Amélia Quinn attendait dans les ombres. Assise sur le rebord de fenêtre, elle revoyait toute la triste réalité du conseil. Pas un seul pour voir l’opportunité, pas un seul pour comprendre ses plans, le Masque excepté. L’issue en avait tellement été prévisible. Amélia Quinn était lasse. Les Brujah s’étaient désolidarisés, prévisible, et elle laissait de deux siècles de règne, une Camarilla plus fragilisée encore. Sacha devait rire, oui. Il n’avait même pas besoin de venir mettre le bordel à l’Elyséum, ses conseillers s’en chargeaient pour lui. Etait-elle cernée d’imbéciles, ou de traitres ? L’heure n’était plus à la question. A côté d’elle, il y avait Shiro, elle ne savait quoi lui dire. Elle aurait dû le tuer pour conserver sa place, elle ne l’avait pas fait, caressant l’espoir que tous ses stratèges fussent suffisamment habiles pour comprendre. Le procès avait été différé par sa voix, mais tant de gâchis… tant d’actes inconsidérés… Ils avaient perdu la guerre en quelque sorte, ce soir, et Sacha l’avait gagnée, une victoire écrasante pour son ennemi mortel.

Elle fit signe à Shiro de s’approcher, et lui pris la main en douceur. Elle resta là, silencieuse, avec ce seul contact pour la rassurer. Comme elle était désolée, comme elle s’en voulait de le mener ce soir sur les chemins incertains. Comme elle était peinée, pour cette âme qui ne reverrait pas son infante, qui ne reverrait pas son amie, et qui ne la servirait pas.

« Shiro, je vous demande pardon. »

Une seule phrase pour résumer l’absurdité de la situation. Le Prince était plus lucide que jamais. Elle se remémorait le conseil, se remémorait les vives oppositions, les contestations, et la décision finale. Elle n’avait même pas écouté ce qu’avaient dit ses prédécesseurs, même pas chercher à leur répondre. Elle s’était levée, en silence. Avait déclaré que la justice y pourvoirait, et s’était éclipsée, défaite, avec Shiro. Si des Primogènes avaient tenté de s’interposer ou de réagir, il n’avaient obtenu qu’un écrasant effet de son sang dans le visage. La Présence. Elle était partie, loin, dans ses appartements, pour un dernier moment de calme avant la tempête. La Justicie y pourvoirait, oui. Et demain, l’on hisserait un nouveau Prince sur le trône.

Elle ne lâchait pas la main de Shiro, des larmes de sang coulaient sur ses joues, là où l’opportunité de gagner avait été donnée, elle n’avait que perdu. Là où la Camarilla aurait du en ressortir plus forte que jamais, elle en ressortait plus divisée que jamais. Une erreur d’appréciation dont elle ne verrait pas les funestes conséquences. Sacha avait eu le Sire, il avait également l’infante… et peut-être une partie de sa descendance. Ses pensées s’envolaient vers Willie, vers Edward. Deux enfants qu’elle n’aurait pas su protéger.

Shiro pensait-il également à son infante ? Amélia avait laissé se fendiller son armure de Prince, quelle triste figure offrait-elle au Samouraï qu’elle avait protégé, qui lui avait juré allégeance. Elle se leva, lâcha sa main, et l’enlaça. Un adieu, oui, un adieu. Elle savait très exactement ce qui allait se dérouler, et c’était pour cela qu’elle outrepassait toute bienséance pour enlacer Shiro. Cherchait-elle le réconfort, ou cherchait-elle à le réconforter ? Elle n’aurait pas su le dire. A présent, on allait annoncer la venue des Justicars, ou au moins de l’un d’entre eux, et sa culpabilité pour haute trahison, oui. Elle le savait, elle le sentait.

Au moins était-elle parvenue à mettre à l’abri l’infante de Shiro, de sa main, un message avait été laissé à Séraphin, à l’endroit de l’Ancienne des Masques, Elle et Gabrielle partiraient ce soir, elle en était certaine, Flamina devait avoir tout prévu, tout calculé. Peut-être étaient-elles même déjà en partance. Pourvu que le sacrifice de Shiro n’ait pas été vain, pourvu que son infante vive…

Enfin, elle lâcha le Lasombra, les joues écarlates, et lui prit les mains à nouveau, incapable de lui dire quoi que ce soit. Quel gâchis, quelle culpabilité pour un Prince qui n’était même pas capable de protéger son bras droit, quelle stupidité ! L’absurde, voici quel mot qualifiait le mieux cette situation, l’absurdité de paroles qui s’étaient confrontées sans écoute, de paroles qui s’étaient fracassées sur des murs d’indifférence. Tant de choses avaient été vaines, ce soir, tant de choses avaient été si stupides… Un enchaînement de coups du sort qui n’auraient pas dépareillé dans une pièce d’Ionesco ou de Beckett.

Mais c’était la vie, enfin, la non-vie, ce soir. Amélia ferma les yeux, se recomposa un masque, puis les rouvrit lorsque la porte de son bureau fut défoncée à grand fracas. La dernière chose qu’elle voulait emporter de son règne était le visage de ce jeune asiatique.

Le seul qui avait eu un jour sa confiance.