"Un sculpteur néo-art qui travaille sur la surface des murs par micro-dynamitage afin de faire des sculptures picturales colorées par les différences d'épaisseur des pierres."

Voilà quel résumé Tysha avait rendu à Ismahel. Cette forme d'art peu orthodoxe alliant peinture et sculpture plut immédiatement au Toréador qui s'empressa de décommander ses rendez vous de la nuit. Il se nourrit de deux verres de couples qu'il avait récupéré par ses contacts en Europe : deux Serbes très dociles au goût exquis. Le vampire ne les nourrissait uniquement d'agrumes et de poissons cuisinés de ces mêmes fruits, leur sang prenait un goût parfumé d'amère, acide, sucré et iodé tout particulièrement savoureux. C'était, il faut l'avouer, son péché mignon du moment.
Il s'était tourné vers l'art culinaire depuis la disparition d'Amélia tel un adolescent se tourne vers les sucreries après un chagrin d'amour. C'était, il le savait pathétique mais la découverte de ses deux serbes avait finalement donné un tournent plus honorable à cette déchéance.

Une fois son dîner pris, il se fit conduire en limousine jusqu'au Downtown où avait lieu l'exposition. En chemin, il prit connaissance des affaires du jour, du cours de ses actions et des différents rendez-vous de son agenda. « Il va falloir prendre contact avec le nouveau Régent aussi vite que faire se peut... le prévôt serait aussi un allié judicieux... bon, pour le moment place à l'art. »

La rue où il descendit était pleine de monde, les humains y pullulaient tels des fourmis sur du miel. Cet artiste semblait en effet attirer sans distinction les différentes classes sociales. Il reconnut parmi les admirateurs le président de l'opéra général, son confrère Her Heinzvastroff grand amateur d'amateur et actionnaire tout comme lui du Musée d'Art Contemporain, ainsi que Madame Vitoli directrice en chef du Musée d'Histoire Naturelle, il y avait même Yuri Maltova patron du magasin qui a remplacé en 2006 le Musée de l'érotisme. Saluant un à un ses amis amateurs d'art, Ismahel finit par se mêler à la foule. C'est là qu'il l'a vit.

Cette jeune femme à la peau pâle et aux yeux clairs avait déjà attiré le regard d'Ismahel mais cet intérêt ne venait pas particulièrement du fait que la jeune femme était extrêmement désirable, non cela venait du décalage entre ce qu'elle pouvait paraître et les lieux où Ismahel l'avait déjà vu.
En effet, le Toréador l'avait aperçu une fois à l'opéra durant la magnifique représentation de la Traviata, œuvre donnée en spectacle il y a deux ans, il lui avait aussi semblé l'apercevoir à la représentation du roi Lyre de Shakespeare. La femme aux cheveux de sang et d'onyx avait aussi été aperçu lors de l'exposition exceptionnelle donnée par Ismahel au Musée d'Art Contemporain l'hiver dernier. À chaque fois, l'attention qu'elle portait à l'art et son style avait marqué Ismahel.
Elle semblait discuter avec l'artiste. Il s'approcha doucement du groupe entourant « le jeune prodige » (du moins c'est ce que disait la publication qu'avait affichée son smartphone quelques minutes plus tôt). Alors qu'il s’immisçait délicatement parmi les convives, il déclara :

"- Votre travail est réellement épatant. Votre œuvre sur les murs de notre ville fait presque de l'ombre aux travaux de Diego Rivera, David Alfaro Siqueiros et Jose Clemente Orozco.

- C'est marrant Raven m'a dit exactement la même chose il y a quelques minutes, dit Dorian Sanders, l'artiste. Laissez-moi vous présenter ma muse et l'un de mes rares modèles Raven Cooper qui est également artiste, une sublime chanteuse...

Maintenant qu'il le disait, cela devint flagrant pour Ismahel, la jeune femme aux cheveux de feux des œuvres était cette jeune femme, Raven Cooper selon les informations que Tysha lui avait fait parvenir. Chanteuse, serveuse et globe trotteuse. Égérie japonaise et amatrice d'art. Étudiante en psychologie s'il avait bien compris. « voilà une personne des plus intéressantes ».

- Tu exagères un peu Dorian. Ne seriez-vous pas Ismahel Lucilius par hasard ?

« Elle me connaît alors... peut n'ai-je pas été le seul à être remarqué durant mes nombreuses expositions ». La surprise apparut sur le visage d'Ismahel, il en était bien conscient. Il fit une révérence bien bas puis se relevant un sourire charmeur aux lèvres :

- Et vous, vous êtes Raven Cooper, vous êtes venue à une de mes expositions si je ne me trompe.En tout cas c'est un plaisir que de rencontrer une aussi belle dame, vous devez être la muse de tous les artistes. Où, cher Dorian avez-vous trouvé une telle Callipso ?

Imposant un temps de silence, il observa l’œuvre murale face à eux.

- Me permettez-vous de vous emprunter votre fée inspiratrice ? Mon esprit aura besoin de sa clairvoyance pour apprécier toute la beauté de cette exposition. Puis se tournant vers Raven, lui proposant son bras : Ma dame, me feriez vous l'honneur ?..

La jeune femme ne sembla nullement intriguée par la tenue d'Ismahel au contraire de la majorité des individus qui le croisaient durant l'exposition. Les connaissances du vampire s'étaient habituées à cette habitude louffoque quant aux autres... Ismahel les entendait chuchoter des remarques et des moqueries à son encontre, il voyait les yeux qui s'attardaient sur lui. Mais ni la bouche ni les yeux de la jeune femme ne faisaient partis du lot.
C'est alors qu'il réalisa que ces mots et ces yeux n'étaient uniquement dirigés à son encontre mais aussi à celle de Mademoiselle Cooper.
C'est en s'attardant à son tour sur la tenue vestimentaire de cette dernière qu'il comprit : le style de cette dernière était lui aussi très particulier. Il avait vu et s'était déjà nourri d'individu aux mêmes gouts vestimentaires... des individus aux moeurs souvent macabres et aux âmes nostalgiques. Cependant la jeune femme semblait faire exception à cette règle stupidement construite par la pensée de petits êtres coincés dans les carcants castrateurs de leur mentalité étriquée.

La jeune femme accepta sa proposition et d'une démarche royale accompagna le Toréador le long de l'exposition.

- Votre dernière exposition fut une merveille monsieur Lucilius... mais il est fort dommage que ne pas avoir pu voir "Les Tournesols" de Van Gogh. J'aime regarder ce tableau, je pourrais presque sentir le parfum discret et ensoleillé des fleurs. La première fois que je l'ai vu c'était au Louvre, quelle sublime musée, un vrai paradis...Tant de peintures, de sculpture à vous faire tourner la tête et à vous faire rêver... n'est-ce pas ?

- Mademoiselle, n'avoir pu me procurer les Tournesols est pour moi une plaie encore ouverte qui saigne abondamment. Ce n'est qu'en faisant venir de mes collections new-yorkaises, les Nymphéas de ce cher Manet que mon cœur commence à guérir... je ne les ai pas encore exposés, j'attends d'autres œuvres afin de proposer un festival avec pour thème Manet, je comptais y faire participer les facultés d'art et peut-être l'ensemble des établissements scolaires dans des concours ludiques de peintures... les enfants d'aujourd'hui sont les artistes de demain n'est-ce pas ?

Alors qu'ils déambulaient à travers l'exposition, ils passèrent devant une œuvre particulièrement singulière où il était évident que Raven avait fortement inspirée le travail de l'artiste.

- Vous êtes bel et bien l'inspiratrice de ce cher Sanders, et cela est bien normal. Il est toutefois étonnant que si peu d'artistes ne vous aient pris pour muse. Vous êtes, je l'avoue, un étonnant sujet de travail, je parle ici d'un point de vue strictement esthétique n'en soyez surtout pas blessée.
S'arrêtant, voyant qu'il laissait sa vision d'artiste dépasser son comportement de gentelman.
Veuillez m'excuser de m'être exprimé de la sorte. Je ne sais comment me faire pardonner. Peut-être, une vue en avant première de ces chers « Nymphéas » pourrait me faire pardonner. Vous verrez que leur parfum n'a pas à rougir de celui ds « Tournesols ». »

- Vous voulez dire Monet n'est-ce pas ? dit-elle avec un fin sourire, et la plupart de ces enfants n'ont pas la possibilité de voir un musée ou participer à des concours. La situation financière des parents ne le permettant pas toujours, pour certain il est difficile de faire un premier pas lorsqu'ils sont bloqués par les parents. Cela amène beaucoup de mal être en grandissant, des regrets qui sans cesse reviennent.. Je ne parle là que d'un pourcentage non négligeable de la population, d'autre arrive à se faire une place en travaillant dur...

« Elle a tout de même les bases... » se dit Ismahel quand la jeune muse ne tombât pas dans son vulgaire piège. « Un esprit pertinent... brillant même ». Cette enfant recelait des surprises tout à fait bienvenue pour le vampire.

- J'ai dit « Manet » ? Mes excuses... dit-il en lui adressant un clin d’œil assorti d'un sourire.
Votre remarque sur le caractère peu accessible de l'art est tout à fait juste. Pourtant je me dois de vous demander : avez-vous payé lors de mon exposition ? Je ne crois pas. Vous l'ignorez sans doute mes expositions sont toujours gratuites, elles sont financées par des mécènes qui comme moi considèrent que l'art se doit d'être ouvert à tous pour connaître sa plus grande gloire. Le caché à la plèbe par des prix scandaleux, c'est le salir. C'est pourquoi ma future exposition et ce petit concours que j'ai en tête seront gratuits.

La remarque de la jeune femme aux sujets des yeux fixés sur eux laissa un rire s'échapper de la bouche d'Ismahel. Ces vieilles mégères, semblables à des marâtres pendues à leur fenêtre toisant quiconque passa dans la rue du regard, étaient en effet bien comique.
- Vous avez grandement raison. Fi des apparences ! Nous nous parons des habits qui nous représentent au mieux, ils sont l'extériorisation de nos âmes. En cela, nous sommes bien plus sincères que la majorité.
Le Japon ! Mais oui bien sur ! Je comprends pourquoi vous me disiez quelque chose. Je pensais que vous étiez juste une fan. Mais oui... lors d'un voyage d'affaire à Tokyo, un ami  m'avait montré une revue de mode où une jeune américaine au style exacerbé faisait vibrer le Japon, Issey Miyake peut-être en avez vous entendu parler ? Le parfum que je porte est un cadeau spécial, unique au nom de notre longue amitié.

Ismahel avait dès le premier regard reconnu l'européenne qui faisait fureur au Japon. Mais les convenances voulaient qu'il simula la surprise, tout savoir d'une personne à peine rencontrée est répulsif. Surtout pour les humains.

Alors qu'ils dépassaient un nouveau groupe de commère, Raven accepta sa proposition.
- Par contre, je ne suis pas contre le fait de voir les Nympheas de Monet. Comme disait si bien mon père on propose, je dispose.

- Finissons de faire le tour de cette splendide exposition puis je vous amènerai voir ces fleurs, voulez vous ? Le plaisir avec la peinture c'est que leur parfum ne disparaît pas avec le temps.

Ils terminèrent leur balade esthétique. Puis il dirigea la jeune femme jusqu'à sa voiture. Le ronflant de la lamborgini gênait quelque peu le Toréador, son intérêt n'était en aucun cas de l'impressionner et  surtout pas avec des voitures pimpantes. Alors qu'ils quittaient les rues de la ville en se dirigeant vers Mulholland Drive, Ismahel sortit deux verres :

- Souhaitez vous un rafraîchissement ? Pour ma part, je prendrais bien une caïpirinha.
J'habite dans une maison longeant Mulholand Drive, la vue est magnifique mais vu la circulation le trajet pourrait être long. Ne vous inquiétez pas. Lorsque vous souhaiterez rentrer Vassili vous ramènera chez vous.

Il saisit rapidement son portable, envoyant à l'intention de Tysha : « Range les Serbes, et veille à ce que je ne sois pas dérangé.»

- Une caïpirinha ? Qu'est-ce ? Je crains de ne pas connaître cette boisson, mais je ne suis pas contre y goûter un peu.

Alors qu'il tapait son sms, Ismahel répondit en jetant un regard doux à la jeune femme :

- Une caïpirinha est un cocktail brésilien à base cachaça, un alcool proche du rhum avec un goût quelque peu différent. Le cocktail se compose de cet alcool, de citrons verts, de sucre de canne et de glace pilée. Je vais m'en préparer un, vous n'aurez qu'à boire dans mon verre.

Puis il ouvrit une boite noire qui se dévoila être une glacière, saisit la bouteille de cachaça qui trônait à coté d'une bouteille de vodka, prit quelques citrons, le sucre de canne et de la glace. Alors qu'il faisait son cocktail, il remarqua que la jeune femme semblait perdue dans ses pensées, le regard posé sur le firmament.

Alors qu'il lui tendait le verre, elle lui demanda :

- L'imperfection des hommes est bien mieux que la perfection qu'ils recherchent. Un monde parfait est si fade, sans saveur, ni plaisir à regarder et un enfer dans lequel vivre. J'ai toujours aimé les défaut de chacun, c'est ce qui nous rends plus intéressant. Qu'en pensez-vous ?

- Je dois dire que pour répondre avec la plus grande justesse à cela, il faudrait établir ce qu'est la perfection et de fait l'imperfection. Qu'est ce qui est un défaut ? Qu'est ce qui est une qualité ? Quel qualité est atténiable dans sa totalité ? Quel défaut est trop terrible pour être accepté en société ?
Je dirai qu'en considérant le meurtrier de sang-froid et le violeur comme étant les être les plus méprisables, on peut alors s'intéresser aux défauts qui donnent de la substance à chaque être ainsi qu'aux pseudo  qualités que tant aiment à afficher pour mieux se faire voir par leurs pairs.
S'arrêtant un instant, Ismahel plongea ses yeux dans ceux de Raven.
L'humain est de nature à chercher la domination sur son prochain, l'argent est une source qui permet ce pouvoir, mais l'amour, l'adoration, le pouvoir religieux en sont tant d'autres possibilités. L'art est aussi une arme, une arme noble dirais-je... l'art est la source de la vérité de l'âme à mon avis. Avoir le contrôle de l'art, c'est avoir le contrôle des inclinations des Hommes.
Vous voyez donc que même une chose aussi belle que l'art peut être source de mauvais comportements. Cependant, je tiens à terminer sur ce que vous disiez : si les défauts nous rendent plus intéressants, nous rendent-ils pourtant ce monde meilleur à vivre ?
Je pense qu'il y a à méditer sur cela. Je parle trop, mes excuses... comment trouvez vous ce cocktail ?

« Nous avons choisi l'art comme arme », voilà ce qu'avait dit un soir son Sire. Une belle phrase. Une phrase juste. Les Ventrue usent de l'autorité et de la Loi comme arme. Les Giovanni, l'argent. Les Brujah, la force. Nous nous utilisons l'arme la plus terrible : l'esthétique, que l'art soit pictural, oratoire, que cela soit la danse, le chant ou la sculpture, l'art touche aux passions des hommes, et en contrôlant ces passions le Clan de la Rose sera le grand vainqueur du Jyhad. De ça, Ismahel en était convaincu. Ici dans la ténébreuse cité des anges, son influence dans le domaine de l'art avait déjà tel un merveilleux cancer conquit les masses. A New-York, le combat était plus rude... Mais dans un moins d'un siècle, son influence sur la cote Est et Ouest sera complète. Il devait juste attendre. La Rose étreindrait bientôt ce continent de ces épines délicieuses.

- J'ai remarqué que vous observiez les lumières célestes. Je trouve cela magnifique quand les lueurs de la ville se mêlent complètement aux filles de la lune. Mais pour cela il faut que le véhicule aille nettement plus vite, une fois que nous aurons quitté les grandes artères de la ville, voudriez-vous que je demande à Vassili notre chauffeur d'accélérer ? À moins que la vitesse ne vous dérange...

Elle se semblait apprécier le cocktail, c'était donc une personne de bon goût se dit Ismahel en souriant. Elle décrit de façon réellement pertinente le goût ou plutôt les goûts qui se dégageaient du cocktail. Un palais bien subtil pour une humaine... Subtil était aussi son esprit, le Toréador s'en était rendu déjà compte.

- Au contraire votre façon de penser est si profonde. J'aime discuter philosophie avec les gens. Parler des psychopathes est un autre domaine.. Croyez-moi dans le cadre de mes études, j'ai dû effectuer une formation dans un asile psychiatrique et ce que j'ai vu... Cela me poursuit encore aujourd'hui... Nous mettons ces êtres dans des catégories différentes et elles sont nombreuses et variées... Une vie ne suffirait pas à expliquer le comment du pourquoi d'une telle attitude envers autrui.... Les domaines de dominations sont effectivement nombreuses également... Même le plus insignifiant devient un domaine propre à être au-dessus des autres...

Si le vampire la savait déjà amatrice de psychologie, il ignorait cependant qu'elle eut effectué une formation au sein d'un asile. À l'époque d'où venait Ismahel, les fou et les criminels étaient logés à la même enseigne : la mort. L'internement des détraqués sexuels, des psychopathes et des aliénés avait fait partie des principales nouveautés qui l'avait beaucoup perturbé lorsqu'il était sorti de torpeur. Il avait visité avec Stefano un asile où une de ses goules favorites était directeur adjoint au traitement des malades. La visite du lieu l'avait  fasciné. Les Hommes cherchaient à comprendre l'esprit des fous, à les soigner... l'étude des psychopathes devint pendant près de six mois la nouvelle passion de l'excentrique caïnite. Il lut un maximum de chose, alla voir autant que possible le Directeur psychiatre. La psychiatrie était encore dans un état embryonnaire lorsque le Toréador s'y consacra. S'il est bien une chose qui caractérisait le vampire s'était sa soif de savoir et surtout la passion qu'il mettait dans ses études. Cependant comme pour de nombreuses choses, le vampire était aussi bien inconstant, et sa passion dévorante pour l'esprit des fous ne dura que peu. Il s'y plongea de nouveau au courant de l'année 2000 alors qu'il apprenait le décès de la goule de Stefano. Cette annonce lui rappela cet intérêt vivace qui l'avait saisi des années au paravent. Mais cette flamme s'éteint au cours de l’hiver 2003. En entendre parler à nouveau faisait remonter un passion enfoui chez le caïnite.

- Le monde ne sera jamais meilleur qu'importe les efforts de l'humanité. Ce n'est pas du pessimiste, mais du bon sens tout simplement. Chez les asiatiques...le monde a besoin de cette noirceur pour garder un équilibre, c'est le principe du Ying et du Yang...

« Voilà ce qu'était la jeunesse cultivée de notre époque... elle est si pessimiste qu'elle considère cela comme un fait avéré... ». Lui qui avait connu le fer sous la grande Constatinople, lui qui avait parcouru l'Europe durant la terrible Peste Noire, lui qui s'était retrouvé en Russie sous le joug d'Ivan III dit le Sévère, lui qui a son réveil avait découvert l'horreur de la guerre moderne, qui avait vu dans les informations la destruction d'une ville entière d'une seule bombe... L'époque qu'ils vivaient était de loin une époque relativement calme. Les hommes avaient découvert comment soigner le cancer, comme diffuser l'éducation aux masses, la démocratie régnait sur bon nombre de pays.
Il fallait être né à cette époque pour s'en plaindre. Mais de tout cela le vampire ne dit rien.
La jeune femme ne connaissait pas toute la noirceur du monde et pourtant considérait que rien en pouvait être fait. Lui apprendre la vérité sur le monde ne ferait que le rendre plus sombre à ses yeux.
Le monde a besoin de noirceur, cela était vrai mais dans un monde aussi sombre, il fallait surtout de la lumière... le Toréador pensait fermement que c'était pas la culture et l'art que l'humanité
s'élèverait et par la même les vampires. L'unique solution à la Gehenne, l'arme capitale pour vaincre le Jyhad était cette chose essentielle...

Elle voulut lui rendre son verre. Mais Ismahel était déjà en train de s'en servir un autre. Il lui répondit d'un ton amusé.

- Attendez, je termine celui... tenez, voilà il est tout à vous. Je terminerai celui que vous avez délicieusement commencé.
Puis sur un ton plus sobre, plus sombre...
Je ne veux point vous faire un cours d'histoire mais le monde s'est amélioré sur de nombreux points grâce aux efforts des Hommes... ne jugeons pas trop sévèrement nos contemporains mais tentons plutôt, chacun à notre niveau, d'améliorer ce qui doit l'être. La Justice, l'équité, la répartition des richesses... la culture pour tous... Nous vivons sur un monde par bien trop intéressé par l'argent, le pouvoir et la violence mais nous nous devons de tenter de l'élever à des inclinations plus nobles. Je suis sans doute un idéaliste naïf mais je ne peux me résigner au constat affligeant de notre société.

Il but une gorgée en scrutant les lumières qui défilées comme autant de brasiers colorés sur le tableau qu'était la nuit. Puis il tourna son visage posant un regard souriant et calme sur Raven.

- Vous me semblez intéressée par la psychanalyse et votre esprit est suffisamment effilé pour réussir sur cette voie. Vous m'avez parlé d'un asile où vous avez côtoyer, du plus loin possible je l'espère, des psychopathes. Cela doit être fascinant bien que terrible...
Comprendre l'esprit humain, chère Raven... j'espère que ça ne vous dérange pas que je vous appelle par votre prénom ? Donc comprendre l'esprit humain est une chose impossible pour un humain, chose cocasse d'ailleurs. Il  faudrait vous l'avez dit une éternité pour l'appréhender dans sa globalité et en cerner les plus infimes reliefs. Hélas tout homme doit mourir... ceux qui l'oublie sombrent. « Vanité des vanités, dit l'Ecclésiaste, vanité des vanités, tout est vanité. »

Parler ainsi de l'impossible immortalité fit sourire Ismahel plus qu'il n'en était conscient. Mais comment s'en empêcher lorsque l'on est immortel...

Les paroles d'Ismahel semblaient avoir troublé la jeune femme. Rendre perplexe son public était essentiel lorsque l'on voulait mieux le connaître. Si la galanterie voulait que l'on ne froisse point une femme, l'expérience d'Ismahel lui avait en tout point démontré que c'est en apportant un avis « conflictuel » que la conversation s'élève. Parler de banalités, éviter la confrontation intellectuelle... toutes ces choses ne pouvaient en aucun cas permettre de cerner l'esprit d'un individu, et celui de la jeune femme semblait aiguisé voire brillant. Il fallait donc le tester.
Elle réfléchissait pour le moment jusqu'à ce que ses lèvres délicates et pulpeuses se décollassent enfin de hisser un plus haut leur agréable discussion :

- Si vous mentionnez technologie, politique, médecine oui c'est vrai. Mais il y a des choses sur laquelle les hommes sont restés à la préhistoire. Dans le cadre de mes études en psychologie, j'ai dû faire face a pas mal d'études et surtout à des dissertations dans laquelle je devais de nombreuses recherches. Le comportement des hommes envers les jeunes sont parfois... Comment dire... horrible et ce mot est bien faible. Humiliation, coups, insultes, abus sexuel et j'en passe... De plus les jeunes entre eux sont tellement méchant et croyez-moi, j'en ai fait personnellement l'expérience. J'ai toujours eu ce style atypique et j'avais le droit aux insultes... Et quand vous êtes une élèves appliquée et intelligente, les jalousies sont si importantes que les accusations vont très loin...

La jeune femme ne s'intéressait pas à la psychologie par simple attrait intellectuel, elle avait du connaître dans sa jeunesse, dans son enfance même, des comportements de la part de la société qui l'avaient profondément marqué. Toute personne atypique se voit critiqué, huer... l'humain lambda a peur de la différence, cette xénophobie occidentale se retrouvais partout... des croisades à l'inquisition, de la traite négrière à l'horreur de camps... jamais l'Homme n'a su accepter l'autre et surtout jamais il n'a su restreindre son désir de le dominer. Les vampires n'étaient pas mieux, pour la plus part, mais n'étaient ce point des humains aux humeurs décuplées ?
La belle jeune femme avait dans son regard une étonnante maturité. Une maturité rare chez les humains, parfois même chez certains caïnites. « Seul celui qui a connu suffisamment le monde peut avoir ces yeux là. Elle connaît la douleur, l'humiliation, la cruauté des hommes... et pourtant elle s'est pourtant relevé d'une difficile adolescence de toute évidence... mais aura-t-elle le courage de découvrir ce qui existe derrière le voile ? Pourra-t-elle accepter cette apokalupsis qu'il lui préparait ?  Cela sera découvert en temps voulu... »
Elle ajouta :

- J'économise dans le but de pouvoir faire mon métier de psychologue. Je me suis plus centrée sur les enfants et les adolescents. Ce sont des êtres fragiles qui ne trouvent pas toujours une oreille à leur écoute.

Un métier tout indiqué pour la jeune femme... « Où ai-je bien pu mettre mon édition signée par Jung de Rêves d'enfants ?.. » Si la jeune femme faisait ce soir ses preuves, une collecte de fond pour ouvrir son cabinet serait envisageable... le Toréador garda cela dans un coin de son esprit, juste à coté du nom du groupe où chantait la jeune femme...

- Du coup, j'ai un peu touché à tout. La mode, les voyages où j'ai pu apprendre dans le tas les langues italiens, espagnole, japonais, français, polynésien, chinois... Je suis le genre de personne qui se laisse emporter où va le vent. Je n'ai pas vraiment d'attache, mais je finis toujours par revenir à Los Angeles. C'est ici que je suis née et que j'ai grandi...

Comme l'avait ressenti le caïnite, la jeune femme avait l'expérience du monde et un désir de savoir particulièrement intéressant. Cela lui rappela sa découverte des lettres, des chiffres et des langues lorsque Severus l'avait libéré des chaînes de l'esclavage. Lui aussi avait voulu toucher à tout aux sciences, aux lettres, aux arts bien sur mais aussi au droit et même à l'occulte... la mort est la naissance du vampire, comme tout être doué de conscience, Ismahel était intrigué par ses origines, il avait donc tenté longtemps de percer le secret de leur immortalité. Le secret caché au-delà des légendes... mais il s'avéra que ses talents en art, lutte et droit ne s'appliquaient pas en matière d'ésotérisme.

- Vous êtes donc originaire d'ici... je comprends pourquoi on appelle cette ville la cité des anges.

Le téléphone de la jeune femme sonna. Observant le paysage par la vitre, Ismahel tenta aussi bien que faire se peut, d'ignorer les dires de la jeune femme, la curiosité est un vilain défaut dans certaines situations... cependant l'ouïe du vampire lui rapporta que la jeune femme semblait négocier un contrat pour son groupe avec le patron d'un certain club... à l'entendre, la jeune femme se débrouillais bien. Pas étonnant qu'elle est réussi à se débrouiller quelque soit le pays avec cette capacité à négocier.

- Excusez-moi encore pour ce petit dérangement... Dites-moi...cela vous direz de venir me voir sur scène avec mon groupe ? Je serais vraiment heureuse de pouvoir vous compter parmi le public et peut-être trouverez-vous des âmes d'artistes méritant de connaître les feux de la rampe.

- Cela serait un honneur pour moi mademoiselle. Donnez moi les dates et je serai au devant de la scène... oh une idée me vient. Pourquoi ne pas venir un soir donner un concert au Walt Disney Concert Hall ? Je réserverai le lieux et j'y donnerai une collecte de fond avec mes amis. La publicité de l’événement et les fonds récoltés vous rendre on ne peut plus connue. Et vous pourriez ouvrir ce cabinet. Nos jeunes ont besoin de gens comme vous...

Alors qu'il disait cela, la voiture s'arrêta.

- Nous voilà arrivé...