1695
- La mort n'est pas une chose si sérieuse; la douleur oui. -
Et c'est dans la douleur que prend racine le destin d'une vie tout juste éclose.
L'hiver battait son plein dans les plaines de la Nouvelle Yorck et c'est grosse de huit mois que cette femme donnait naissance. Un panier en osier couvert de linges et de fourrures posé sur le sol entre ses cuisses, elle se cramponnait avec l'ardeur des condamnés à mort à la branche de l'arbre, pour pousser et faire sortir l'enfant de son ventre. Depuis des générations ses aïeules avait fait ainsi et en tant que femme amérindienne, elle ne pouvait accoucher autrement. Les flocons de neige qui tombaient en abondance et qui rencontraient sa peau fondaient instantanément sur son front brûlant. A la dernière poussée, la délivrance. D'une main fébrile elle coupa le cordon qui la reliait au petit être qui ne criait pas.
Rapidement elle enroula sa fille dans les tissus chauds et rejoignit la demeure où son époux devait l'attendre.
La fillette cracha le liquide de ses poumons mais ne pleura pas.
1708
- La vie n'est qu'un changement perpétuel. -
La nouvelle York n'est plus la nouvelle Mecque et le chef de famille décide de partir pour le Mariland. Shanka et sa mère souffrent de quitter la terre qui les a vues grandir et s'épanouir. Sa mère est trop soumise à son époux violent, quant à la fillette, que peut-elle bien faire du haut de ses treize ans, sous le joug d'un père tyrannique.
1711
- Nous ne naissons que pour mourir. -
"
- Comment peux-tu être aussi aveugle et EGOISTE !- C'est moi que tu traites d'égoïste petite SOTTE ! Je ne pense, qu'a ton bien et celui de notre famille !
- A mon bien.... à mon BIEN ! En me forçant la main pour épouser un de ta race alors que je ne le connais pas et que je ne l'aime même pas !- Shanka, c'est ton père !
- Mère vous le défendez ?! J'aurais dû m'en douter. Je n'épouserai pas cet homme !!!- Ho que si tu l'épouseras où il faudra te trouver un nouveau foyer. Si tu n'acceptes pas, tu pourras te vendre au plus offrant ou crever de faim, tu ne seras plus ma fille, tu m'entends!
- Et bien je préfère souffrir mille morts que de rester sous votre joug de bête brutale."
L'air siffla à ses oreilles et ce n'est que lorsqu'elle sentit la douleur qu'elle se rendit compte qu'elle était tombée à terre sous la gifle de son père.
Il était parti avec sa mère sur ses talons.
Belle entrée en matière pour une jeune femme qui ne connait rien à la vie, mais qui n'aspirait qu'à pouvoir garder sa liberté et faire ses propres choix.
Le soir était tombé lorsqu'elle déambulait dans les rues la ville, l’esprit altéré par le chagrin, le cœur rempli de haine et les tripes brûlant du feu de la vengeance.
Son étoile était-elle vraiment pourrie ce jour-là? Les grands esprits l'avaient-ils oublié ? Le karma ? Qu'importe le nom, son destin était-il de tomber sur cet homme alors qu'il sortait d'un croisement de rue.
A cette époque, lorsqu’une femme de classe inférieure tombait, il y avait encore des gentilshommes qui leur portaient secours quelques fois. Celui-ci devait en faire partie.
" - Je vous prie de bien vouloir accepter mes excuses madame *en français dans le texte*
- Non c'est moi, désolée monseigneur.- Puis-je vous inviter à prendre un rafraîchissement, ma demeure n'est qu'à quelques pas.
- Ne vous donnez pas cette peine monseigneur.- J'insiste, les rues ne sont pas sûres pour une jeune femme... la nuit.
- Que voulez-vous qu'il m'arrive, je crois que j'ai touché le fond, ça ne pourrait pas être pire. "
L'homme en face d'elle n'était pas spécialement beau, rien ne semblait le faire sortir du lot, pourtant du haut de ses quarante ans bien tassées et dans son costume, il émanait de lui une sorte de force mystique, une atmosphère étrange.
" - Cela peut toujours être pire.
- Pardon ? "
Il semblait d'un coup bien sérieux pour une conversation si banale. Il contemplait ses poignets fins et délicats avec cette insistance qui, si elle avait duré plus longtemps, aurait vraiment été gênante. Puis il leva les yeux comme semblant sortir d'une torpeur et lui sourit.
" - Vous pourriez être morte !
- … J'imagine oui…"
Et sans vraiment plus de cérémonie il lui prit le bras pour la faire entrer dans une maison un peu en hauteur.
A vrai dire, sans avoir un guide, il lui aurait été difficile d'y accéder.
Une fois à l'intérieur, il lui offrit un verre d'absinthe faisant fi de ses protestations. Etant bien élevée, elle n'osa pas refuser de peur de mécontenter son étrange hôte.
L'homme faisait dans les un mètre quatre-vingt, une silhouette assez sèche mais musculeuse. Pas de première jeunesse, mais, bien sûr lui, les cheveux grisonnants, mi- longs, attachés par un ruban en arrière. Bien lissé, impeccable.
De grands yeux noirs qui semblaient la sonder.
" - Et donc vous vous appelez ?
- Shanka Elk et… et vous?- Ho je suis impardonnable. François De La Lambertie pour vous servir."
Après plusieurs verres et avoir étalé sa vie insipide devant ce parfait inconnu, il s'approcha d'elle pour la prendre doucement dans ses bras.
Avec autant d'alcool dans le sang autant dire qu'elle n'était pas vraiment en état de se défendre efficacement et pourtant elle essaya. Elle le mordit à la main lorsqu'il posa un baiser dans le creux de son cou.
La prise sur sa taille et ses poignets se fit plus ferme lorsqu'il la coucha sur le sol. D'abord, la douleur, puis une intense sensation de plaisir, puis pour terminer un goût ferrugineux entre ses lèvres. L'Etreinte.
Morte et revenue à la vie par cet homme. Les blancs étaient il tous aussi étranges ?
Pourquoi l'avait-il choisi, elle ? L'avait-il prise en pitié ? Etait-ce un détail dans sa vie ? Où le fait qu'elle l'ait mordue qui lui ait plu ? Encore aujourd'hui elle l'ignore.
1722
- On peut mélanger l'espoir et le désespoir jusqu'à ne plus distinguer l'un de l'autre.-
Les débuts en tant que nouveau-né avaient été passablement difficiles pour elle. La soif de sang bien supérieure à ce que son Sire avait imaginé. En revanche, avec l'aide de son géniteur elle réussit à rentrer dans les rangs et à contrôler la bête en elle. Les années passent vite lorsqu'on s'amuse. Shanka avait trouvé en François le père qu'elle avait toujours rêvé d'avoir. Patient, attentif, dur, mais aussi juste. D'ailleurs il préférait qu'elle l'appelle père plutôt que sire. Elle était son infante, sa fille. Ce qui les avait vraiment réunis était sans doute leurs parties de chasse. Indépendant de la Camarilla ou du Sabbat ils n'avaient pas réellement de territoire, ils passaient la plupart du temps un accord avec le vampire en faction pour avoir la permission de chasser le bétail sur son territoire.
Le sang des Assamites coulait dans leurs veines et les réunissait en une seule et même conscience. En dix ans, il était devenu tout pour elle, son père, son Sire, sa famille. Il fut le premier à lui parler de la diablerie. Des effets que l'on ressentait, il fut le premier également à lui parler de la malédiction. Le besoin et la nécessité d'aller se procurer des potions de sang chez eux pour pouvoir vivre.
Il lui apprit à appréhender ses dons. Une vraie discipline. Il était doué pour se dissimuler, elle bien moins à cette époque.
Puis, l'enfant déçoit les attentes du père... il se voit délaissé et finalement termine par faire partie intégrante du décor.
1782
- La haine, comme l'amour, se nourrit des plus petites choses. -
L'aspect fusionnel de leur rapport se dégradait de jour en jour. Leur relation était plus houleuse. Les disputes éclataient de plus en plus souvent et de plus en plus violentes.
Elle lui était attachée, mais souffrait de ce désintérêt total qu'il manifestait maintenant ouvertement pour elle.
Soixante-dix ans à passer à ses côtés et déjà elle ne pouvait plus le supporter, son cœur bien que mort la faisait souffrir nuit après nuit, année après année.
Pour essayer d'enrayer ce phénomène, son Sire proposa de partir, d'aller en Europe, retrouver sa France natale qui lui manquait tant.
Personne ne sait réellement ce qui s'est passé. Il y eut une violente altercation entre François et Shanka, si violente qu'ils en étaient venus aux mains. Il tenta de la violer dans un accès de rage, elle se défendit d'avantage. Il finit par sorti sur le pont pour prendre l'air. Le bateau était secoué par un début de tempête, personne n'a rien vue. A l'arrivée au port, Shanka était seule. Elle sait peut-être ce qui s'est passé mais n'a jamais rien dit sur le sujet.
Elle resta quelque temps en France, elle visita l'Espagne puis décida de continuer la découverte de l'Europe.
1832
- La beauté se raconte encore moins que le bonheur. -
L'Italie, un endroit merveilleux où elle a sympathisé avec un Lasombra qu'elle avait pris sous son aile, chose qu'elle n'aurait pas cru possible au vue de sa piètre opinion de cette race. Malheureusement le petit jeune a mal fini, en guise d'adieu elle a consenti à lui faire l'honneur de lui offrir sa mort ultime.
C'est là-bas aussi qu'elle a sympathisé avec une Toréador alors qu'elle était à Milan. En visitant Venise, elle pensa à son ami Nosfératu français. Pas un seul égout où se terrer, seulement de l'eau et encore de l'eau. Elle descendit jusqu'en Sicile avant de retourner en Amérique.
1932
- C'est en allant vers la mer que le fleuve reste fidèle à sa souche. -
Retour au pays, sa vie, ou plutôt sa non vie a repris son court. Rien de bien différent. A nouveau elle vendit ses services au plus offrant tantôt le Sabbat, tantôt la Camarilla. Plus le temps passait plus son affinité avec le quietus se prononça. Elle remplissait tous ses contrats, les choisissant avec beaucoup de soin. On peut être un assassin né, mais ne pas avoir envie d'embrasser la mort ultime. Lorsque la lassitude se faisait sentir, elle quittait l'état où elle se trouvait pour aller dans un autre aussi simplement que ça. Aucune attache, aucun sentiment, un tueur comme les gens ont tendance à se l'imaginer. Seul le travail entrait dans sa vie. Depuis ce petit Lasombra qu'elle considérait plus comme un animal de compagnie, elle n'avait autorisé personne à entrer dans son univers. Lorsqu'un homme lui plaisait, elle préférait exercer un repli stratégique. N'ayant jamais connu l'amour, elle ne sait pas faire la différence entre l'envie de "dévorer" quelqu'un et l'envie de le dévorer au sens propre du terme.
2011
- Le vrai bonheur coûte peu. -
"Aéroport de Los Angeles"
La porte de l'avion s'ouvrit et la première sensation fut cet air chaud et humide qui vous prend à la gorge. Une sensation de moiteur qui s'immisce sous les vêtements pour se coller sur la peau qu'elle avait oubliée depuis près d'un an. Son départ avait été précipité pour des affaires professionnelles étant donné que sa cible avait pris le large jusqu'en Russie pour essayer d'échapper à l'ombre menaçante qu'elle faisait peser sur lui. Dommage, l'obscurité gouverne plus de la moitié du globe.
2013 - 72h
- Ceux qui ont beaucoup à espérer et rien à perdre seront toujours dangereux. -
Le contrat n'était pas très difficile, le vampire était une petite frappe qui ne faisait qu'emmerder le monde mais rien de bien particulier.
Deux jours à ne rien faire, à parcourir cette ville pleine de souvenirs à ses yeux.
Pleine de promesses, grouillante de vie, sale et puante de vices.
Un endroit parfait pour des gens aussi paumés qu'elle pouvait l'être.
L'occasion était trop belle pour qu'elle la laisse passer. Reprendre le court de la vie qu'elle avait ici et mise de côté. La voilà depuis environ un mois agent de sécurité pour un parking en sous-sol d'un grand établissement riche et puant de luxe. Comme une gamine qui vient de déballer son cadeau de Noël, elle est impatiente de voir combien la ville a changé.