m'en remettais à son bon vouloir.

Je devais bien l'avouer, jouer la victime implorante n'était pas très glorieux en soi. Mais cela se révélait toujours très efficace pour gagner le mépris de son adversaire et endormir ainsi sa méfiance. Car comment réagissent les gens poussés par la peur ? Et bien, ils n'agissent plus de manière rationnelle face au danger. Certains marchandent leur vie, d'autres supplient. Mais chercher à éveiller la compassion d'un homme mauvais était dans le meilleur des cas, inefficace, voire carrément contre-productif. Et cela, j'étais bien placé pour le savoir. Non. La meilleure des défenses était encore l'attaque.

Et c'est ce que je fis, au moment même où le grand rouquin ouvrit de nouveau la bouche. D'un geste précis et en mobilisant toute ma puissance de frappe, je soulevai un carton du bout du pied pour l'envoyer valser à la figure du type. Puis sans attendre l'impact, car ce stratagème n'était que diversion, je sortis mon couteau et fondis sur lui en deux rapides enjambées pour lui trancher la gorge avec force et précision.
Avec l'expérience, cet enchaînement mortel avait toujours fait ses preuves. Si bien que dans la fraction de seconde qui suivait, je m'attendais à voir ce type baigner très prochainement dans son sang. Et je n'allais pas le pleurer, loin de là.

Il fallait l'accorder au petit, il avait une bonne paire de balloches. Et il allait en avoir besoin ! Il s'était cru rapide, mais il avait bien vu la crispation de ses muscles, tout son corps qui se tendait vers l'action. La caisse vola, un bon gros coup de pied, qui l'envoya vers lui, et le petit fouineur qui se jetait vers lui comme un diable sortait de sa boite.

Là, son ex-patron allait avoir des problèmes. Pas d'interférences avec son bar, ça voulait bien dire ce que ça voulait dire, que le gars ait agi seul ou non. Ce serait d'ailleurs assez amusant de le renvoyer porter le message, avec un petit changement.

Il fut en deux bonds sur lui, avec un sourire de triomphe, déjà. Il le voyait probablement déjà mort. Ce qu'il ne voyait pas arriver, par contre, c'est la poigne d'acier qui enserra son poignet, appuyant juste au bon endroit pour lui faire lâcher son jouet, puis il passa rapidement sur le coté. Une bonne vieille clé de bras…L'anatomie humaine avait ses petits points faibles…Il tenait son trouble-fête contre lui, un bras tordu dans son dos, et l'autre immobilisé par James.

- Pan, t'es mort, gamin ! Mais tu sais quoi, je pense que t'as gagné le droit à une mort plus intéressante que la moyenne.

Et ses crocs s'enfoncèrent dans son cou sans autre forme de procès. Qu'il sache un peu dans quoi il avait foutu les pieds. La vitae giclait un peu entre les grandes goulées qu'il prenait, c'était foutrement délicieux, surtout quand il avait senti le jeune homme se tortiller pour se débattre avant de se laisser aller. Et si le moment était franchement bon, il dut quand même s'interrompre quand Tony n'était plus qu'un quasi cadavre désarticulé dans ses bras. Il se mordit la main, et laissa couler un peu de liquide à la couleur sourde et profonde. Juste ce qu'il fallait. Pas de trop, ce serait trop facile, sinon.

Et dès qu'ill fit mine de remuer un peu, il le cueillit avec une belle barre de fer qui servait à bloquer la porte de l'intérieur. Deux fois, pour être bien sûr. Puis il débloqua la porte et héla un des gars de sa meute, qui devait monter la garde pas loin, tout en trainant son peut-être nouvel Infant par une cheville.

- C'est bon, Ben, il est cuit ! Tu me le balances dans le trou à deux blocs d'ici ? Tu sais, le trou qu'ils ont fait pour les nouvelles constructions. Pour commencer, ça lui fera un peu les pattes !

La lame ne transperça pas la chaire car mon opposant fut plus rapide. D'une clé de bras, il me tordit le poignet avant de me faire lâcher mon arme. Le couteau tomba bruyamment sur le sol, mais même à cet instant précis, je ne m'avouai pas encore vaincu. Avec toute la rage du désespoir, je tentai de m'extraire de sa poigne en lui donnant un coup de coude au visage. Là encore, la chance ne fut pas de mon côté car il riposta avec une célérité effrayante. Mes deux bras furent ainsi immobilisés tandis que je le sentis m'entraîner encore un peu plus contre lui. La peur commença à me gagner quand je réalisai qu'il n'y avait plus rien à espérer. J'allais rendre mon dernier souffle ici, sur ce sol froid et crasseux.

- Enfoiré ! Grondai-je en me débattant contre lui.
- Pan, t'es mort, gamin ! Mais tu sais quoi, je pense que t'as gagné le droit à une mort plus intéressante que la moyenne.

Le temps me fit défaut pour intégrer pleinement ses paroles, car déjà, ses dents se plantèrent avec violence dans ma gorge. Un cri étranglé m'échappa, à la fois de surprise et de douleur mais cet instant de panique ne dura pas. Bien vite la hargne m'envahit à nouveau et je me débattis de plus belle comme un forcené. En vain. Puisque tous mes efforts ne servirent qu'à m'épuiser plus rapidement. Et bientôt, j'atteignis le seuil critique où je ne lui opposais plus aucune résistance. Seuls ses mains, semblables à des serres, me retenaient encore debout tandis que je vacillai sur mes jambes flageolantes, vidé de toute force.
Mes yeux lourds commencèrent à se fermer lorsqu'un caractéristique goût métallique se répandit dans ma bouche. Puis je sentis le liquide épais descendre dans ma gorge. Du sang, pensai-je avant de décrocher totalement. Avant que mon esprit ne se coupe de la réalité.

Le dojo de Maître Shen m'apparut en songe et je souris intérieurement, car je ne connaissais pas d'autre lieu au monde plus familier et accueillant que celui-ci.
J'approchai de mon ancien professeur alors qu'il enseignait son art à une poignée d'apprentis.
En m'apercevant, il se redressa mais son attitude fut différente qu'à l'accoutumé. Ma venue ne lui arracha aucun sourire, et ni chaleur ni bienveillance ne vinrent tempérer l'expression dure de son regard.

- Aurais-tu déjà oublié tout ce que je t'ai enseigné ?
- Non, Maître. Je ..
- Ah mais qu'importe, me coupa t-il d'une main levée. L'issue de ce combat était courue d'avance. Tu t'es toutefois bien battu. Mais il serait préférable que tu meures cette nuit, mon garçon. Plutôt que de renaître sous cette forme impie. Renonce à ce sombre présent et tu connaîtras la paix.
Et soudain tout disparut autour de moi, Maître Shen, les apprentis, le décor, tout devint noir et le néant m'engloutit.

Quand je rouvris les yeux, je découvris avec horreur qu'on m'avait enterré à même la terre. Immédiatement je fus pris d'une bouffée de panique en m'imaginant mourir d’asphyxie. Mais alors que je m'affolai, je compris assez vite l'absurdité de mes peurs. Je ne respirai pas. Ou plutôt, je n'avais plus besoin de respirer. Cependant, je ressentais toujours le besoin impérieux de regagner la surface. Mais pour un motif tout autre. La faim. Une faim qui me tiraillait les entrailles et contre laquelle je ne pouvais lutter.

Qu'étais-je devenu ? Me demandais-je, alors que je me dégageai tant bien que mal de ma tombe de fortune à l'aide des ongles.

Dehors, la vie nocturne du centre-ville paraissait inchangée. Inchangée et pourtant différente puisque je la percevais avec plus d'intensité. Mais je n'étais pas en état de m'émerveiller devant ce changement. Mes yeux neufs et tous mes autres sens n'étaient focalisés que sur une seule tâche ; trouver de quoi rassasier ma faim. Je me mis alors à rôder autour des habitations tel un animal sauvage à la recherche d'une proie. N'importe laquelle, mendiant, adolescent fugueur, jeune femme imprudente ou graine de voyou, je savais déjà que je frapperai sans distinction d'âge, de sexe et de condition.

Et c'est là, à l'angle de la rue que je trouvai enfin une âme errante. Une ravissante blonde dont la robe noire laissait apparaître une bonne partie de ses jambes satinées. La jeune femme en question parlait au téléphone et se retourna d'un bond quand elle entendit ma présence derrière elle. Elle me regarda un instant, ses jolies traits déformés par la terreur, une main posée sur son cœur, avant de se fendre finalement d'un mince sourire.

- Oh, excusez-moi, vous m'avez fait peur ! Je ne vous avais pas vu venir... se justifia t'elle, avant de reparler un instant à son interlocutrice.Non c'est bon Maureen. C'est juste un passant ! Mais peut-être que monsieur s'y connaît en mécanique ? Ma voiture ne redémarre pas. Vous pourriez y jeter un coup d'oeil ? Me demanda t-elle les yeux plein d'espoir. Et son sourire s'élargit encore plus lorsque j’acquiesçai en silence. Oh c'est vraiment aimable à vous ! Je pense que c'est la batterie, mais peut-être pourriez vous me dépanner ? Là encore, je me contentai de hocher la tête, incertain du bruit que produirait ma gorge douloureusement sèche. Génial ! Je te tiens au courant, Maureen. Ne t'inquiètes pas.

Décidément je ne connaissais pas cette Maureen, mais elle me paraissait bien plus sensée que son amie. Il fallait être un brin sotte et naïve pour faire confiance à un étranger en pleine nuit.
Je ne le lisais d'ailleurs aucune appréhension sur son visage, seulement du soulagement. La demoiselle était tellement ravie d'avoir trouvé un homme serviable pour régler son problème, qu'elle en oubliait les règles élémentaires de sécurité. J'allai me faire une joie de les lui rappeler, me moquai-je, tout en lorgnant la jolie artère bleutée qui palpitait à son cou.
Sans crier gare, je fondis sur elle et déchirai sa gorge à belles dents. Je me mis à boire son sang avec voracité. Mais tandis que j'aspirai sa vie, son cœur ne cessait de ralentir, pour ne produire bientôt qu'un faible battement alors que le mien tambourinait dans ma poitrine, réclamant toujours plus.
Et lorsqu'il n'y eut plus une étincelle de vie en elle, je la lâchai et la regardai s'effondrer sur le sol dans un bruit sourd.
Ce ne fut qu'une fois rassasié que je pris pleinement conscience de mon acte. Je venais de tuer pour me nourrir et cette jeune femme avait été ma toute première victime.
Pourtant, nul regret ni culpabilité ne vinrent m'accabler. Le prédateur nocturne que j'étais devenu avait conscience d'être désormais tout en haut de la chaîne alimentaire. Et comme je n'avais jamais éprouvé la moindre compassion pour les animaux qui finissaient dans mon assiette. Je ne voyais pas pour quelles raisons je devais m'en préoccuper maintenant.
Beaucoup de questions me taraudaient cependant. Mais même si l'envie de revenir auprès de mon créateur se faisait pressante, j'avais néanmoins quelques problèmes d'ordre personnel à régler avant toute chose.

Une nuit s'était écoulée avant que je ne termine ma basse besogne. Je pus désormais souffler, tout était fini. Mon patron, mes collègues, mes proches, tous pensaient que j'avais trouvé la mort dans un accident de voiture à l'heure qu'il était. Je fus surpris du cynisme dont je fis preuve pour mener à bien mon plan. Mais l'essentiel était que personne ne pourrait mettre en doute ma mise en scène.
Big Wu allait me manquer et c'était bien le seul. Mais je devais couper tout contact avec lui, pour son bien. Je ne pourrais cacher ma nouvelle nature et j'en étais conscient. Du moins, pas sans en savoir plus. Pas sans démêler le vrai du faux. Et comme à mon réveil, je n'avais pas trouvé à mes côtés le manuel du petit vampire novice. Une petite visite au Last Round s'imposait. Après tout c'était la moindre des choses après m'avoir fait cadeau du don ténébreux.
Ce fut donc sans surprise, que je retrouvai James, derrière son bar, à concocter des cocktails détonants.
Dans la salle, les clients se faisaient de moins en moins nombreux, désireux de retrouver leur refuge avant que l'aube ne se lève.

- Alors, je t'ai manqué ? Blaguai-je, en me perchant sur le haut tabouret avec ma nonchalance habituelle. Dis, quand tu fermeras boutique, on pourrait avoir une petite conversation ? Juste toi et moi, continuai-je sur le ton de l'humour, ne sachant pas très bien comment aborder autrement la situation.

La vie pouvait vous jouer bien des tours. Il n'y a pas si longtemps de ça, nous nous mettions gaiement sur la tronche et maintenant j'étais tributaire de ce démon, du savoir qu'il serait à même de m'enseigner.

Il était quand même curieux de savoir ce qui allait se passer. Le petit fouineur était un gênant qui lui avait fameusement gâché sa soirée, l'avait obligé à prendre des mesures…Et..Merde ! Voilà qu'il avait fait comme ce connard d'Anton. Cette foutue tendance à l'expérimentation qui sortait aux pires moment. Il aurait pu se contenter de buter ce petit con, et balancer son cadavre exsangue dans un endroit marrant.

C'était quand même fabuleux de faire la nique aux Camaristes, et de les foutre dans la merde. La dernière fois, il avait attaché le gars, soigneusement sapé, à un lampadaire, et en plein milieu d'un quartier ultra fréquenté. Ils devaient encore en avoir des sueurs froides. Mais non, au lieu de s'éclater, il avait fallu qu'il file du sang à ce type, parce que "ça allait surement être marrant et on allait voir si on pourrait faire un Tzimisce potable de ce chien fou".
Putain d'Anton ! Il commençait à se demander, si ce qu'on racontait sur la diablerie…

Mais en attendant, il avait envoyé le Prêtre de sa meute, un ventrue anti-tribu, ainsi qu'un des membres observer ce qui se passait, et voir si le fouineur sortait de son trou et ne succombait pas immédiatement à la frénésie. Visiblement il était sorti dans un état second, et n'avait pas tardé à faire sa première victime en sortant. Il bouffait vraiment salement, d'après Lila, la Lasombra qui l'avait accompagné. Mais ils allaient bien voir s'ils pouvaient faire un membre du Sabbat potable, et ça, il allait devoir gagner lui même ses galons.

Il avait déjà survécu, et c'était une première étape. Le bar était fermé, et ils avaient encore une petite heure avant d'aller dormir. La porte s'ouvrit, et il vit entrer le gars en question, suivi par ses deux acolytes, quelques instants après. Inutile de de se cacher, à présent.

- Salut le fouineur. Non tu m'as pas manqué, mais t'es du genre à rentrer par la fenêtre quand on te vire par la porte. dit-il sur le même ton ironique. Maintenant que t'as sauté à pieds joints dans le merdier et que tu l'as trouvé, va falloir que tu me donnes un prénom, hein ? Parce que fouineur, ça va vite me lasser, et t'as pas une gueule à t'appeler Gunther. Et comme t'as compris tout seul, probablement tu fais plus partie du troupeau.