Amélia Quinn était assise, songeuse, en équilibre sur une fenêtre. Elle avait écouté beaucoup de mots ce soir, beaucoup de récits de la bouche d’une Ancienne Nosfératu. Son aînée. Celle à qui elle commandait pourtant incessamment de départir ses rapports de ce cynisme ambiant. Flamina Adams s’était montrée courtoise et fière à la fois. Une Ancienne qui savait son droit d’aînesse, même sur un prince. Une rivale potentielle, une puissance de la nature. Qu’elle fût Maudite, oui, cette Flamina Adams ! Amélia la briserait, l’écraserait au bas d’une falaise s’il le fallait. Mais personne ne pourrait remettre en cause son pouvoir.

Et ce pouvoir qu’elle sentait sur le déclin. Perpétuellement sur le Déclin. Elle était entourée de menaces, et pas un seul semblable qui lui semblât digne de confiance. Il y avait ce cadeau que lui avait laissé Flamina. Un cercueil, un dormeur. Elle lui avait fait entendre que la surprise pourrait lui plaire si elle laissait le temps au contenu de cette boite de s’exprimer avant de le décapiter.

Pensive, le prince s’approcha du présent, en ouvrit le couvercle. Elle y découvrit un visage bien étrange, endormi, calme et serein. Dans son cœur était planté un morceau de bois qu’elle connaissait fort bien. Fortunato Agnese. Le seul masque qui se présenta un jour à elle en s’inclinant respectueusement, alors qu’elle était à peine une jeune vampire fraîchement arrivée en ville. Los Angeles n’était qu’un rêve à ce moment là, un songe qui se concrétisait à présent que Fortunato n’était plus là pour le voir.

Flamina Adams et lui s’étaient présentés tous deux. Faces d’un même clan, et des attitudes si différentes. Là où l’Ancienne Nosfératu était une impitoyable guerrière, son compagnon était un doux humaniste. Et aujourd’hui, le Prince avait vu un éclat de cette humanité dans le regard d’Adams. Quelle surprise !

Ce pieu, le Prince l’effleura sans oser l’arracher. Qui donc lui sauterait à la gorge lorsqu’il serait libéré ? Il lui fallait cependant savoir. Il lui fallait comprendre. Flamina Adams avait été sybilline, laissant entendre que le pion pourrait s’avérer intéressant, un fou, une tour, un cavalier, peut-être même une Dame. La vraie question désormais était la suivante, faisait-elle suffisamment confiance à Adams pour la croire sur parole et laisser une chance à son petit protégé ? Ou bien n’était-ce pas le cas, et devrait-elle le tuer de suite ?

Il fallait savoir vivre dangereusement, après tout. Et si Adams avait raison…. Bon Dieu, si elle avait raison, le Prince la laisserait user de tout le cynisme qu’il lui plaisait dans ses rapports ! Ses fins doigts se refermèrent sur le morceau de bois, et elle l’extirpa sans ménagement du cœur. Puis elle s’éloigna vivement du cercueil et attendit, droite, les mains jointes dans le dos, que se réveille le nouveau venu. Quelques secondes devraient suffire, le temps qu’il reprenne connaissance. Il pourrait alors voir la silhouette immobile du Prince de Los Angeles, cheveux remontés par un chignon lâche, visage impénétrable, et longue robe de soie noire. Une figure austère qui n’augurait rien de bon. Elle jaugea le vampire qui s’éveillait, un peu perdu visiblement, et fit entendre sa voix claire.

« Vous ne devez votre survie actuelle qu’à Flamina Adams. Je vous donne donc deux minutes pour vous ressaisir, me faire face, et me dire qui vous êtes. »

Un temps.

« Plus qu’une minute et cinquante-sept secondes. »

L’ombre jaillit avec douceur devant Amélia, prenant une position de soumission qui sembla bien étrange au Prince. Elle le vit s’agenouiller en vassal, tête penchée vers le sol, lui offrant sa nuque à la lame… Mais Amélia Quinn n’était pas une guerrière, et elle n’aurait pu abattre le tranchant d’une épée sur ce cou dégagé de ses mèches sombres et soyeuses. Il resta là, elle ne comprenait pas ce subit comportement.

Le nouveau venu était asiatique, un jeune garçon dont elle pressentait une grande droiture d’âme et d’esprit. Simplement vêtu d’ébène, il se tenait en serf devant son Prince. Un des siens ? Son visage asiatique n’était pas connu de sa mémoire, son maintien non plus, bien qu’elle y décelât une grande maîtrise de son corps. Mais qui était-il donc ?

La réponse tomba. Un Evêque. Un Lasombra. Shiro Amakusa. Une reddition. Les pensées tourbillonnaient dans l’esprit d’Amélia, sans la moindre cohérence. Elle s’était attendue à tout de la part de Flamina Adams, mais pas à ceci. Pas à ce prétendu évêque devant elle. Le Prince s’accorda le temps de la réflexion, il restait après tout une minute et deux secondes. Elle attendit avec une précision d’horloger la fin de ce laps de temps qu’elle employa à tenter de déterminer à quel point l’affaire était supposément sérieuse.

Les secondes avaient filées, et l’ultime s’égrena dans un sablier imaginaire. Amélia Quinn s’avança avec douceur, et s’accroupit près de l’Evêque qui n’avait pas bougé. D’un doigt, elle le força à relever le menton, et le détailla du regard. Un Abysse, oui, cela se voyait à ses yeux, un abysse qui ne tremblait pas devant sa présence… Ce seul regard aurait dû suffire à faire condamner ce jeune vampire.

« Voyons-voir, Shiro Amakusa, qui vous êtes vraiment… »

En douceur, Amelia Quinn convoqua un pouvoir qu’elle avait pour coutume d’user… certes, pas de cette façon, mais il lui fallait savoir. Le lien télépathique s’établit sans aucun problème, et elle put percevoir le fourmillement de pensées qui naissaient et affleuraient à la limite de son esprit. Il semblait bien que la vérité fût sortie de sa bouche, une chose étonnante.

*Apparemment, vous dites vrai, Shiro Amakusa. Un evêque qui trahit, voici une chose étonnante. En temps normal, je vous aurai demandé la permission, mais vous êtes du Sabbat jusqu’à nouvel ordre. Veuillez m’excuser, donc, pour ce viol de votre esprit. *

Sans ménagement, Amélia projeta son esprit, à la rencontre de celui de Shiro. Ses défenses furent balayées comme un fétu de paille… il fallait aussi dire qu’il n’en avait presque pas opposé, mais… en général, les victimes avaient un sursaut de défense, un moment de rejet. En aurait-il un ? A n’en pas douter, il devait percevoir son intrusion, il fallait dire que sans le torturer, elle était loin de sa délicatesse habituelle. En pensée, elle se promenait entre des bulles de souvenirs, des visages, des sons. Elle remontait doucement le cours des souvenirs du Lasombra. Elle s’arrêta sur les souvenirs les plus récents.

* Cette jeune fille rousse aux côtés de Flamina Adams, qui est-elle ? Quels sont d'ailleurs vos rapports avec Adams et cette jeune fille?*

Voici quelle était la méthode d’interrogatoire du Prince de Los Angeles. Bon esprit ne savait mentir.

(usage de Augure IV et Domination III, ce dernier étant uniquement pour voir les souvenirs et non les modifer)

Amélia Quinn fut heureuse de constater que le Lasombra se laissait faire. Tandis qu’ils devisaient, elle remontait le fil de ses souvenirs. En écoutant avec attention les mots qui tombaient concernant cette jeune fille.

*Gabrielle, dites-vous ? *

Gabrielle, donc, son infante, sa fille. Une jeune Lasombra qui suivrait probablement son père dans son allégeance. Une nouvelle âme à ajouter à son armée, une nouvelle âme prise dans une guerre qui la dépassait sans doute. Une jeune humaine jusqu’à récemment… l’esprit d’Amélia tournait à plein régime, analysant chacune des paroles, chacune des pensées, chaque sentiment qu’elle percevait dans l’âme de Shiro. Il appréciait sincèrement cette jeune fille, c’était un état de fait, et serait sans doute un bon guide pour elle, toutefois… elle ne pouvait se permettre de faire un pari aussi risqué.

* Je crains que vous ne la revoyiez plus avant un bon moment, Monsieur Amakusa, vous l’avez confiée à Flamina Adams, un choix risqué, mais sans doute moins risqué que si vous me l’aviez amenée ici, ce soir. Je vous félicite de votre clairvoyance, quand bien même contrecarrerait-elle mes projets. »

Le fil des souvenirs remonte, la vieille Nosferatu. Comme elle devait rire à présent, se moquer de ce prince qu’elle tenait au creux de sa paume avec ce singulier présent. Foutue Masque ! Quel coup de maître, vraiment, bien que la chose déplût à Amelia, elle était contrainte de le reconnaître. De mauvaise grâce, certes, mais elle le reconnaissait.

Les souvenirs parlaient en même temps que les mots. Des flashs, l’ancienne Nosferatu qui invitait Shiro Amakusa dans les égouts, cette rencontre, ces histoires de mages, cette bombe, et cet attentat manqué. Amélia Quinn laissa s’échapper un petit rire léger.

* Tiens ? Vous avez épargné Orphée, notre charmant primogène Tremere. Comme c’est amusant. Vous avez de l’affection pour les enfants ? *

Serait-il capable de percevoir l’humour ? Car c’en était. La remarque n’était ni acerbe, ni agressive, elle permettrait à la Toréador de jauger de l’état d’esprit de Shiro Amakusa. Serait-il agressif ? Serait-il gêné ? Serait-il serein ? Une énigme que ce samouraï. Elle remonta encore les souvenirs, un fleuve d’eau vive, une image, une deuxième, une succession d’images. Une pause. Une jeune fille terrifiée blottie dans les bras de l’Evêque Lasombra, comme pour faire un écho à ses paroles. L’amour de deux êtres…

Amélia fouilla encore les pensées et souvenirs de Shiro, les explora, les analysa dans les moindres recoins. Elle vit défiler toute une vie au Sabbat. Un visage la frappa. Cian. Elle rompit le contact sans la moindre douceur, s’éloigna de Shiro Amakusa, sentant presque son cœur battre aux oreilles si elle avait encore eu un cœur pour le faire. Elle s’était figée, en état de choc. Blême, elle recula, un pas, deux pas, laissant s’écailler le vernis de contenance qu’elle avait eue. Toutes les pièces du puzzle, toutes les pièces… Le Prince paraissait désormais bien fragile… Bien incapable de mener ses troupes.

Ce ne fut qu’une passade, elle se recomposa un masque inexpressif pour combler la béante blessure de la perte de son sire. Elle se sentait fragile… elle tourna le dos à Shiro, s’approcha d’une fenêtre, s’installa sur son rebord, et regarda le tapis de lumières à ses pieds. Sans lui accorder un regard, elle fit signe à Shiro de s’approcher, et attendit qu’il daignât s’exécuter. Sa voix résonna.

« J’ai fait le tour de votre âme, Shiro Amakusa… Je ne sais comment vous sauver. Votre excuse à la trahison est légère. Si vous étiez venu me voir en me disant la chose suivante « Je trahis par amour », je vous aurai demandé si vous vous foutiez de moi… Et pourtant votre âme est sincère. Deux questions demeurent avant que je ne vous propose une échappatoire, qui est cette jeune femme pour laquelle vous trahissez, et surtout… »

Elle tourna la tête pour planter son regard dans celui d’ombres de l’ancien Evêque.

« Cian Quinn. »

Une ombre venait d’annoncer à Amélia Quinn la mort d’une autre ombre. C’était ainsi que le destin se jouait d’elle, c’était de cette façon que le monde tournait. Elle vivait encore, et l’ombre, jadis assise à l’arrière de cette charrette qui l’avait emprisonnée de ses bras et de son sang n’était plus. Le Prince n’était plus Prince en cet instant, simplement une semblable, simplement une fillette pleurant la mort d’un père. La robe noire qu’elle avait revêtue ce soir avait pris l’aspect du deuil, et ne restait sur son visage figé dans un masque neutre et glacial qu’une larme de sang pour dévaler la courbe douce de sa joue, et aller se perdre dans les plis de la soie. Un sillon, une marque écarlate qu’elle n’essuya pas tandis que filaient les mots de l’évêque.

Ces mots… ils tourbillonnaient dans le vent qui s’engouffrait de la fenêtre ouverte dans la pièce. Un air froid qui se prenait dans les plis d’une robe et l’étalaient comme une fleur d’ébène s’ouvrant une fois la nuit tombée. Amélia n’était plus Prince, ce soir. Elle n’était qu’une rose fragile, déboussolée par une nouvelle qu’elle n’attendait plus. Sa larme était-elle de tristesse ou de soulagement ? Enfin elle savait, enfin la blessure pouvait cesser de s’infecter.

Lorsqu’elle ouvrit la bouche, ce fut une fois que Shiro eût achevé son long discours. Plusieurs fois, elle avait été tentée de l’interrompre, et jamais elle ne l’avait fait. Non pas parce que la bienséance le lui commandait, mais pour une raison bien plus futile. La voix de Shiro l’apaisait un temps. Il lui donnait l’occasion, dans le doux flot de ses mots, de ne pas perdre pied, de s’accrocher à ce qui était pour ne pas sombrer dans ce qui fut et n’était plus. Les souvenirs, son vieil esprit les balaya sans ménagement et sa voix sonna, claire, détachée. Aucune trace d’émotion quand tout son âme s’épanchait.

« Shiro Amakusa. Ne vous arrogez pas le droit de décider quels sujets m’intéressent et lesquels ne m’intéressent pas. Orphée et votre promise sont sujets de ma préoccupation, non pas dans le cas où vous l’entendez, mais dans un dessein qui vous dépasse peut-être encore. Ne réduisez pas toute cette affaire à un combat à mort entre le Sabbat et la Camarilla… vous vous rendrez vite compte qu’ici, mes plus grands ennemis ne sont ni Monsieur Khitrik, ni vos confrères. L’ennemi est sous mon drapeau, et convoite en premier lieu ma place. Voici contre qui je me bats à chaque seconde de la nuit. »

Elle s’adoucit. Souriant à la boutade concernant Orphée. Et son regard se voila lorsqu’elle repensa à Alice. Une pauvre gamine déchirée entre deux camps, entre deux rivalités. Pourtant, dans l’un et l’autre des cas, il n’y avait qu’une chose à se remémorer, l’influence. Cette enfant appartenait à son clan, à son sire. Non à cet évêque déchu.

« Votre Promise… j’ai à cœur de satisfaire Messire Christophe. Votre Promise… considérez que vous y renoncez ce soir tant que Messire Christophe ne vous aura pas de vive voix accordé sa main. J’en suis désolée. »

Et enfin, le sujet de blessure vint. Amélia était immobile, le vent seul, se prenant dans ses cheveux, rendait un peu de vie à ce visage de mort sur lequel avait séché une trace rouge sous l’œil. Elle se sentait prise dans une tempête intérieure, vacillante comme une flamme. Qu’est-ce qui la retenait d’aller briser des crânes pour expier ce crime ? Qu’est-ce qui la retenait d’abattre le tranchant de sa lame sur la nuque de ce japonais ? Elle n’était pas guerrière mais savait assez bien se servir d’une lame, bien qu’on tendît à l’oublier, elle était d’ailleurs un peu rouillée… Ce Lasombra pourrait sans doute y remédier.

« Monsieur Khitrik et moi nous connaissons depuis bien trop longtemps, je le crains. Nous nous battons depuis trop longtemps. Un de nous deux doit disparaître, c’est une évidence. Et le voici qui a prit beaucoup trop d’importance dans cette ville. Mais je ne le laisserai pas la corrompre de ses noirs desseins. L’humanité restera la voie en vigueur ici bas, tant que mon trône ne se sera pas émietté… Mais il s’émiette Shiro. Il s’émiette. Les informations que vous m’apportez… Elles seront vérifiées dans l’heure, et je ferai le nécessaire pour que soient prévenus les membres de la Fondation Tremere. Monsieur Julian vient d’être condamné par vos mots à voir son esprit disséqué sous toutes les coutures avec la prudence qui s’impose. »

Amélia donna par la pensée ses instructions à Edward qui était resté tout proche, prêt à frapper le cas échéant.

« Vous utiliser en pantin auprès de Sacha… non. Qu’il connaisse votre défection sert mes plans, Shiro. Vous serez un pantin, oui. Un pantin ici, dans cette cour. Je ne peux me battre contre Sacha si personne ne surveille mes arrières au sein du nid de Serpents dans lequel nous nous trouvons. La vie de cour ne vous fera aucun mal, et j’ai confiance en vos talents et votre discrétion. Je vous engage, Shiro, mais… nous allons devoir prendre quelques précautions… »

Le Prince se leva, contourna le Lasombra, et alla près de son bureau. Elle y récupéra un agenda qu’elle consulta, lourd manuel à la reliure de cuir.

« Le soir prochain se tiendra une réunion du primogénat. Nous étions censés y parler de monsieur Khitrik précisément. Nous allons faire d’une pierre deux coups. Monsieur Shiro Amakusa, je vous déclare à partir de maintenant espion personnel du Prince. Considérez que vous avez toujours agit selon mes ordres depuis votre arrivée en cette ville, et que votre trahison remonte à l’instant où vous avez posé un pied sur mon territoire. Au prix de ce… jeu de mot, dirons-nous, je pense pouvoir convaincre l’assemblée de vous laisser un sursis pour peu que vous fassiez vos preuves à l’Elyséum. Toutefois… Je ne vous fais pas cette proposition sans garantie. Ce soir, vous vous lierez à moi, demain également. Vous comprendrez que je dois m’assurer de votre fidélité immédiate. Dans les jours à venir, vous débuterez également comme commis de Mademoiselle Willie Keane, notre maîtresse des harpies, et rare Caïnite à avoir ma confiance…. »

Un sourire… Il ne restait plus qu’une chose à faire.

« Vous aurez à cœur de défendre avec conviction votre attachement à la voie de l’humanité demain soir, Monsieur Amakusa, n’est-ce pas ? Et à assumer une trahison idéologique. Je ne veux pas entendre parler de votre promise, et ne veux même pas percevoir de votre part une pensée à son attention. Pensez-vous pouvoir vous y tenir pour sauver votre tête et celle de votre infante, ou souhaitez-vous oublier ? »

La question était sérieuse. S’il acceptait l’oubli, elle serait en mesure de le sauver devant le Primogénat, et de lui assurer un avenir ainsi qu’à son infante. S’il refusait… Elle avait enfin une excuse pour inculper Flamina Adams de haute trahison et la faire tuer ce soir même. La Dame venait enfin de bouger dans le camp Camarilla. Prête à menacer le roi adverse.

(Joyeux anniversaire mon petit Lasombra-Tremere-Co-admin-Technocrate-Serpentard préféré ^^)

Amélia Quinn avait recomposé son masque de Prince. Elle avait cessé de l’être pendant un bref moment, mais à présent… A présent, elle était à nouveau la joueuse d’échecs qu’elle avait toujours été dans l’Ombre. Shiro fit le choix qu’elle attendait, celui qui asseyait sa victoire pour cette nuit. Les Tremere seraient bientôt sur le qui-vive, les bris de mascarades seraient traqués impitoyablement dans toute la ville. Il ne restait plus qu’une partie à jouer, un prélude à la guerre qui enflammerait toute la ville dans quelques temps… Seulement quelques temps.

La partie qui s’annonçait était dangereuse, oui… elle serait vive, brève, intense, une partie dont l’enjeu était l’âme de cette Ombre. Une âme à faire taire autant qu’à exalter. Un mélange ardu, explosif, à maîtriser d’une main de maître. Serait-elle ce maître ? Non. Serait-elle un guide ? Oui. Le maître, il devait l’être seul, capable seul d’être pantin et joueur à la fois.

Il accepta tout, conscient qu’il était en position de faiblesse. Les Ombres avaient embrasées son âme. Il n’était plus question du Shiro d’antan. C’était à présent un pantin, un implacable manipulateur d’Ombres qui lui faisait face. Un être noble, droit et impitoyable. Le bras droit idéal. Voici à quoi songeait Amélia Quinn un petit sourire en coin aux lèvres. Il avait tant et tant de choses à apprendre encore.

« Ne prenez pas votre assignation à Elyséum comme une punition, je vous prie, Monsieur Amakusa, ce n’est pas le cas. Je pense que vous pourrez vite apprendre sous la houlette de Mademoiselle Keane les usages de notre cour, et lorsque vous maîtriserez à la perfection ces codes, vous serez également en mesure de comprendre comment tout se joue ici. Je ne veux pas de vous comme d’un simple exécutant, Monsieur Amakusa. A terme, j’ai bon espoir de pouvoir bénéficier de vos conseils tactique… Mais vos conseils ne sauraient être avisés sans le savoir nécessaire à une bonne compréhension de la situation. J’ose espérer que vous apprenez vite, car vous en aurez besoin. »

Le Prince eut un petit rire. Si innocent des usages de la cour. La Camarilla n’était pas meilleure que le Sabbat, était-il en train de le comprendre ? Allait-il se raviser ? Il le pouvait encore, mais… elle percevait une résolution sans faille.

« Je n’ai aucun allié en cette Cour, Monsieur Amakusa. J’ai quelques pions de confiance, Mademoiselle Keane et Monsieur Quinn, mon infant, en font partie. Peut-être deviendrez-vous le premier, après tout… »

Elle s’approcha de Shiro, lui prit une main, lui ouvrit la paume vers le ciel, et posa son poignet entre les doigts. Il n’avait plus qu’à mordre.

« Ce risque, Monsieur Amakusa, n’est pas le plus grand que je puisse prendre. Ayez confiance, vous souffrirez suffisamment dans vos premières semaines à la cour pour éclipser les velléités de rébellion de mes… Conseillers. Respectez votre parole, et je m’emploierai à vous instruire ce soir. Je ne compte pas vous instrumentaliser. Je n’ai pas besoin d’un pantin sur le long terme, mais d’un conseiller digne de confiance. Pensez-vous être capable de vous hisser à ce niveau ? Soyez pantin les premières années pour tisser votre toile les siècles à venir. Soyez redouté autant pour votre lame que pour votre sagesse, et faites-moi le plaisir d’affûter et de conserver votre clairvoyance. Soyez tout à la fois l’exécutant et le joueur d’échec, le pion, la tour, le roi. Elevez-vous en cette Praxis pour assurer l’avenir de votre Fille, et la réputation de votre amie. Demain… vous serez sous le feu de la rampe… mais souvenez vous toujours de cette information. Flamina Adams et vous êtes les deux êtres les plus détestés de cette Praxis pour les mois à venir. Vous allez devoir travailler dur… Mais vous y arriverez, j’ai confiance. »

Un sourire froid, un regard qui ne lâchait pas les yeux de ténèbres de ce semblable.

Oui… on allait en faire quelque chose d’intéressant.

« Oh… quand à votre Fille… Vous la croiserez lorsqu’elle viendra se présenter ici en bonne et due forme à l’Elyséum. Vous aurez alors le loisir de lui faire cet exposé que vous lui devez. »

Elle avait vu les souvenirs de Shiro, après tout. Et bien que cette dernière phrase eût pu sonner comme une moquerie, ça ne l’était pas. Sous le masque d’inflexibilité de Prince, elle avait à cœur qu’il devine qu’elle avait à cœur de ne pas le priver de son libre arbitre… Pas totalement, et pas définitivement en tous les cas. Les liens de sang mettaient en général un mois à se disperser… Selon les progrès de cette vieille âme, elle pourrait peut-être cesser progressivement de l’enchaîner à elle.

[A titre indicatif, Shiro, Lien de sang 1 : affection et loyauté en présence du vampire qui a donné son sang, Lien de sang 2 : amour ou admiration déraisonnée en présence du vampire.]

Amélia avait la déplaisante impression de devoir beaucoup à Flamina Adams en cette soirée. Monsieur Amakusa était une trouvaille rare, et malgré ses dires à l’ancien Evêque, elle aurait bien à cœur de lui accorder sa protection pour peu qu’elle ne fît aucun impair trop flagrant comme elle en avait pris l’habitude ces dernières années. Avec cet atout dans sa manche, la donne avait changé, et le Prince envisageait déjà les problèmes sous tous les angles nouveaux qu’offrait le Lasombra. Beaucoup de situations allaient se simplifier au sein de la Camarilla lorsque la ville allait gagner deux crans en tensions. La Frappe de Sacha ne se ferait pas attendre, le Prince en était certain. Maintenant que la Dame avait bougée, c’était à lui d’envoyer ses pièces au combat. Un combat sans merci, à n’en pas douter. Les choses promettaient d’être passionnantes, oui, passionnantes, c’était le mot.

La morsure de Shiro fut faite de douceur, brève, suffisante. Ce mot… la douceur, voici qui était l’envers du décor concernant ce guerrier… Elle l’avait désormais au creux de ses paumes, il serait dans les jours à venir tel qu’elle le souhaiterait, oui… Et en cela, ce qu’elle s’apprêtait à faire était indéniablement un moment clé. Elle écouta avec attention les mots de son aide, déjà ils sonnaient distinctement avec la nuance propre à la sagesse. C’était un allié de poids, elle le percevait déjà. Au plus il serait capable d’aller loin, au plus il lui serait utile. Une flèche d’ombre qui fuserait pour les nuits à venir dans une longue ascension.

Amélia posa sa paume sur la joue de Shiro se concentrant un petit moment. L’esprit de l’Evêque était à portée de doigts, tout prêt à être modifié. Tout prêt… Elle remonta avec lenteur ses souvenirs, en effaça le visage et le nom d’Alice Liddle. Afin de justifier la trahison de Shiro, elle exalta tous les moments forts de son existence. La rencontre avec Gabrielle et son affection pour la jeune infante, elle mit en lumière l’échange qu’ils avaient eus sur la plage, où dans sa déconcertante naïveté, la jeune fille lui avait montré les limites du Sabbat. Les souvenirs concernant la rencontre avec Flamina Adams prirent quelques couleurs également, puis elle remonta plus loin, plus haut. Aucune modification, juste quelques accentuations. Les moments qui avaient pesé à Shiro sous son drapeau, les brefs moments où son cœur avait combattu son honneur dans des accès de désespoir.

Elle ne chercha pas à justifier sa trahison dans le passé, créer des souvenirs était dangereux. Tout ce qui faisait de Shiro un subtil équilibre, elle l’amplifia. Sa douceur, son inflexibilité, son honneur, sa loyauté. Un Guerrier capable de compassion pour ceux qui le méritaient, et eux uniquement, un Samouraï. Le voici ce qu’il avait toujours été, ce guerrier venu du Japon qui s’essayerait à présent à la vie de cour.

Lorsqu’elle s’extirpa de l’esprit de Shiro, Amélia avait la tête qui tournait. Modifier un tel esprit n’était jamais chose aisée, cependant elle n’était pas peu fière de son petit effet. Oh, Shiro allait probablement avoir la sensation d’une perte, d’un oubli, mais c’était à elle d’occulter cette sensation.

« Monsieur Amakusa, je vous en prie, asseyez-vous, nous avons à discuter ce soir. »

Elle-même prit place derrière son bureau, et intima l’ordre mental à Edward Quinn qui était revenu pendant qu’elle modifiait la mémoire de Shiro, de paraître devant eux. Il sortit de la pénombre, sans un mot, et alla poser un rapport devant son Prince. Il regardait avec prudence Shiro Amakusa, se méfiant visiblement du nouvel ami de son Prince. Craignait-il pour sa propre position ? Comme c’était adorable.

Le Prince le congédia avec un petit sourire, parcourut le rapport d’un œil vif, et le referma.

« Vos dires sont confirmés concernant nos amis Sorciers. Le nécessaire sera fait, je vous en remercie, la Fondation vous doit beaucoup ce soir. Et quant à Monsieur Khitrik… Ne vous tourmentez pas, il m’a envoyé un nombre incalculable de lettres et de présents au cours de ces dernières années. Je crains d’avoir toujours manqué à mes devoirs en ne lui répondant pas… Ce sera chose faite ce soir même. Sa fureur sera certainement grande, et je redoute une riposte. Je gage cependant qu’il saura son conseil ébranlé, et la nécessité pour lui de changer ces plans. En lui accordant l’avance du changement de ses projets, j’espère le pousser à la faute, le déstabiliser. Son esprit est ancien, mais c’est un joueur. Et un joueur est dans une moindre mesure prévisible. Vous connaissez bien Sacha tel qu’il apparaît à ses pions, mais je le connais également tel qu’il joue avec moi. C’est à moi d’assumer cette trahison, à moi de prendre les responsabilités. Le silence face à cet acte conduirait Monsieur Khitrik à penser que je n’avais pas vu venir l’événement, et le conforterait dans le fait qu’il est inatteignable par ma main alors qu’il tient cet Elyséum dans le creux de sa paume s’il le désire. Votre raisonnement est bon, et il nous faut agir avec prudence, je vous le concède. Vous serez toutefois, je pense, le plus à même de nous fournir un indice de ce qu’il fut, de la façon dont il a raisonné jusqu’à présent. »

Et à présent, l’heure de l’instruction avait sonnée, Amélia le savait. Il y avait bon nombre de choses à dire, et bon nombre qui ne seraient pas dites. Cependant, au contraire de son habitude, Amélia n’avait aucun goût pour les pièges. Avec Shiro Amakusa, elle serait franche et honnête concernant les points qu’elle avait à aborder.

« Ne vous souciez, pour le moment, pas des us et coutumes de l’Elyséum, Mademoiselle Keane se chargera de vous les enseigner, et vous avez l’excuse du temps que vous avez passé auprès de l’ennemi. En outre, votre Terre Natale est connue pour ses mœurs raffinées, je ne me fais donc pas le moindre souci quand à vos aptitudes en matière de politesse. Seront présents les Primogènes lors de votre présentation demain soir. Orphée, le Tremere nous envoie son Régent, Asao Watnabe, un compatriote à vous si je ne m’abuse. J’ai cru voir dans votre mémoire que vous l’avez rencontré, c’est sans doute un bon point pour vous. Séraphin Valli, le Nosfératu, est un élément jeune et manipulateur, grandes sont ses ambitions politiques, et plus grand encore est son cynisme. Méfiez-vous en. Il a cependant une grande valeur guerrière, et sait reconnaître une association nécessaire, il vous sera probablement favorable pour peu que vous parveniez à toucher son âme de manipulateur. Messire Christophe est un ancien Malkavian. C’est mon aîné, et sans doute l’un des membres les plus redoutables de ce conseil. Il est droit, catholique, et rigide en sa pensée, de conseil avisé à la très sainte Camarilla, et vertement opposé au Sabbat. Vous pourrez peut-être le toucher, mais je ne saurai vous promettre une victoire sur son cœur. Messire Marc Sénèque Raynor enfin est l’élément le plus dangereux de mon conseil. Il est jeune, ambitieux, violent, il n’a pas hésité à tester mon autorité en déclenchant une bagarre à l’Elyséum. Il intrigue et manipule, cherche à avoir l’aval sur tout le monde. Il vous verra comme une menace, j’en suis certaine, et s’opposera farouchement à vous. Ce sera sans doute votre ennemi le plus fervent, cependant… A ce qu’on dit, il a également quelques faiblesses… on raconte que son passage à la cour de Londres fut particulièrement mouvementé, et des soupçons de diablerie pèsent sur ses épaules. La pratique est extrêmement mal vue en cette cour, retenez donc cette information. »

Elle eut un petit sourire.

« Avez-vous des questions, Monsieur Amakusa ? Des demandes ? Des volontés ? »

D'une main posée sur mon visage, elle commença à opérer mes souvenirs. La raison pure me commandait l'amnésie, c'est avec le regret du coeur que l'image d'Alice s'effaçait de mon esprit. Mais sereinement malgré la torture des émotions, l'intelligence et le corps demeuraient inflexibles. Lentement s'évaporaient les souvenirs, la ou mon ombre l'avait rencontrée, la haut en ma tour d'acier, nous avions noués un destin commun, un chemin désormais brisé. Pour cela, le coeur poussa un crie vain car tout était terminé. Alors je me relevais, façonné à nos désir, un avatar d'ombre prêt à devenir ce que nous voulions. La sensation était étrange, il me semblait éprouver les émotions d'un nouveau-né. J'avais alors effectué une renaissance. Ma lame servirait le juste, j'avais choisi le seigneur qu'il me fallait, enfin...

Une victoire, sur un passé en ruine, finalement une victoire je n'espérais plus cet instant. L'existence allait être mouvementée, mais au moins je ne serais plus l'instrument d'ignobles desseins. Le temps à pousser un rocher était révolu, désormais il me fallait rencontrer la réalité. Macher dans l'ombre, à ne plus se soucier du temps, ici s'achevait ce temps. En cette lune je renaissais, qu'importait les difficultés à franchir. On pouvait le voir en mon regard neuf, ou était la mélancolie ? Ou était mon fardeau ? Plus rien n'entravait mon chemin d'ombre et aux mots je pris place en conseiller du Prince. Si la providence l'autorisait, je serais son allié aux siècles à venir. En silence j'écoutais, imperturbable, concentré sur la moindre note, sur la moindre inflexion de mot. Aussi avais-je bien entendu observer le regard de l'infant. Un voile flottait en son regard, mais je n'avais guère le temps de jouer à ce jeu. Nous n'avions guère le temps de jouer à vrai dire. Les intérêts du Prince prévalaient. Ainsi les mains croisés soutenant ma tête j'écoutais le discours du Prince. C'était comme si nous débutions une partie contre Sacha, une nouvelle partie d’échecs, les pièces avançaient dans le noir.

La stratégie du Prince était intéressante, ainsi elle se risquait à une guerre ouverte avec Sacha. Elle connaissait son tempérament de joueur, mais l'avait-elle déjà vue en situation d'échec ? Il me semblait bon d'en informer Mon Prince, ce genre de détail avait son importance. J'admirais en tout cas le stratège qui s'éveillait, une rose guerrière, voila qui avait le don de m'émerveiller.

La suite concerna la préparation de mon jugement. Je minorais à tort cet événement, pour moi j'avais déjà l'aval du Prince, les requins ne m’intéressaient guère. Au Japon la voix de l'empereur était sacrée, ceux qui osaient s'interposer se rendaient coupables de haute trahison. Je savais que certains n'hésiteraient pas à braver l'avis du Prince, d'ignobles requins. Mais si cela constituait ma première leçon, je me conformerais à l'exercice. Point faire ombrage aux désirs du Prince, la première de mes règles. On me donna description de mes juges, rien qui ne devait poser obstacle véritable, il y-avait bien sur l’énigme Christophe et monsieur de Raynor était bien seul. Un sur sept, l'évidence lui fera peut être gagner le silence. A moins de ne pas être assez sage... Illusion que ce clan de la sagesse, pour avoir moi-même conduit au combat les brujahs du Sabbat... Je me demande encore ou était la sagesse.

Mais il me fallait parler, désormais.

"Les pièces de l'échiquier sont en place, vous avez raison Sacha est un joueur. Mais un mauvais joueur... L'avez vous vu déjà perdre une partie ? Un moment assez rare, combien de templiers ou simples sbires ont péris de sa main pour un futile échec ? Il s'agit d'un monstre, un antique démon qui n'aime pas l'échec. Voila comment il va réagir, vous prenez la main, vous assenez un coup sévère en son jeu. La, il va se mettre en colère, il agira vite mais sans faute, son intelligence est bien trop vive. Il souhaitera me briser, m'atteindre à tout prix. C'est en ma personne qu'il concentrera tous ces noirs efforts. Je pense qu'il souhaitera mettre la main sur mes alliés... Flamina est bien trop dangereuse à son gout. Non il n'a aucun honneur, il attaquera un pion faible. Deux personnes, Gabrielle et ... Non seulement une personne."

Pourquoi avais-je eu l'impression que deux personnes étaient concernés, deux faibles pions. Il n'y avait qu'un pion pourtant, ma propre fille.

"Ma fille sera l'objet de sa fureur, la prendre et lui faire subir toute les horreurs possibles, voila pourquoi je l'ai confiée à Flamina Adams. Si nous voulons le contrecarrer, c'est en se servant de ses petites manies de sadique détestant perdre. Tant que je serais auprès de vous, j'espère lui rappeler le visage de l'échec, le pousser ainsi lentement à la faute. Mais il y-a tant à dire sur l'Archevêque... Avant que je ne le quitte il était à New-York, il m'a instruit des sujets évoqués. C'est tout le Sabbat qui semble se mettre en mouvement, j'ose penser que la capture de monsieur David est un événement lié, je ne saurais l'affirmer. Il vous faudra surveiller le théâtre chinois et le bar Last Round au centre de la ville. Ce sont les deux principaux nids du Sabbat. Dernière chose, Sacha a besoin d'un prophète malkavien pour son plan, il en a une terrible nécessité, surement pour la réussite de ses plans. Je vous propose de lui en donner un, sous couverture, qu'en pensez vous? Quoi qu'il en soit dans les nuits qui vont suivre, Gabrielle et... Gabrielle sera une proie de choix pour lui."

Tel était mon conseil.

"Pour ce qui est du procès, je vous remercie de ces données. Il semblerait que ce jugement ne concerne que messire de Raynor et le primogène Christophe. A vos mots, je pourrais intéresser sieur Valli. Concernant monsieur Watnabe, je crois deviner ses inclinaisons, ce ne sera pas un problème. Quoi qu'il en soit, je tacherais de montrer la noblesse de ma loyauté. Si je pouvais avoir une demande, c'est bien sur la surveillance de ma fille. Si je venais à échouer, il est évident pour votre place que vous devriez rejoindre l'avis du plus grand nombre. M'approuver serait fragiliser votre position, vous le savez. Alors protégez au moins ma fille, c'est tout ce que je demande."

La clarté du vide semblait se dissiper... Et ma demande sonnait comme la dernière volonté, d'une future tour en échec. Comme je souhaitais encore demeurer sur l'échiquier, au coté de la reine. La pièce la plus forte.

L’oubli semblait avoir été efficace. Une bonne chose de faite, songeait Amélia. La Domination n’était pas un art dans lequel elle excellait, ni même un art dans lequel elle aimait s’aventurer. Toucher les souvenirs d’autrui était toujours une entreprise risquée, surtout avec un esprit aussi vieux et exercé que celui de ce Lasombra. Il avait toutefois été réceptif en bannissant toute sensation, un pouvoir fascinant…. Amélia connaissait mal les Lasombra au sein de leur Sainte Camarilla… On les disait habiles et manipulateurs, mais néanmoins bien plus droits que les Ventrues corrompus par la décadence et l’argent. Comment serait cette lame ? Serait-elle tranchante, serait-elle clémente ? La clémence était l’apanage du fort, du juste. Serait-il cette lame juste ? Une évolution fort intéressante qui se profilait. Très, très intéressante.

Les paroles de Monsieur Amakusa furent brillantes, et le Prince garda le silence en écoutant ce manipulateur d’ombres énoncer la situation. A coup sur, il cristalliserait la haine de Shiro, oui, et les troupes du Sabbat se rueraient vers Gabrielle et Alice… Cette dernière était sous protection de Christophe, il n’y avait pas la moindre raison qu’elle fût atteinte… Et si le Seigneur Christophe avait daigné surveiller sa progéniture… Enfin, enfin… cette erreur avait permis l’accomplissement de cette trahison, elle ne pouvait se montrer trop sévère, même en pensée, avec son aîné.

« Monsieur Amakusa, votre analyse est pertinente. Monsieur Khitrik est effectivement un mauvais perdant, il l’a prouvé à quelques reprises déjà, et votre présence ici le poussera effectivement à réévaluer l’ensemble de ses plans dans l’urgence. C’est une des raisons également pour lesquelles je vous garde à mes côtés. La présence de Gabrielle chez les Masques tombe fort à propos. Il se trouve que le clan des masques est actuellement agité, il y a eu des disparitions parmi les leurs. Monsieur Iain Lachlain, invité du clan de la Louve – comprenez par là qu’il ne fait pas partie de la Camarilla – et ami des masques vient d’obtenir de ma part le droit d’enquêter ici. Cette décision satisfait le clan des masques, je pense, qui fait corps dès qu’il s’agit d’un des leurs. Considérez donc que Gabrielle n’est pas seulement sous protection de Flamina Adams, mais de l’ensemble de son clan. »

Elle sourit à la mention du procès, décidément ce jeune… non, ce vieux… non, ce Lasombra était un tacticien de choix, à n’en pas douter il serait bientôt capable de prévoir bien plus loin qu’elle… Une donnée extrêmement satisfaisante.

« J’ose espérer que vous n’échouerez pas, Monsieur Amakusa. Monsieur Watnabe vous soutiendra, je le pense en effet, son primogène Orphée est fort lié à Madame Adams, autant dire que vous pouvez vous assurer une voix de ce côté-là. Concernant le Sieur Valli… je ne puis rien vous assurer. C’est un élément prometteur et versatile à la fois. Un conseiller extrêmement changeant n’ayant à cœur que les intérêts de son clan. Un excellent informateur toutefois. Messire Christophe est imprévisible également. J’espère cependant pouvoir lui offrir quelques garanties faisant pencher son cœur, mais je ne pourrai vous assurer de son choix… Quant à Messire Raynor… Il défendra ses convictions, et s’il ne le fait pas ouvertement, se préparera à frapper pour m’atteindre. Mademoiselle Willie Keane, Maîtresse des Harpies de cette praxis est du clan de la Sagesse. Je vous adjoins à son service également pour que vous puissiez être, dans une moindre mesure, capable de la protéger de toute tentative d’influence de Messire Raynor pour qui, je cite, « le sang prime ». Une règle qu’il serait parfois bon d’oublier, je le crains… »

Voici ce qui devait être dit, la soirée commençait à tirer à sa fin. Déjà, Amélia commandait à Edward de trouver un lieu de repos dans ses appartements privés pour monsieur Amakusa. L’Infant hésita un peu ,puis s’affaira. Quelle était cette nouvelle tempête qui se profilait ? Une tempête d’influence.

Amélia, elle, commençait à esquisser mentalement les premiers mots de la lettre. « Cher Monsieur Khitrik… »