Voici que la somme incalculable de ses rendez-vous tirait à sa fin. Amelia Quinn avait enfin réussi à rattraper son incommensurable retard. Il aurait été parfaitement indigne d’une Dame de son rang de ne pas répondre à l’ensemble des invitations, demandes, prières et messages qu’elle avait reçu. Cela aurait été tout simplement inenvisageable. Et même s’il lui arrivait de déléguer quelque peu en cas de crise, elle aimait à avoir la mainmise sur tout ce qu’il se passait.

Ainsi par exemple aurait-elle été extrêmement vexée si ce nouveau venu – comment s’appelait-il déjà ? Ah oui, monsieur Julian, David Julian du clan des Sorciers – n'était pas venu se présenter alors même que le clan des masques savait déjà qu’il était sur son Domaine. Et bien entendu, personne, à moins d’être totalement fou, ne songerait à vexer le Prince de Los Angeles.

C’était sur cette notoriété qu’Amelia comptait pour conserver bien en main le pouvoir. Elle avait bâti la ville, elle s’y était érigée en maître, ou presque, avait conclu nombre d’alliances avec les Princes environnants, et conservait une extrêmement bonne relation avec la tête pensante de la Camarilla, ce n’était sans nul doute pas en vain.

« Toujours avoir deux coups d’avance n’est pas suffisant, n’est-ce pas, cher ami, il en faut au minimum cinq. »

L’Infant tapi dans les ombres hocha gravement la tête. Il faisait partie de ses plus anciens et fidèles partisans depuis de nombreuses années, déjà là alors qu’elle découvrait la ville. S’il n’avait aucun statut particulier ici, tout le monde savait qu’il avait l’oreille de la Dame Quinn. De sages et avisés conseils, et parfois d’autres moins sages.

Bien qu’il fût son Infant préféré, Amelia Quinn le faisait surveiller.

Comme tout le monde ici.

« Madame, la réception ne tardera pas. Tous les puissants ont été conviés, et on me rapporte que le dernier Primogène…
- Le Seigneur Raynor, je suppose ?
- Oui, Ma Dame, il vient d’arriver. »

Voici qui était un comportement typiquement Brujah. Le clan de la Sagesse aimait qu’on les remarquât, et il eut été indélicat de ne pas le relever. Très bien, il allait donc falloir y aller. Parée d’une robe qu’elle appréciait tout particulièrement pour ses replis de soie bleue, étincelante de diamants, ainsi que l’exigeaient tout à la fois la coquetterie et le prestige du clan.

Elle parut au milieu de l’assemblée, s’étant faite désirer ainsi que l’exigeait la coutume, on la fit annoncer dans toute la pièce.

« Notre bien aimée Dame Amelia Quinn, Prince de Los Angeles, Ancienne du clan Toréador, Rose parmi les roses nous honore de sa présence. »

L’écho se relaya, et l’on s’inclina respectueusement de tous côté, l’assaillant de flatteries, de courbettes, de mots glissés à l’oreille, de salutations, et de bien d’autres choses encore. En déambulant dans la salle tout en devisant à droite et à gauche, Amelia s’efforça de repérer ses connaissances. Bien, les Primogènes étaient là - à l'exception de Messire Christophe, mais le fait était devenu si courant que cela n'était plus une surprise. Si ces derniers commençaient à manquer les réceptions, c’était le signe que son règne battait de l’aile. Tel n’était pas le cas, même celui des Nosferatu était là. Une victoire quand on savait combien ce vampire détestait le monde. Il vint comme les autres lui présenter ses respects.

Ainsi qu’elle le devinait, le Primogène Brujah ne viendrait pas spontanément à elle, c’était à elle de marcher vers lui. Tous les Brujah hauts placés de sa connaissance avaient le même genre de comportement, cela n’avait donc absolument rien d’étonnant. Elle se dirigea, un verre à la main, sans en avoir l’air vers lui, presque flânant au milieu de sa cour, et ouvrit l’éternel bal qu’elle menait dans cette ville.

« Messire Raynor, c’est toujours un plaisir que de vous voir, et particulièrement en cette assemblée, ce soir. J’espère que vous avez fait bonne route. Vous portez-vous bien? »

Elle reconnut le visage voisin pour l’avoir vu quelques instants auparavant à peine. Remerciant sa mémoire, elle lui fit l’honneur d’une salutation du Prince.

« Monsieur Julian, quel bonheur que vous soyez des nôtres également. »

Le brujah et le Tremere. Le primogène et le nouveau né. Voici qui était une étrange assemblée en vérité. Une assemblée amusante, et étrange.

Oh, le fait aurait sans nul doute été plus étrange encore si les deux vampires avaient eu l’air de s’entendre, mais, vraisemblablement, le Primogène Marc S. Raynor n’était pas emballé par la présence de son confrère qui, lui, du reste, restait aussi impassible que l’exigeait la coutume chez les Sorciers.

Bien qu’il tentât par tous les moyens de faire diversion, notamment en courtisant Amelia Quinn ainsi que l’exigeait la tradition – et pas uniquement la tradition à vrai dire, puisqu’il n’était certainement pas le premier à se risquer un couplet de louanges bien senties – le Prince perçut les reste de colère et de tensions entre les deux hommes, et il faudrait dès lors qu’elle demande à l’un de ses subalternes d’ouvrir une enquête. Tiens, la Nosfératu Adams, elle avait parfaitement fait ses preuves la dernière fois qu’il avait fallut rechercher de délicates informations sur l’un de ses conseillers.

Oh, ce n’était pas uniquement une question d’Elyséum, on ne restait prince qu’en s’assurant de tout et de tout le monde, et dans ce monde là, le hasard n’avait pas sa place. Si les deux hommes avaient un différent, une histoire passée en commun, elle le saurait, et elle en jouerait. Mais pour l’heure… eh bien, l’humeur était à la fête, et aux jeux, bien entendu. Rangeant soigneusement dans un repli de son esprit cette note, elle accorda son entière attention au Brujah qui louait tout à la fois sa réception et sa beauté. Ah… ces jeunes n’apprendraient jamais. Mais c’était cela aussi qui faisait leur charme.

« Messire Raynor, fit-elle avec un large sourire éclatant, vous me flattez. Je savais que votre clan avait la Sagesse, mais j’ignorais qu’il eût encore le verbe d’un poète. Je me porte toujours admirablement bien en si aimable assemblée, je puis vous l’assurer. Vous vous faites trop rare ces derniers temps, mon ami, on a toujours besoin d’une éminence lettrée dans les parages afin de s’échapper du babillement de ses Infants. »

Elle laissa flotter son sourire indéchiffrable. Elle avait bien une idée derrière la tête mais il lui faudrait un peu de temps pour la mettre en place. En outre, le Français était tout à fait charmant lorsqu’il pensait mener la danse, aussi lui laissait-elle bien volontiers cette illusion.

Le Tremere semblait hésiter à se retirer, elle le devina à la brièveté de sa réponse et le silence attentif qui en suivit. Se remémorant que le jeune vampire arrivait tout droit de Londres, elle s’informa ainsi que l’exigeait la politesse et le bon sens de ce qui s’y tramait… bien qu’elle fût parfaitement au courant de nombre de choses. Mais selon la façon dont lui répondrait ce petit, elle pourrait déterminer plus précisément s’il représentait ou non un danger. En outre, contraindre un Sorcier à faire preuve de civilité était toujours un exercice… amusant.

« Dites-nous, monsieur Julian, quelles nouvelles nous apportez-vous de Londres ? Je suis certaine que mon ami ici présent doit être tout autant friand de nouvelles de l'Ancien monde, ainsi que disaient nos aînés, dont il su conserver le charme et le raffinement même en venant dans ces contrées américaines.»

Elle se tourna vers le Primogène, la mine légèrement soucieuse. Sa question était sincère, il était toujours bon de connaître l'état d'esprit de ses proches... Surtout quand c'est par l'un d'eux que peut arriver la discorde.

« J'ose espérer que vous ne souffrez pas du dépaysement, cher Messire Raynor.»

[HJ ; mes excuses, grosse panne d’inspiration pour le RP U_U]

Amelia Quinn ne pouvait que s’amuser de l’extrême prévisibilité des jeux de cour, ils étaient toujours à la fois subtiles, changeants, et terriblement redondants. Le Primogène Brujah, Marc S. Raynor faisait valoir son joli accent français, et se lamentait des terres Américaines, le Tremere David Julian brillait par la sobriété et la prudence de son discours. Une rencontre extrêmement amusante, tout à fait passionnante qui prendrait sans doute fin lorsqu’on viendrait s’immiscer dans cette joyeuse réunion.

Déjà, du coin de l’œil, Amélia Quinn percevait les mouvements de foule, on se dispersait, on cherchait le Prince, on lui inventait déjà un intérêt pour le Français. Oh, l’affaire était drôle, il suffisait qu’Amélia jetât un regard sur un homme pour qu’on s’imaginât qu’il fût dans ses bonnes grâces. La Vampire reporta donc son entière attention sur les propos qui se disaient.

-Dépaysement, j'en souffre assurément, oh mes affaires dans le monde mortels sont florissantes, comme toujours, mais les Amériques restent une immense fange, un charnier ambulant ou la peste sabbatique, la puanteur anarchs sans oublier règne. Et je ne parle même pas de la saloperie aubains qui sont légions.
Et je ne parlerais pas de la déchéance humaine qui emplit les cités de ce continent. Assurément j'étais bien mieux dans le "vieux" monde, un lieu d'être raffiné, mais comme beaucoup d'opportunistes, je suis venu tenter fortune. Et puis, j'avais voyagé dans toutes l'Europe alors bon...

Ah, nous y étions enfin. Ce discours tant attendu, si enflammé sur les Amériques. Amelia Quinn sourit, en inclinant doucement la tête. Faisant sans doute valoir sa propre nationalité Irlandaise.

« Messire Raynor, votre dévouement à notre cause vous honore sans doute tout autant que la poésie de votre verbe qui louait tantôt ma beauté. La venue ici d’un « ami » de l’Ancien Monde est une chose extrêmement plaisante à mon cœur. Il y a encore tant de choses à accomplir ici, vous dites vrai. Tant de combats à mener, et tant de victoires à remporter. Quant au raffinement des mœurs… Il ne tient qu’à nous, j’en suis certaine, d’étendre la courtoisie, la galanterie, et la loyauté au reste de notre entourage. »

Des paroles bien engagées pour une soirée qui se voulait légère, des mots bien étranges, sans doute, pour une telle réception. Mais ils se faisaient l’écho des préoccupations actuelles du Prince. Le Sabbat était tout proche, elle le savait. On lui avait fait d’inquiétants rapports. Mais… il n’était pas possible de ne pas poursuivre sur une note plus joyeuse. De jeunes Toreadors virent entourer leur Prince, se faisant discrets et dangereusement proches en même temps.

« Quoi qu’il en soit, Messire Raynor, il est toujours plaisant de vous trouver en ces lieux. Puissions-nous célébrer à l’occasion d’autres retrouvailles. »

Plus bas, sur le ton de la confidence, elle ajouta, tous sourires.

« Même en ces soirées, les obligations n’attendent pas. »

Elle inclina doucement la tête à l’attention des deux vampires.

« Messire, Monsieur, c’était un plaisir. »